Parmi les tombereaux de nouveaux groupes qui arrivent les yeux brillants avec un premier album sous le bras, il est difficile de choisir lequel aura la chance de bénéficier de l'obole d'une écoute attentive.
Intrigué par le petit jeu de mots du patronyme
King Mothership, le Roi Vaisseau Mère, et ayant écouté un premier extrait fort goûtu, je me suis jeté dessus en me disant : l'avenir du prog est sur cet album, il me le faut !
Et allez hop, interro surprise ! Ecoute de l'album entier, à l'aveugle en mode petit candide, pour ne pas avoir d'a priori. Avec stylo à la main, pour prendre studieusement des notes. Vous avez 48 minutes !
Cependant, les premiers titres me plongent dans le doute ; me serais-je trompé de copie ? Car l'exercice est plutôt dans un style pop metal fusion fourre-tout, entre
Faith No More,
Incubus et Muse, qui m'a aussi fait penser aux Italiens de
Destrage ("The
Devil's Train"), avec en sus des relents de glam pour hommes à la
Skid Row. C'est pas très prog en fin de compte, même si les structures et la richesse de l'orchestration les rapproche du style en question.
Mais tout de même, la production pète à la gueule, avec un son de batterie très naturel et puissant, et une voix très très (très) bien mise en valeur, et pour cause, le chanteur fait preuve d'une hallucinante versatilité vachement virevoltante. Si vous êtes batteur ou chanteur, n'oubliez pas le rouleau de sopalin, car cet album sera pour vous une gourmandise quasi pornographique.
En revanche, les six cordes sont en retrait, régulièrement supplantées par la basse, les synthés ("Only You", "Babby"…). Parmis les autres instruments, les pianos rutilants ont une place de choix dans les thèmes et les couplets, et renforcent la teneur en mélodies hautement mémorisables. Pour le contenu riffesque, on est dans un travail simple et efficace, les noms de
Incubus ou
Beartooth me sont venus à l'esprit, avec une petite sauce néo/metalcore pour relever le tout.
Mais
King Mothership ne fait pas dans le simpliste, en témoigne le gros travail d'arrangements, qui peut rappeler un Silverchair époque "Diorama" ("
Hope"), Queen, ou même The Mars Volta, et les premiers
Haken avec les références cinématographiques appuyées à l'univers de Tim Burton. La mise en scène est aussi développée par des instrumentaux courts, mélodiques, bien fichus ("
Hope", " Good
Night My Darling", "Imminent Distortion").
Ici donc, peu de noirceur et de colère, tout respire l'entrain, la bonne humeur communicative, qui vire même parfois à la niaiserie inconséquente (les synthés bontempi horripilants de "Gold" ou "Death
Machine"). Quelques sautes d'humeur viennent heureusement mettre des coups de pied dans les tibias, comme les courts passages velus et méchants de "Cosmic
Meltdown" ou "
The Ritual".
Et…enfin… en dernier titre, alors que je ne l'espérais plus, je tombe sur les huit minutes gargantuesques qui m'ont amené ici : "I Stand Alone" qui donne l'idée de ce que ça ferait si
Haken, Muse et
Faith No More se réunissaient pour faire du gros prog, aussi plombé que jouissif.
Le plus marrant dans les blind tests, c'est quand on enlève le bandeau des yeux. Je ne vous ai pas présenté les musiciens de
King Mothership, et je n'avais aucune idée de leur identité. Le chanteur caméléon me rappelait tour à tour
Sebastian Bach (pas le compositeur, hein), Matthew Bellamy,
Mike Patton (ses pétages de plomb), Cedric Bixler-Zavala (ses envolées stratosphériques),… Et ça avait plus la gueule d'un album solo pour tout dire, tellement on a affaire ici à de vraies chansons, où la voix est au centre de tout. Le lièvre a été levé quand j'ai regardé un walkthrough batterie de "Death machine" : j'ai trouvé que le gars ressemblait beaucoup au batteur de Per...
Trêve de suspense,
King Mothership est bien le side-project de Spencer Sotelo et de Matt Halpern, respectivement chanteur énervant et batteur réjouissant de
Periphery. Vous aurez remarqué que je n'ai à aucun moment cité le combo de Misha Mansoor :
King Mothership n'a musicalement rien avoir avec le Djent, et c'est tant mieux.
Car depuis 2011, Spencer Sotelo avait dans l'idée de faire un projet parallèle où il pourrait mettre toutes les idées qui ne cadraient pas avec
Periphery. Il lui donna d'abord le nom de "The mothership" et fit des démos de ses morceaux entre les tournées du groupe. Diffusées sur le net (on peu encore les écouter sous le nom ThoSe FucKing HoRses), elles se sont rappelées à son bon souvenir régulièrement, au point qu'il concrétise la finalisation de ces titres en un album. Il faut dire, précision qui ne manque pas de piquant, que certains titres des morceaux originaux étaient rallongés de façon potache ("Gold" s'appelait "Golden Shower", et "Babby" "How is Babby Killed",…). S'il a enregistré l'écrasante majorité des instruments, Spencer s'est naturellement entouré de son compère Matt Halpern pour les parties batterie -dans la confidence depuis le début, ainsi que de Tai Wright (
Slaves) pour la plupart des parties de basse. Sur l'album, le guitariste virtuose australien
Plini s'est chargé du solo de "I Stand Alone".
Le moins qu'on puisse dire, c'est que Spencer Sotelo et ses potes se sont fait plaisir avec cet opus. La performance du chanteur est bluffante, et c'est de loin le meilleur album qu'il aît enregistré. Il aurait donc été dommage de laisser ces chansons au stade de démo, car elles sont ici magnifiées. On pourra regretter, sur la longueur de l'album, le manque de méchanceté au profit systématique de la mélodie, du baroque voire du roccoco, on frôle l'indigestion de sucreries, alors que les meilleurs titres de
King Mothership sont à mon avis les plus péchus, "Death
Machine" et "I Stand Alone" en tête. Les influences sont aussi un peu trop voyantes, même si elles sont du meilleur goût, et parfaitement intégrées aux compositions.
Même s'il ne sera pas le futur du metal progressif, il n'en reste pas moins que
King Mothership tranche avec bonheur avec tout ce qui se fait ces temps-ci, et est, malgré ses défauts, le parfait exemple du bon usage du side-project. Alors que certains dont je tairais le nom font en solo une version fade et émasculée de leur groupe originel (merde, je ne voulais pas parler de
Stone Sour, mais oups, c'est fait), Spencer Sotelo a eu le courage de sortir des sentiers battus, réussissant un premier album rafraîchissant comme une bonne limonade maison sous une canicule implacable.
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