Pour répondre à cette question, direction le Minnesota pour rencontrer le duo de deathcore symphonique Synestia. Formé depuis seulement quatre ans, le collectif a pourtant fait forte impression avec un premier opus Maleficium qui fait partie des meilleures sorties de 2022 aux côtés de
Lorna Shore ou de
Shadow Of Intent. Avec la participation notable de Francesco Ferrini de
Fleshgod Apocalypse, notre petite troupe a pu montrer une facette assez inédite du death metal avec une influence classique et baroque non-négligeable. La réponse se trouve également du côté de nos voisins britanniques avec un autre projet, cette fois-ci solo, du même genre nommé
Disembodied Tyrant. Peut-être un peu moins marquant que son semblable américain, les deux EPs de l’artiste Black Mullins n’en demeurent pas moins d’excellentes productions.
Les deux formations ont décidé de s’unir et de publier un mini-EP de quatre titres du nom de
The Poetic Edda. Et autant vous dire que le résultat de cette association est bluffant, aussi bien techniquement qu’artistiquement parlant. On est généralement habitués avec le deathcore d’avoir des instrumentaux qui ne misent que sur la brutalité, la noirceur et l’oppression. Bien sûr, ces attraits sont toujours au cœur des compositions mais ils sont désormais accompagnés par des orchestres, des violons qui appellent à des sections mélodiques et intelligibles. Cet air de fraîcheur n’est qu’une simple curiosité car dès lors que cette harmonie fusionne avec la complexité des riffs de guitare, le tableau devient un décor surprenant et haletant.
Winter est sans conteste la meilleure illustration des deux savoir-faire, aussi bien dans son introduction que dans ses refrains, une virtuosité et des instants hors du temps.
Les structures et les écritures des morceaux font l’objet d’un véritable travail de minutie. Le mélange des styles offre une vue d’ensemble imprévisible et laisse place à une liberté totale de la part de nos musiciens. Le titre d’ouverture Death Empress suit à brio ce modèle : ainsi, après une fanfare entre classique, choeurs et metal, nous aurons l’honneur d’une première transition où les percussions sont aux premières loges avec une double pédale frénétique. Mais le point d’orgue de la chanson est sans aucune contestation possible ce breakdown d’une minute, à la fois expérimental et d’une animosité invraisemblable.
Outre les nombreux ralentissements, on constate des sonorités qui semblent sorties d’un conte imaginaire. En ce sens, on ne peut passer à côté des inspirations thall de
Vildhjarta qui permettent de la diversité et de la surprise dans une panne « conventionnelle » dans son exécution.
Les prestations vocales sont dans leur ensemble assez classiques, dans un growl qui nous est familier et qui n’affiche pas de grandes fantaisies. Comme pour la trilogie de
Pain Remains, la mélancolie aurait pu être renforcé par quelques esquisses au chant clair, une variété qui aurait été largement remarquée. Seule exception faite, le titre éponyme en collaboration avec Ben Duerr de
Shadow Of Intent nous introduit à une palette vocale plus étoffée. Comme à son habitude, le vocaliste nous laisse pantois devant une rapidité d’éloquence dont il est le seul à avoir le secret. Mais c’est surtout dans les « lows » que le chanteur montre ses meilleurs atouts, un exercice dont il excelle tout particulièrement.
L’apothéose de cette œuvre se déclare sur l’inconcevable final
Winter qui reprend en tout point les codes de la célébrissime saison de l’hiver de Vivaldi. L’orchestration est sublime, les orgues ouvrent un spectre presque funéraire à un temps déjà morose et l’exécution est tout bonnement remarquable. Les deux collectifs auraient pu se contenter d’un récital « métalo-symphonique » d’un niveau déjà abyssal mais c’était sans compter une panne digne d’une fin du monde. L’absence de tout espoir, les chœurs de plus en plus éloquents, le tempo languissant ainsi que la dureté vocale assignent un coup de maître à une fresque sensationnelle, toujours dans un cadre thall.
Nul besoin de faire un dessin sur ce
The Poetic Edda qui est une réussite totale et qui ouvre surtout une nouvelle porte au deathcore. Sans jamais renier à la virulence et à l’intensité instrumentale, Synestia et
Disembodied Tyrant ont relevé le défi fou d’accorder cette puissance par des invitations classiques et baroques inhabituelles mais ô combien précieuses. Pendant plus de vingt minutes, les deux troupes nous tiennent en haleine avec des compositions de haut vol et avec un renouvellement de tous les instants. Il ne reste plus qu’à voir où ce deathcore symphonique peut nous amener le temps d’un album complet. Dans tous les cas, ce mini-EP est un passage obligé pour tous les amoureux de la musique classique et du deathcore.
Chronique nickel comme toujours, pour ce qui est du mariage deathcore/symphonique c était attendu depuis que certains groupes ont commencé à incorporer des nappes de claviers orchestrales comme ce fut le cas jadis pour le black et plus tard le death. Ici le mélange est excellent, pas surchargé, moderne, novateur en restant fidèle aux codes du genre... du très très bon !!
Merci beaucoup pour cette très belle chronique, qui m'a permis de me prendre la claque de l'année. Ce n'est pourtant pas un style auquel je suis toujours sensible, mais alors là, je n'exagère pas en parlant d'orgasme auditif. Ces 20 minutes vont rester gravées, avec une seule envie : y revenir. Alors pour ça, Groaw, je te remercie infiniment ! Et vais de ce pas me pencher sur ces deux groupes.
Ce sera vraissemblablement l'enregistrement de l'année 2024 pour moi. Et merci pour tes chroniques toujours aussi érudites et remarquablement bien rédigées.
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