Dans un univers musical où le metalcore semble parfois s’essouffler sous le poids de ses propres codes, certains groupes redonnent du souffle au genre. Parmi eux,
Landmvrks s’impose aujourd’hui comme l’un des porte-étendards les plus percutants de la scène française, et ce bien au-delà de nos frontières. Fondé en 2014 à
Marseille, le groupe a su en quelques années à peine fédérer une communauté fidèle autour de son identité sonore unique, un savant mélange de breakdowns massifs, de mélodies accrocheuses, de saturation viscérale et de textes sombres et cathartiques.
Si leurs débuts étaient marqués par l’énergie brute et les influences hardcore, c’est avec une évolution progressive et remarquablement maîtrisée que
Landmvrks a façonné une signature de plus en plus personnelle et ambitieuse qui mêle une rage post-hardcore, quelques mouvements deathcore et une inspiration neo metal fortement semblable à
Linkin Park, notamment sur les registres vocaux. C’est avec
Lost in the Waves, leur troisième album paru en 2021, que
Landmvrks franchit un véritable palier artistique. Le disque condense tout ce qui fait la force du groupe avec une production chirurgicale, une alternance constante entre fureur dévastatrice et mélodie mémorable ainsi qu’une écriture qui gagne en profondeur émotionnelle.
Et ce n’est clairement pas
The Darkest Place I’ve Ever Been, quatrième opus de nos musiciens, qui vient s’égarer de cette sensibilité. Au contraire, l’œuvre creuse davantage un sillon introspectif et audacieux au sein d’une atmosphère neurasthénique et dense. Notre vocaliste et frontman Florent Salfati explore des thématiques personnelles parmi lesquelles la douleur, la perte ou encore l’isolement, des pensées particulièrement touchantes et empoignantes.
Rien que le nom du morceau éponyme traduit lui-même cette souffrance, cette solitude presque étouffante dans laquelle le groupe plonge sans détours. L’ouverture expose une vulnérabilité brute, d’abord douloureuse par ces quelques riffings songeurs avant rapidement de basculer vers une forme de violence et de morosité par ces attraits black metal. La suite de la composition est davantage traditionnelle jusqu’à l’arrivée du breakdown où le déchirement arrive à son paroxysme, où les ténèbres n’ont jamais semblé aussi profondes et hantées.
Dans la même veine,
Creature prolonge ce voyage intérieur avec une intensité tout aussi saisissante mais en y ajoutant une dimension plus frontale, presque bestiale. Les riffs sont tranchants, les percussions sont frénétiques et installent une tension presque palpable. Le chant se veut agressif et rugueux comme pour exprimer un mal-être qui ne peut plus être contenu. Le titre illustre parfaitement la dualité au cœur de l’album, de cette lutte constante entre le monstre intérieur et la volonté de le dompter. Le refrain détonne par sa clarté mélodique et contraste furieusement avec la brutalité des couplets. Cette opposition, loin d’affaiblir le morceau, lui offre au contraire une puissance émotionnelle décuplée.
C’est sans doute avec sa Valse Du Temps que le quintet s’avère le plus bouleversant et aborde l’intimité sans le moindre tabou. La chanson marque une véritable rupture telle une respiration suspendue au milieu du chaos. Le temps de l’introduction et de l’outro, le collectif abandonne les artifices du metalcore pour laisser place à quelque chose de plus épuré, de plus poétique et fragile composé de quelques notes de piano, d’un chant « rappé » à nu et d’un texte ciselé chargé de douleur. Florent Salfati y chante le passage du temps, la perte et le regret sous une pudeur rare dans ce registre. Le choix de la langue maternelle octroie aux paroles une résonance viscérale, comme un moment de grâce suspendu, une cassure volontaire dans la dynamique de l’opus, comme si nos Marseillais se permettait enfin de déposer les armes, de ne plus crier mais simplement murmurer ses blessures.
À l’opposé total de cette accalmie,
Requiem vient tout ravager sur son passage. Probablement le morceau le plus impétueux de l’album, il incarne à lui seul cette colère à vif qui couve sous la surface du disque. D’emblée, les riffs ultra-saccadés presque mécaniques claquent comme des coups de masse, tandis que la batterie martèle sans relâche et laisse peu de place à la respiration. Le chant est ici poussé à l’extrême et flirte avec le deathcore pur dans une déferlante sonore qui évoque une forme d’apocalypse intérieure. La troupe s’essaye même à quelques expérimentations, en atteste un Sombre 16 où le beat lourd, les scratches discrets et l’ ambiance urbaine/hip-hop saturée dédient un hommage subtil à Session de
Linkin Park.
L’album se ferme brillamment sur
Funeral, un titre qui agit comme un épilogue funèbre à ce voyage intérieur torturé. Sans chercher le spectaculaire, le morceau adopte une posture lente et solennelle. La production s’y fait plus ample, le piano et le chant résonnent dans un espace saturé d’écho, comme si le combo jouait dans une pièce vide face à lui-même. Il ne s’agit plus ici de crier sa douleur, mais de l’accepter, de l’embrasser peut-être dans ce qu’elle a de plus froid et de plus inévitable.
Landmvrks signe Avec
The Darkest Place I’ve Ever Been son album le plus abouti, le plus courageux et sans doute le plus remarquable de sa discographie. En allant puiser au plus profond de ses douleurs, le groupe parvient à transcender les codes du metalcore pour livrer une œuvre personnelle, grave, mais d’une puissance émotionnelle rare. Chaque titre est pensé, ciselé, et surtout incarné car il ne s’agit pas simplement de jouer fort mais surtout d'être honnête dans ses propos, ce que le quintet réalise d’une main de maître ici.
Avec leur quatrième esquisse, les Français ne confirment pas seulement leur statut d’outsider du metal(core) français puisqu’ils rivalisent avec les meilleurs sur la scène internationale et s’imposent comme un groupe incontournable, autant pour la brutalité de sa musique que pour la sincérité de son discours.
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