"Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faîtes s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux."
A.Rimbaud (1871)
Le plumage de l'aigle nocturne reprend des couleurs passant du noir brillant au rouge enflammé,
Physiology Of Darkness s'est réveillé. Sorti de nulle part, le regard acéré, l'esprit vivifié, Baltack, la lance et le bouclier de PoS, signe un acte de foi hér(m)étique prêt à déclencher la Croisade des Esprits déchus. Cette renaissance totale demeure l'une des surprises que couvait l'underground français en 2015. En effet,
The Dark Lake, attendu depuis plus de 5 ans, est le témoin d'une coûteuse et irréversible métamorphose, alimentée par des séparations nécessaires, et d'autres accidents de la vie, conférant un sens, mais surtout une valeur unique à une création tout droit sortie de l'Abîme.
L'album s'ouvre sur une introduction particulièrement épurée : un feu crépitant, de funestes croassements, puis un concert de chants luciféro-grégoriens évocateurs, le décor sonore emblématique d'un rite ancestral où la faiblesse humaine n'a pas sa place. Une fois le coup de semonce tiré, on retrouve nos repères avec ces influences norvégiennes assumées (
Burzum et
Darkthrone en tête de liste), mais quelque chose a changé, là tout au fond du puits des âmes, le Feu sacré étincelle à nouveau, et avec lui une puissance inégalée fait son apparition. Cette dernière s'appuie sur une armature rythmique écrasante qui s'enfonce en profondeur dans vos entrailles avant de libérer des vocalises empoisonnées, renforcées par des lignes de guitare acoustique et de clavier qui font surgir de l'ombre un black metal rugueux aux atmosphères occultes tour à tour oppressantes et envoûtantes.
The Dark Lake se démarque grandement de son prédécesseur,
Lunar Trinity, non seulement par cette nouvelle puissance qui décuple le côté atmosphérique, mais aussi par une homogénéité entre les morceaux, à l'origine d'une cohérence implacable et synonyme d'unité enfin trouvée. C'est tout naturellement qu'on ressent une véritable harmonie tout au long de l'album qui semble aller bien au-delà des morceaux, signe de la naissance d'un collectif à part entier. Si Baltack incarne Physiology, ayant écrit et composé intégralement
The Dark Lake, il a su s'entourer d'une équipée sauvage de haut vol, Herra Hauss a repris le chant en lieu et place de Fix qui continue de hanter l'underground canadien, Workan (guitare), Jarl Edvard (guitare) et Heimgardh (batterie) aussi présent dans
Noctem Cursis. Cette unité qui se dégage dés les premières écoutes se fonde certes sur un collectif solide mené par des individualités expérimentées - notons la performance d'Herra Hauss, qui dans un registre grave et possédé parachève le travail de sape entamé par les chœurs glacés en arrière plan, plus efficace sur la longueur que les prouesses certes hors-normes mais parfois inadaptées de Fix; mais aussi grâce à une production vraiment à la hauteur du projet, ainsi que le choix judicieux de Victor Bullock (plus connu comme V.Santura, guitariste de
Triptykon,
Dark Fortress et
Noneuclid) pour le mastering au Woodshed Studio; et surtout car
The Dark Lake est à relier à une autre oeuvre, littéraire cette fois, "Le lac noir ou le sorcier de Myans", d'Henry Bordeaux, roman datant de 1903 qui nous replonge dans le passé et les pratiques occultes qui avaient cours en Savoie encore au XIXe siècle.
The Dark Lake est un album inespéré qui révèle toutes ses subtilités sur la longueur. Chaque nouvelle incursion auprès de ce mystérieux lac nous entraîne dans des contrées lointaines, froides et déshumanisées, sur lesquelles plane une entité puissante sournoisement à l'oeuvre qui vous enchaînera écoute après écoute. Un album majestueux prenant la forme d'un retour fracassant.
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