Si l'on devait tirer un bilan de l'évolution de la scène
Metal française au cours des années 2000 les mots qui reviendraient le plus souvent seraient très certainement : créativité, technicité, puissance et originalité. Derrière les locomotives
Gojira et
Dagoba, de nombreux groupes comme
Scarve,
Hacride,
Eths,
Klone ont réussi à imposer leur style personnel en repoussant à chaque fois les limites de la créativité musicale. Néanmoins, cet élan de créativité ne s'est pas restreint à la partie visible de l'iceberg et a également sévi dans l'underground.
C'est donc en 2005 qu'
Aabsinthe, obscur combo de Saint Etienne, a sorti son premier album, autoproduit et intitulé
The Loss of Illusions. Paru à peu près en même temps que le titanesque From Mars To
Sirius de
Gojira, cet album est passé relativement inaperçu malgré de nombreuses critiques élogieuses sur les webzines et dans les magazines spécialisés.
Et pourtant la musique des stéphanois vaut le détour. Pour faire simple, disons qu'
Aabsinthe joue du
Death Metal atmosphérique et technique, car la musique du groupe est en réalité d'une richesse incroyable et difficilement catégorisable. En effet on peut y déceler des influences diverses telles qu'
Opeth pour les morceaux longs et non linéaires,
Meshuggah pour les polyrythmies,
Dark Tranquility et
In Flames pour les mélodies,
Death pour la complexité des structures ou encore
Isis et
Neurosis pour certaines atmosphères. Autant dire qu'avec de telles influences,
Aabsinthe ne se contente pas de plaquer trois accords derrière un blast uniforme pendant qu'un ours des cavernes hurle d'incompréhensibles histoires de zombies cannibales sodomisés par des tronçonneuses. Non!
Aabsinthe c'est une musique profonde chargée d'émotions, dont la complexité ne renvoie qu'à la complexité des sentiments dont elle traite. Au détour de rythmiques plombées aux changements surprenants, de mélodies désenchantées, d'atmosphères maladives, de hurlements plaintifs, la musique d'
Aabsinthe prend vie. Au cours de morceaux dont la durée moyenne dépasse allègrement les 6 minutes,
Aabsinthe entraîne l'auditeur dans un voyage sombre et intemporel, dans un trou noir, vers la fin de ses illusions
comme le suggère le titre de l'album.
Pour appuyer son propos, le groupe n'hésite pas à varier d'un morceau à l'autre mais à également proposer de nombreuses variations au sein d'un même morceau. Au milieu de rythmiques dévastatrices et de mélodies stratosphériques, surgissent de surprenants breaks acoustiques, des passages superbement chantés, des mélodies cristallines de piano ou encore des expérimentations à base de bruitages appuyant les ambiances.
Il serait vain de proposer une description détaillée de chacun des morceaux tant ceux ci sont complexes et progressifs. Néanmoins, l'on pourrait citer
Near Death Experience comme l'un des plus représentatifs de l'album avec sa rythmique "meshugguesque" qui finit par laisser place à des structures progressives et mélodiques avant de s'achever sur un piano plaintif qui égrène des arpèges mélancoliques. Citons également l'excellent Bleeding
Faith avec son riff d'intro tout droit venu de Göteborg, certes un peu cliché mais brillamment réutilisé tout au long du morceau, et son break post-core qui n'aurait pas fait tache sur un album d'
Isis. Les dix minutes du très tribal
The Great Escape, qui s'achèvent sur un piano presque symphonique, constituent également l'un des temps forts de cet album épatant.
Le travail de composition fourni sur ce premier album est par conséquent remarquable. Le groupe met sa qualité de composition pour écrire et interpréter des structures complexes au service de la musicalité et non l'inverse. Avec un niveau technique largement au dessus de la moyenne, les musiciens brillent; particulièrement les guitaristes qui offrent des parties de guitares travaillées et des soli magnifiques tandis que le batteur épate par sa faculté à multiplier les changements de rythmes et la richesse de son jeu.
Le principal défaut que l'on pourrait reprocher à cet album est sa production.
En effet, le son des guitares est parfois un peu sale, le chant manque de puissance et la basse ne ressort pas énormément. Mais lorsque l'on sait qu'il s'agit d'une autoproduction on finit par se dire que cela serait merveilleux si elles étaient toutes de cette qualité. Enfin quelques changements de rythme parfois un peu trop brutaux peuvent paraître incongrus et déroutants. Des erreurs de jeunesse que l'on pardonne très vite au groupe tant ce
Loss Of Illusions déborde de qualités et s'avère passionant du début à la fin.
Pour premier essai,
Aabsinthe a réalisé un véritable coup de maître et a prouvé, une fois encore que la scène
Metal Française en 2005, n'avait plus rien à envier à celles de ses voisins européens. Le meilleur album de
Metal extrême français de 2005 avec From Mars To
Sirius de vous savez qui.
PS: Les zombies sont pas cannibales voyons, ils mangent des humains, pas d'autres zombies !
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