Ce n'est pas parce qu'un phénomène est rare qu'il ne se répète pas. Ainsi, le groupe de heavy metal irlandais
Celtic Legacy (prononcez "Keltic
Legacy") a déjà connu par trois fois la tristesse du split puis deux fois l'euphorie de la reformation. Cette fois-ci n'est pas une reformation à proprement parler, mais cette reprise des activités était pour le moins inattendue, car la cassure de 2009 s'était produite entre les deux membres principaux du groupe, Dave "Slim" Boylan et Dave Morrissey. Les deux assuraient ensemble la cohésion du groupe à chaque reformation, mais 2009 a été la rupture définitive. Pour ce qui est de l'histoire complète du groupe, je vous invite à lire la chronique de
Resurrection, pour n'avoir qu'à résumer ici les derniers événements.
Resurrection sort donc dans les bacs fin 2003, et reçoit contrairement à son prédécesseur un accueil assez enthousiaste. Il est cité par plusieurs magazines et fanzines parmi les meilleurs albums de l'année, la plupart du temps hors d'Irlande. C'est un album dégageant une magie pure, associant la beauté de l'âme celtique irlandaise à la puissance du heavy metal. Un réel chef d’œuvre. Mais malgré cela les difficultés continuent, les maisons de disque ne veulent toujours pas d'eux. Le groupe connaît donc des problèmes de financement et de fortes tensions, qui aboutissent à peine un an plus tard à l'éclatement du line-up. Le groupe a quelques sursauts, jusqu'en 2007, année de la deuxième reformation (vous suivez jusque là ?), en grande partie aidée par une deuxième compagne de fonds organisée par des fans décidément très fidèles.
Le nouveau line-up se compose, comprenant toujours les deux Dave, et au chant un certain Ciarán Ennis.
Guardian of Eternity sort le 5 mars 2008, après de longues années de travail, de sueur, et d'investissement, aussi bien humain que financier. Le 7 mars l'album est disponible sur les sites de partage illégaux. Si on entend beaucoup les grands groupes râler contre le téléchargement illégal, se ne sont pas eux qui en souffrent le plus, et
Celtic Legacy en est l'exemple-type. En presque vingt ans d'existence le groupe n'a jamais pu signer le moindre contrat avec une maison de disque, tout est donc auto-financé, par prêt bancaire ou appel aux dons. Et malgré un succès évident, les irlandais n'ont jamais pu récupérer les fruits de leur musique. Pire : l'album
Resurrection, du fait de son succès et de son faible tirage est vite sold out ; il obtient le statut de rareté, et se négocie plusieurs fois aux alentours de 2000€ sur ebay, alors que les musiciens se retrouvent criblés de dette au même moment.
Qualitativement,
Guardian of Eternity en lui-même n'atteint honnêtement pas le niveau de
Resurrection. L'ensemble est bon, on reconnaît bien la patte
Celtic Legacy, mais paradoxalement l'album semble avoir été réalisé un peu vite. On note quelques longueurs, des passages assez convenus, et des vocaux parfois pas très ajustés. Ces efforts ne sont pourtant pas suffisants pour continuer à exister, car en 2009 le quintette cesse toute activité, à la base définitivement.
Mais tout n'est pas fini. Fin 2010, début 2011, comme atteint d'une mystérieuse maladie, Dave Morrissey ne peux pas s'empêcher de composer. Il compose de nouveaux morceaux typés Heavy mélodique, son genre de prédilection, mais sans penser à ce moment au nom de
Celtic Legacy. Il s'occupe aussi bien de la guitare que de la basse et de la batterie (lui qui n'est à l'origine que guitariste). Il commence donc un nouveau projet en collaboration avec le prolifique vocaliste californien Martin DeBourge (chez Kantation récemment), mais ce dernier finit par laisser tomber, ayant trop de travail. Dave recontacte donc Ciarán Ennis pour poser ses lignes de chant sur les compositions, et celui-ci accepte. Dave dit que c'est à partir de ce moment, se rendant compte qu'il se rapprochait de plus en plus du son de
Celtic Legacy puisqu'il intègre l'ancien chanteur, qu'il choisit de relancer le groupe. Il ne voit toutefois pas ces événements comme une reformation, et ne sait pas non plus s'il continuera avec
Celtic Legacy. Un premier single,
My People, sort donc digitallement en août, à la surprise générale, sans aucune autre information. Petit à petit des précisions sont distillées, au compte-goutte, par le biais de la page facebook ou d'un nouveau site web. On apprend alors l'arrivée prochaine d'un nouvel album, joliment intitulé
The Lie of the Land, et bien évidemment encore une fois totalement autoproduit. Seulement 250 albums seront pressés, par manque de moyens mais aussi par sécurité, car il reste encore des cartons entiers de
Guardian of Eternity qui n'était sorti lui qu'à 1000 exemplaires.
The Lie of the Land.
Ce qui frappe tout d'abord, c'est le visuel beaucoup plus sombre, moderne et froid que sur les précédents albums. Pour information, une autre image avait été choisie au départ, représentant la célèbre femme à la harpe irlandaise, mais d'une part Dave Morrissey risquait des ennuis concernant les droits de l'image, et d'une autre part il y avait la volonté de rafraîchir le monde de
Celtic Legacy : "Nous avons trois albums où on parle de batailles épiques, cette fois-ci nous avons voulu nous moderniser un peu". Le livret contient ainsi plusieurs images d'un monde post-apocalyptique, avec toujours cette figure de l'homme au masque à gaz, mais aussi d'autres plus apaisantes faisant référence à l'héritage celtique du groupe.
Les influences celtiques n'ont d'ailleurs pas été abandonnées, et cela s'entend au titre d'introduction
Awakening, assez sombre par quelques claviers mélancoliques, mais plus joyeux d'un coup, comme pour montrer qu'il y a encore de l'espoir. Le morceau éponyme déboule, sans interruption, et impose un riff sérieux mais très mélodique, que l'on pourrait croire tiré du tout premier album de
Celtic Legacy sorti en 1998. Les vocaux de Ciarán Ennis sont bien mieux assurés que sur
Guardian of Eternity, et il paraît bien plus à l'aise ici. Son timbre très clair s’ajuste parfaitement à la musique de Dave Morrissey, et parvient presque à nous faire oublier le surpuissant Mark Guildea présent sur
Resurrection. La production elle aussi s'est améliorée et modernisée par rapport aux albums passés ; ce n'est plus la guitare légèrement sous-mixée de
Guardian of Eternity, ce ne sont plus les petits grésillements de
Resurrection, et ce n'est plus non plus le son façon live de l'album éponyme. La guitare sonne beaucoup plus propre, tout en gardant un petit côté eighties qui ne fait pas de mal ; et la batterie est parfaite, bien mise en avant comme il faut ;-) .
Cependant, en dépit d'une modernisation et de progrès évidents la patte de
Celtic Legacy est toujours présente, offrant de magnifiques mélodies entraînantes et de subtiles envolées guitaristiques . On retiendra notamment le très bel instrumental aux fortes influences celtiques
Reckless Abandon (référence directe à Slóidephuch Dóin) ou les divers soli, assez lents d'une manière générale mais particulièrement soignés :
Emerald Eye, le très aérien et divin
My People ou le plus complexe Ghosts of the
Past.
D'une manière générale on se situe plutôt dans la continuité de
Guardian of Eternity, c'est-à-dire avec un heavy metal classieux et mélodique, loin de la rage plus naturelle des deux premiers albums. On peut bien sûr regretter de ne pas voir Dave Morrissey revenir vers ces deux albums qui étaient exceptionnels (au moins pour
Resurrection), mais il faut bien avouer que dans son style, ce
The Lie of the Land est vraiment pas mal. On pourrait voir cet album comme un
Guardian of Eternity plus poussé, plus et mieux travaillé, et bien évidemment modernisé. Les irlandais n'hésitent pas à développer leurs mélodies sur la longueur, notamment sur
The Body and the
Blood (une tradition chez CL, la mini-épopée de onze minutes) qui voit en son centre un très beau passage instrumental et léger. De nombreux morceaux tournent autour des six ou sept minutes, et on en comprend tout l'intérêt quand on écoute la superbe ballade
Journey's
End.
Celtic Legacy ne renie pas non plus son héritage heavy, en témoignent la foultitude de passage pouvant évoquer Iron Maiden, que ce soit pour les doubles guitares ou pour le chant de Ciarán (on jurerait entendre Dickinson période
Seventh Son sur le single
My People). On note de la même manière quelques influences des albums solo de Ronnie James
Dio ; moins de
Thin Lizzy en revanche, qui est pourtant une référence pour monsieur Morrissey. Pour en finir avec les références, notons que le titre
Emerald Eye est dédié au fabuleux guitariste nord-irlandais
Gary Moore, qui est lui aussi une influence notable. Citons en vrac
Distant Shores et son riff d'ouverture magique, ou encore Ghosts of the
Past, l'un de meilleurs moments pour son break de milieu.
Le doute m'assaille soudainement : ai-je le droit de reprocher des choses à cet album ? Comprenez, le statut de
Celtic Legacy est délicat : ce n'est pas une reformation officielle, et personne, même pas Dave lui-même, ne sait si le projet aura une suite. D'une part il est difficile de critiquer ce disque si c'est effectivement le tout dernier, un peu comme il est difficile (et malpoli) de dire du mal d'un récent défunt ; et d'une autre part si on émet des reproches, cela les poussera-t-il à continuer l'aventure (avec tout les soucis que cela comporte) ?
Cet album est clairement un bon album, mais pas excellent, aussi je tente ma chance, en espérant très fortement que cela aura une petite conséquence sur la décision d'un futur album. S'il y a une chose dont cet album manque, c'est d'hymnes fédérateurs, tels Celtica,
Live by the
Sword ou encore Shine, au refrain catchy. L'ambiance est peut-être plus posée et réussit bien, mais il manque parfois d'une petite touche d'agressivité. Au niveau du chant de Ciarán je pense aussi qu'il y a moyen de s'améliorer ; j'ai parfois l'impression qu'il se retient, qu'il ne se lâche pas totalement. En cherchant la petite bête je trouve le livret pas super bien foutu, les images étant belles mais pas du tout cohérentes entre elles.
Voilà, c'est dit,
Celtic Legacy nous offre là un très bon retour, mais je suis intimement convaincu que Dave et Ciarán peuvent faire encore mieux. Vous m'entendez ? S'il-vous-plaît, continuez à composer et à sortir des albums !
Sortir cet album est déjà une prouesse en soi, surtout quand on connaît les antécédents du groupe. Il y a le courage, et la ténacité.
Celtic Legacy c'est les deux à la fois. Ce quatrième album ne fut pas non plus une sinécure. En juin dernier Dave pensait sortir l'album en juillet/août, et celui-ci ne sort finalement qu'en novembre. À l'heure actuelle,
The Lie of the Land n'est sorti qu'en format physique, car aucune des grandes plate-formes de téléchargement légal ne veux pour le moment proposer l'album à l'achat, et ce pour des raisons inconnues. Dave Morrissey se bat en ce moment même pour que son disque soit distribué correctement, et quand on sait ce qu'il vaut, le jeu en vaut la chandelle.
Je souhaiterais terminer sur une citation du même Dave Morrissey, à propos de
Resurrection, mais qui à mon sens est encore valable aujourd'hui : "I have never regarded success in life by how much money I can make, but by the sense of achievement I take from it. Sure this albums may sell a few copies, but that's not my main concern. If by releasing this album we produce some music that someone, somewhere likes to plays and enjoys listenning to, then that for me is what it's all about."
The Lie of The Land, est un pure chef d'oeuvre aux ambiance celtique me rappelant le grand Thin Lizzy, mais en plus Heavy.
Depuis je n'arrête plus d'écouter ce groupe !
Un grand merci LeLOupArctique pour cette découverte.
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