Marty Mc Flaille n'avait jamais vieilli. Depuis des années, il était resté ce qu'on appelait, dans l'ancien temps, un Hardos. Il avait une veste à patches, ses longs cheveux jadis roux étaient maintenant d'un gris jaune pisse, et il vivait toujours chez sa maman, qui faisait le tapin-tracteur sur la RD946. Ça paie bien, tant qu'ils pensent pas à écrire à l'Amour est Dans le Foin.
Il venait de recevoir un CD par la poste, le dernier album de
Mr Bungle, "
The Raging Wrath of the Easter Bunny Demo". Il l'avait posé sur la table, tremblant d'impatience, et il avait appelé son meilleur ami, le Doc pour partager ce moment rare.
Le Doc frappait justement à la porte, qui s'ouvrit en claquant la gueule du chat. Il avait un bon coup de pied. C'était un genre de savant fou, mais aussi un érudit du métal. Ses cheveux étaient hirsutes, mais d'un blanc ivoire ; le jaune pisse, c'était plutôt pour ses dents.
Il montra l'objet du doigt, puis, regardant mieux, écarquilla les yeux :
Doc : C'est... "
The Raging Wrath of the Easter Bunny Demo" !
Marty : "The Raping Bath of the Hipster Funny Bedo" ?
Doc : Mais non, Marty, "
The Raging Wrath of the Easter Bunny Demo" !
Marty : P'tain, un nouveau
Mr Bungle, ça fait 20 ans qu'on attend ça, on se le met ?
Doc : Mon jeune Marty, ne mets pas ce disque ! Si l'album "
The Raging Wrath of the Easter Bunny Demo" rencontre la démo "
The Raging Wrath of the Easter Bunny" , tu risquerais de provoquer une rupture du continuum de l'espace temps !!! Regarde !
Le Doc tenait une cassette dont le boîtier était encore sous un cellophane alimentaire scotché terni par les ans.
Marty : "
The Raging Wrath of the Easter Bunny" en cassette !
Doc : Oui, mais je ne l'ai jamais écoutée,
Mr Bungle a changé l'avenir du metal. Mais c'est parce que personne ne connait "
The Raging Wrath of the Easter Bunny". Viens avec moi.
Le Doc était venu en voiture, mais ce n'était pas une voiture normale, c'était une Kangoo à remonter le temps. Le Doc mit une pile à Uranium Appauvri dans le carburateur hautement modifié du véhicule, qui s'échauffa à la température de 475 degrés, alors que son pouce et son index luisaient en émettant des petits craquements.
Doc : Tu dois absolument revenir en 1986, et tout faire pour leur donner envie de jouer du ska ! Sinon, le monde du métal tournera en rond, et on aura encore cette saloperie de revival speed metal.
Cinq minutes plus tard, la Kangoo disparut sur la RD946 dans une gerbe d'étincelles à la vitesse de 88km/h, faisant avaler de travers Ginette Mc Flaille qui finissait son dernier client.
Marty Mc Flaille était un vieil ado, mais
Mike Patton est vraiment un sale gosse. L'inclassable et volubile chanteur qui a explosé les frontières du metal avec
Faith No More n'a eu de cesse que de repousser ses limites, et celles de la musique au passage.
Comme si l'avant gardisme de FNM ne suffisait pas, le turbulent Mike a eu de nombreux projets parallèles, comme Fantomas,
Tomahawk, Peeping Tom, Lovage (avec Dan The Automator),
Dead Cross, ou Dillinger
Escape Plan qu'il avait dépanné de chanteur sur son premier EP. Mais l'exutoire le plus extrême était
Mr Bungle, avec lequel il a officié depuis 1985. Avec des potes de lycée, Trey Spruance (guitare) et Trevor Dunn (basse), ainsi que Jed Watts (batterie) et Theo Lengyel (clavier, sax), Mike formait un groupe où se mêlaient Thrash , speed et hardcore. Ils enregistrèrent une première démo dans leur garage, avec des lumières multicolores pour faire style on est en concert. Cette démo s'appelait :"
The Raging Wrath of the Easter Bunny".
Un son de fond de garage, mais miraculeusement audible, si on est habitué au son pourri. Déjà, une véritable intro, des morceaux violents mais structurés, des samples ...
Le groupe enregistra ensuite deux autres démos, où s'ajoutèrent plus tard d'autres styles disparates : funk, jazz et surtout ska.... Puis,
Faith No More, en quête d'un chanteur depuis le départ de Chuck Moseley, tomba sur les démos de nos gais lurons. L'histoire du metal bifurqua, nom de
Zeus.
Mr Bungle continua sa route en sourdine, dans les trous d'agenda de ses membres, trouvant au passage un deal avec une major, Warner Bros Records, avec laquelle ils ont sorti trois albums, en bénéficiant d'une liberté totale de création.
Et ils en profitèrent : l'album éponyme, sorti en 1991, mélangeant ska, jazz et thrash dynamita les conventions musicales de l'univers connu. En 1995, son deuxième opus "
Disco Volante" réduisit les bouts qui restaient en bouillie et en fît des patchworks. "
California" (1999) était au delà de l'inclassable, et proposa une promenade presque pop, délicieusement tordue dans une musique sans limites.
Après la tournée de "
California", en 2000 chacun répartit de son côté, et le groupe ne se reforma qu'en 2019, pour trois concerts pour lesquels le trio
Mike Patton, Trevor Dunn, et Trey Spruance recruta Dave Lombardo (
Slayer) à la batterie, et Scott
Ian à la guitare. Leur projet : rejouer la démo "
The Raging Wrath of the Easter Bunny". Peu après ces concerts en février 2020, la formation se retrouva en studio. Ce Line-up alléchant a donc réenregistré la quasi totalité de sa fameuse démo, comment s'appelle-t-elle déjà... "
The Raging Wrath of the Easter Bunny", à l'exception du seul titre expérimental de celle ci "
Evil Satan ", qui était, avouons-le, une partouze mal branlée de styles musicaux, avec saxo et perçus, où même Mike chantait à l'arrache.
La fameuse démo datant de 1986, cette version réenregistrée et augmentée nous replonge donc dans cette époque. Les adeptes de l'agression auditive à l'ancienne seront à la fête, avec du Thrash/Hardcore rappelant le mythique pionnier des 80's, S.O.D. dont on retrouve les riffs à pogo et les breakdowns à moshpit ("Anarchy UP your Anus").
L'autre influence majeure étant le Thrash slayerien période
Hell Awaits/
Reign in
Blood, où le jeu de Dave Lombardo rappelle de vieux souvenirs (cette façon inimitable de fritter la ride sur les parties rapides...). On pense aussi à la fougue bordélique du
Metallica de
Kill'em All, dans la simplicité évidente de certains riffs et mélodies ("
Loss of Words"), ou aux premiers
Overkill (ces gros lâchers de guitare avec une basse à la DD Verni qui cavale derrière, sur "Methematics").
Il y a heureusement bon nombre de passages mid-tempo ou lourds, des harmonies de guitare tordues ("Grizzly Adams"), et quelques solos épileptiques ("Spreading the Thighs of Death"), qui nous évitent de tomber dans le coma sous l'avalanche de coups. Les structures de morceaux sont aussi assez complexes, et riches en rebondissements ("Methematics"), qui sont les prémisses des élucubrations alambiquées à venir (ou passées) pour le combo.
Les titres rajoutés pour faire bonne mesure restent dans la même tonalité thrash/hardcore rapide et datent de la deuxième démo ("Glutton for
Punishment", le barré "Methematics" qui finit en sale bad trip). Le titre "
Eracist", fait à partir d'idées de
Mike Patton à cette époque, se démarque avec sa lourdeur à la
Anthrax, et son refrain scandé en chœur. Enfin, deux reprises de S.O.D et Corrosion of Conformity viennent compléter le tableau, déjà bien chargé.
Alors que la règle veut que des morceaux rapides soient courts, le groupe balance la purée sur la durée (ça rime), avec des marathons de baston (ça rime aussi) qui dépassent parfois les cinq à sept minutes. Il faut dire qu'avec des gars aux poignets en titane comme Dave Lombardo et Scott
Ian, ils peuvent se le permettre. C'est d'autant plus impressionnant que l'album a été capté en conditions live, ce qui ajoute encore en spontanéité, s'il y en avait besoin.
Ceux qui en avaient marre du
Mike Patton crooner vont pouvoir se repaître des éructations du chanteur le plus barge du metal. Il garde un niveau de sauvagerie constant, ainsi qu'un débit très (voire très très très) rapide ("Sudden Death", ). Cependant, il ne se démarque pas du chaos ambiant, un comble quand on connaît la présence et le charisme du bonhomme.
Le son est, évidemment, très brut et bétonné dans les médiums, avec une prédominance des guitares rythmiques. La batterie a un son mat -on reconnaît à peine le son de caisse claire si caractéristique de Lombardo. La basse est tout de même largement audible, même si elle suit majoritairement les six cordes. La voix de Mike, comme je l'ai évoqué plus tôt, ne se détache pas comme elle le fait dans ces autres projets, et est mixée un peu en dedans.
Dans l'absolu, tout cela nous rapprocherait plus de
Dead Cross, le side-project où figuraient déjà
Mike Patton et Dave Lombardo, qui était tout à fait dans cet état d'esprit... Si ce n'est que l'album de
Dead Cross était aussi brutal, mais bien plus barré et imprévisible, donc plus proche de l'esprit de
Mr Bungle, qu'il ne l'est lui même. Vous pouvez relire cette phrase. Et qui sait, ça aurait peut être été là le deuxième album de
Dead Cross si l'idée de départ n'avait pas été de réenregistrer cette fameuse première démo de
Mr Bungle, si différente de tout ce qu'ils ont pu faire d'expérimental par la suite. Mais je ne fais là qu'une conjecture gratuite et sans aucun fondement.
Pour résumer, c'est typiquement un album à riffs , brutal et frénétique, comme il pouvait en sortir à l'époque des débuts du thrash. Alors, où est donc passé le capharnaüm stylistique du groupe ? Où sont les mues schizophrènes de la voix de Mike le taré ? Où est passée l'audace perverse du combo ? Il n'y en a pas grand chose ici, je vous rappelle que la machine à remonter le temps est bloquée en 1986, à cette époque, ils n'étaient pas devenus complètement barges, Marty. La touche ska qui enflammait l'album au
Clown est sporadique, et les quelques incursions en dehors du monde de la violence éruptive sont des plages où les guitares s'harmonisent, et les solos où Trey Spruance revient à ses premières amours de shreddeur..
Avec l'album "
The Raging Wrath of the Easter Bunny Demo", qui est surti sur Ipecac Recordings, les américains ne font pas du
Mr Bungle, et la plupart des fans du combo farfelu risquent de ne pas y retrouver leur compte. En revanche, si on le considère comme un brûlot thrash bourrin et juvénile, il concentre la quintessence de la chose, jouée avec une furie communicative. En fin de compte, Trey, Trevor, et Mike, refont juste la musique qui leur a donné envie de jouer et de faire des concerts, en 1986, avec leurs idoles de l'époque, Dave Lombardo et Scott
Ian. Un album de fan.
Jour de Pâques 1986,
Eureka, quelque part au nord de la Californie. 15h09
Marty Mc Flaille a enfin trouvé LE garage où répète
Mr Bungle. Sa Kangoo à remonter le temps avait survécu au voyage temporel, et avait eu la bonne idée d'apparaître en Californie, et non en Ouzbékistan. Ca avait été tellement facile qu'il a cru être encore en 2020. Miraculeusement, le GPS de son portable avait trouvé des satellites ad hoc pour effectuer leur triangulation. Il se faufila dans le jardin.
Washington, 15h35 :
Le Pentagone a déclenché une réunion d'urgence avec tout l'état major pour trouver quelle puissance étrangère a eu accès à ses satellites militaires dernier cri.
1986,
Eureka, 15h40 :
Cela faisait une demi-heure que le groupe répétait, et Marty se demandait comment changer le cours de l'Histoire. Il avait abandonné l'idée de rentrer dans le garage et de dire à
Mike Patton de chanter comme Sinatra. Il était caché à proximité, derrière un arbuste du jardin. L'ouragan sonore s'arrêta, et on entendit des rires et des éjections de capsules de bière. Une guitare sèche avec deux cordes cassées reposait contre le mur, à quelques mètres. Marty s'en saisit, chanta quelques secondes de "La Cucaracha" en jouant le seul accord qu'il connaissait.
2 Décembre 2020, Crouchieu-sur-bouse, 23h20 :
Le Doc vit une voiture bardée de tuyaux qui se garait dans sa cour. Marty sortit de la portière coulissante en faisant avec ses doigts les cornes du malin.
Marty : J'ai réussi, Doc ! Par contre, je viens de me faire contrôler par les flics, ils m'ont demandé ce que je faisais avec un masque, et je leur ai montré mon attestation. Ils se sont foutus de ma gueule, il y a pas de Coronavirus, ou quoi ? Ils m'ont dit aussi que ça existait pas, les Renault Kangoo. Je leur ai dit que c'était un prototype. Alors, Doc, l'Histoire du metal, c'est bon ?
Doc : Le metal ?
Plus personne n'en fait. Depuis 20 ans au moins, à partir de la 3eme Guerre Mondiale. T'as écouté le dernier
Kurt Cobain ? Il fait du Rn'B,
Courtney Love doit se retourner dans sa tombe.
Marty :
Plus personne ? Mais c'est pas possible...
Plus de metal...
Doc : Ah, si, il y a ça. Ça vient juste de sortir, j'ai le CD, regarde : "
The Raging Wrath of the Easter Bunny Demo".
Samolice, Y_RPLEUT et David_Bordg : Merci de vous être poilés, j'avais bien envie de dire des conneries sur ce coup-là, et c'est un peu ça l'esprit Mr Bungle...
Scoss: oups oui, j'ai tout décalé d'un an... des séquelles du voyage temporel, je suppose !
Excellent man et on a décoché la même note. Bises.
Voilà une chro qui m à fait acheter un skeud, et quel régale, je pense à suicidal tendencies des débuts, à du slayer old school, a anthrax période eighties letout avec la " Patton touch" voilà comment faire du neuf avec du ( des..) vieux, dans mon top 3 de 2020 avec ohms de deftones et throes of joy.. de Napalm death
Suite aux 3 perles venues d’un autre univers sorties dans les 90’s, un retour du combo était totalement inespéré… Belle surprise !!! Agrémenté au passage de 2 tueurs qu’il est ici inutile de présenter, a l’écoute du skeud et des styles proposés, l’évidence s’impose sans tergiversation. Comme cité dans la Chro de JED » Ceci n'est pas un album de Mr Bungle »…pas si sur au final. A contrario ce « retour vers le futur mon cher Doc » m’a replongé (sans utilisé ma DeLoeran au demeurant), plus de 30 ans en arrière (et la flamme ne s’est pas encore éteinte), époque béni des dieux sur l’autel de cette zic que j’affectionne particulièrement. Très bon skeud et à contre courant de la morosité « musicale » ambiante. Ce « Sudden death » d’anthologie !!!! Quelle belle année 2020.
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