"Oh Mère de la nuit ! Le cercle de feu se dessine autour de moi
Minuit sonne et fait monter la rage de nos ancêtres..."
Dans les années 2000, la bannière du Corbeau flotte triomphalement au-dessus de Chambéry, devenue place forte du Métal Noir. Sous l'impulsion de leurs glorieux aînés,
Himinbjorg, toute une meute de jeunes loups attachés à reprendre les codes du genre sans les trahir, parmi lesquels Nehëmah,
Elhaz et Evohé voient leur ombre s'étendre peu à peu sur la montagne savoyarde. Derrière eux,
Physiology Of Darkness, Caïnan
Dawn et
Malmort se tiennent en embuscade, le couteau entre les dents. En réalité, la naissance de ces groupes provient de l'acharnement incurable d'une poignée d'hérésiarques alors investis d'une seule mission, imposer le black metal dans une région propice à l'isolement, à la réflexion et aux légendes noires.
Physiology Of Darkness prend sa source en
Lord Baltack, lui, et lui seul.
Lacus Mortus, première démo enfantée en 2007 (initialement distribuée à quelques fidèles, puis tirée à 66 exemplaires, et enfin rééditée et remasterisée en 2015) a de quoi laisser perplexe tant le spectre musical semble étendu. Baltack se joue des genres et bâtit son style à partir d'un black metal atmosphérique mid tempo, qui n'hésite pas à emprunter des accords sortis tout droit de bande originale de western, pour mieux laisser planer des nappes de claviers dark ambient, et finir par s'orienter vers un rock gothique. Les influences se distinguent au fur et à mesure des écoutes, et si dès le départ la Scandinavie est mise à l'honneur, avec en première ligne la Norvège, on ressent très vite le poids de l'héritage allemand de
Lunar Aurora (
Elixir of
Sorrow). Mais en définitive, c'est plus au sud que l'intrigue trouve son dénouement. De
Moonspell (Irreligious), Baltack ne retire pas uniquement le côté caméléon affranchi des genres, il emprunte également la dimension théâtrale, et avec elle, une dramaturgie blasphématoire, à l'origine du développement, en argentique, de véritables paysages sonores. Vous l'aurez compris, les jalons sont posés, et la voie de
Lunar Trinity toute tracée...
Nouvel envol près de 3 ans plus tard avec un premier album, sous la forme d'un duo cette fois, puisque Baltack s'adjoint les services de Fix (Neurasthene, Depravation, Hymen...) esprit tourmenté échappé pendant quelques heures de son Québec glacial pour venir s'écorcher la voix sur
Lunar Trinity. Ce dernier est un hommage à peine voilé rendu à la déesse Hécate, cœur de l'album. Cette déesse tricéphale (lion, chien et jument) originaire de Thrace, représente un point de confluence des énergies, où se rencontrent l'Ombre et la Lumière dans un fracas perpétuel, où les règles de l'équilibre et la domination sont remises en jeu cycliquement. De par ses liens étroits avec chaque pôle de la Dualité, Hécate est à la fois protectrice et bienveillante, mais aussi traîtresse et redoutable, adorée par certains, crainte par d'autres mais honorée de Tous en Asie Mineure lors des Hécatésies. C'est la face obscure qui sera explorée sur cet opus, éclairant avec subtilité les caprices de la Magicienne de l'Ombre qui commande les apparitions nocturnes, Maîtresse des spectres et des fantômes, à l'origine des cauchemars et terreurs nocturnes chez l'homme.
Musicalement, l'album est une poursuite et un accomplissement du travail antérieur présent sur la démo. On retrouve les mêmes éléments affinés, des ambiances profondes et habitées, sur des riffs et des rythmiques ultra classiques mais toujours efficaces qui enracinent ces ambiances malveillantes à souhait. L'album évolue perpétuellement, et selon les morceaux, laissent les atmosphères s'inscrire en vous, et vous brûler lentement au fer rouge, ou lors des phases d'accélération vous foudroyer à coups de double pédale salvatrice secondée par une basse qui sonne votre glas. Autre point fort, au-delà des atmosphères, ce sont les textes recherchés, en français, qui accompagnent l'auditeur résonnant comme une sublime offrande à Hécate. Cela ne s'arrête pas là, puisqu'un soin tout particulier a été apporté à la confection du livret, de la pochette et des photos, bref l'objet à lui tout seul révèle l'authenticité de l'engagement qui anime Baltack, clef de voûte de ce projet. A noter les présences rampantes de deux compagnons d'infortune, Samigina (
Elhaz) à la production et Asylum Sanctuaria (Anarkia), au chant. Maintenant, ce qui empêchent l'album de pouvoir vous arracher à vous-mêmes et en faire une œuvre définitive, ce sont les voix. On sent que le duo ne fait pas toujours cause commune, et cela au-delà des qualités indéniables qu'apportent les deux parties. La performance de Fix, et la surexploitation des différentes lignes vocales étouffent à bien des moments l'envol de
Lunar Trinity, et de ce fait, empêchent les parties instrumentales, de devenir des intermèdes incontournables à travers ce qui prend des airs de cacophonie.
En conclusion, pour un premier album,
Lunar Trinity dans sa sphère, force le respect, et révèle les grandes qualités d'un underground savoyard par trop méconnu.
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