Nouvelle figure du metal symphonique à chant féminin, c'est non sans une certaine et légitime prudence que les membres pourtant aguerris de ce vert quintet gibraltarien se sont lancés dans la fosse aux lions. Sorti de terre en 2013 à partir d'un souhait communément partagé de se consacrer à la reprise de plusieurs titres emblématiques de
Nightwish, le groupe conférera tout naturellement une dimension orchestrale à son projet musical ; une orientation stylistique faisant de lui la figure de proue du metal symphonique de cette modeste enclave britannique du Sud de l'Espagne...
Ce faisant, le combo ne réalisera son propre répertoire qu'un an plus tard, le temps pour lui d'affûter ses riffs, de sculpter judicieusement ses lignes mélodiques et d'affiner le trait de sa plume. Etat de fait qui ne l'empêchera nullement d'enchaîner ses démos, et ce, dès 2015, à l'instar de l'entraînant «
Wonderland », titre démo auquel en succéderont deux autres, « Memories » et «
Forbidden Lore », jouissant chacun d'une large approbation de l'auditorat et ayant permis d'accroître leur visibilité médiatique. Bien qu'elles fussent enregistrées avec des moyens limités, et ce, dans la salle de répétition du groupe lui-même, ces pistes ont pu bénéficier d'un temps d'antenne sur les radios argentines, britanniques et espagnoles. De modestes mais seyantes offrandes qui lui permirent parallèlement de se produire auprès de
Saxon au ''
Hard n Heavy'' Festival à Gibraltar et de partager l'affiche avec
Kings Of Leon et Duran Duran au Gibraltar Music Festival en 2015. Fort de ce background studio et scénique, le temps semble désormais venu pour nos acolytes d'essaimer leurs riffs, de faire rugir plus fort leurs guitares et plus largement entendre leur voix.
Il aura fallu patienter la bagatelle de deux années avant de voir le collectif revenir dans la course avec, sous le coude, son premier et présent album full length, «
The Edge of Innocence », signé chez le puissant label allemand Pride & Joy Music. Un pulsionnel, sensible et enivrant effort où se conjuguent les talents de la soprano au cristallin grain de voix Divi Cano, le claviériste et orchestrateur Glenn Cano, le guitariste Paul Cano, le bassiste Darren Fa et le batteur Mark Brooks. Co-mixées et mastérisées par Vladislav Tsarenko et l'expérimenté guitariste/claviériste/vocaliste Brett Caldas-Lima (
Kalisia, guest chez
To-Mera,
Megadeth,
Agora,
Malmonde...), également connu pour avoir mastérisé certains albums de
Ayreon, Elessär,
Season Of Tears,
The Gentle Storm,
Elyose, parmi tant d'autres, les 10 pistes de l'opus jouissent d'une production d'ensemble ne souffrant dès lors que d'infimes sonorités résiduelles.
C'est le plus souvent au cœur d'un rock'n'metal mélodico-symphonique classique et progressif, dans le sillage de
Within Temptation,
Nightwish,
Xandria,
Mattsson et
Delain que nous plongent les 54 palpitantes minutes de la galette, au sein desquelles nombre de magmatiques et truculentes plages, dont quelques pépites essaimées çà et là sur notre parcours. Ainsi, au regard de son refrain immersif à souhait, de ses enchaînements intra piste ultra sécurisés et de ses enveloppantes nappes synthétiques doublées des fluides inflexions de la déesse, l'entraînant et ''delainien'' «
Forbidden Love » ne saurait être éludé par l'aficionado du genre. Par ailleurs, non sans renvoyer à un
Within Temptation millésimé « The
Silent Force », le vitaminé «
Lilith », lui, déverse ses riffs corrosifs adossés à une rythmique résolument frondeuse tout en suivant une sente mélodique des plus ensorcelantes. Et la sauce prend sans tarder, une fois encore.
Quand le convoi orchestral ralentit un tantinet sa course, le combo trouve là encore matière à nous assigner à résidence. Ce qu'attestent, tout d'abord, son tout premier jet, «
Wonderland », tout comme l'opulent et soyeux «
Embracing Fantasy », deux tubesques mid tempi à mi-chemin entre
Delain et un
Within Temptation de la première heure. Pourvus d'un entêtant riffing et de refrains d'une redoutable efficacité relevés par le léger vibrato de la sirène, ces deux hits en puissance ne se quitteront qu'à regret. Dans une même énergie, on retiendra également le chevaleresque et ''mattssonnien'' « Game of
Life » eu égard à son inspirant cheminement d'harmoniques, son martelant tapping et sa mélodicité toute de nuances drapée. D'autre part, octroyant d'insoupçonnées montées en puissance de l'instrumentation doublées d'un flamboyant solo de guitare, et voguant sur un grisant sillon mélodique sur laquelle se greffent les pénétrantes patines de la belle, le ''therionien'' mid tempo progressif « The
Fallen » dévoile d'aussi séduisants atours. Enfin, surmonté de gracieuses gammes au piano et d'un fin legato à la lead guitare, l'orchestration ouvrant peu à peu et judicieusement ses ailes, le mid tempo progressif et syncopé «
Nile Goddess » ne saurait davantage être esquivé, loin s'en faut.
Lorsque les lumières se font tamisées toutes tensions s'évanouiront d'un coup d'un seul, le collectif nous adressant par là même ses mots bleus les plus sensibles. Aussi, à l'aune de ses délicates séries d'accords, d'un piano/voix pétri d'élégance et d'une montée en régime du dispositif instrumental à laquelle on ne s'attendait pas, la ''xandrienne'' ballade atmosphérique et progressive « Memories » se jouera de toute tentative de résistance à son assimilation, y compris de la part des âmes les plus rétives. Et comment ne pas se sentir happé par les vibes enchanteresses infiltrant la troublante ballade atmosphérique gothique « The
Legend & the
Myth » ? Escortées d'une muraille de choeurs, les cristallines volutes de la maîtresse de cérémonie font mouche où qu'elles se meuvent.
Mais nos acolytes n'auraient pas dit leur tout dernier mot... Aussi, comme pour compléter un tableau déjà richement orné, nous ont-ils concocté une pièce metal symphonico-progressif d'anthologie ; exercice de style souvent appelé de leurs vœux mais redouté par ses pairs, et relevé de main de maître par nos valeureux gladiateurs. Et ce, à l'instar du titre éponyme de l'opus, «
The Edge of Innocence », une fresque épique, altière et rayonnante déversant ses quelque 8:28 minutes d'un spectacle aux multiples coups de théâtre. Dévoilant à la fois des arrangements orchestraux de fort bonne facture, une technicité instrumentale difficile à prendre en défaut, une mélodie d'une confondante limpidité où viennent se greffer les sensuelles impulsions de la princesse, et une dynamique d'ensemble propice à un headbang subreptice, c'est dire que le ''nightwishien'' effort n'a tari ni d'allant, ni de panache. Et il y a fort à parier que la touche play du lecteur cd du chaland se réenclenchera sitôt l'ultime mesure de l'orgiaque et délectable pièce en actes envolée...
A l'issue d'un périple jalonné de moult terres d'abondance, un doux sentiment de plénitude nous étreint. Ayant diversifié son luxuriant et poignant propos sur le plan rythmique et suffisamment varié ses exercices de style pour éviter tout effet de stéréotypie, dévoilant parallèlement une technicité instrumentale aguerrie et une empreinte vocale aussi magnétique qu'identifiable, ainsi qu'une ingénierie du son plutôt soignée, le combo n'a nullement tari d'atouts pour compter tenir en respect les
Beyond The Black,
Elvellon,
Sleeping Romance et autres
Metalwings et
Walk In Darkness.
Il lui faudra toutefois consentir à l'une ou l'autre prise de risque, se départir un tantinet de ses modèles identificatoires et étoffer son répertoire de duos et/ou instrumentaux afin de conférer davantage d'épaisseur artistique à son projet. D'autre part, le collectif se fera fort d'octroyer une atmosphère plurielle à son message musical pour envisager d'emporter plus largement l'adhésion. Mais l'inspiré quintet a encore bien le temps d'affiner le trait et de revenir dans l'arène muni d'un arsenal renouvelé et peut-être plus efficace encore. Etat de fait qui n'a cependant pas empêché la troupe de signer-là une œuvre forte, susceptible de la propulser parmi les sérieux espoirs de ce registre, et dont la concurrence pourrait bien avoir à se méfier. Sans doute la première page d'une histoire au long cours écrite par le talent gibraltarien...
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