The Ark Work

ajouter les paroles de l'album
ajouter une chronique/commentaire
Ajouter un fichier audio
12/20
Nom du groupe Liturgy (USA-1)
Nom de l'album The Ark Work
Type Album
Date de parution 24 Mars 2015
Style MusicalBlack Avantgardiste
Membres possèdant cet album3

Tracklist

1. Fanfare 02:21
2. Follow 03:30
3. Kel Valhaal 07:10
4. Follow II 07:29
5. Quetzalcoatl 04:47
6. Father Vorizen 05:58
7. Haelegen 02:54
8. Reign Array 11:35
9. Vitriol 05:21
10. Total War 05:05
Total playing time 56:10

Acheter cet album

 $15.00  14,92 €  14,65 €  £9.98  $14.95  113,01 €  149,99 €
Spirit of Metal est soutenu par ses lecteurs. Quand vous achetez via nos liens commerciaux, le site peut gagner une commission

Liturgy (USA-1)


Chronique @ randolphcarter

29 Août 2015

À quoi tout cela a-t-il abouti? À un mème, ni plus ni moins.

Si vous avez ne serait-ce que jeté un oeil à la section commentaires de n'importe quelle vidéo Youtube consacrée à Liturgy, vous n'aurez pas manqué de remarquer à quel point ce groupe et sa production peuvent être controversés. Les dizaines de tweets, commentaires et articles déclarant en substance "Je n'aime pas le Black Metal, mais pourtant j'adore "The Ark Work"" ne vous auront pas non plus échappés.

"Pourtant".

Comme si "The Ark Work" pouvait innocemment être jugé selon des critères communs aux autres albums de Black Metal, genre auquel il n'appartient d'ailleurs pas à proprement parler.

"The Ark Work" est en effet la dernière évolution en date du Black Metal Transcendantal, genre inventé par Hunter Hunt-Hendrix (que nous appellerons par la suite HHH par souci de brièveté) en réaction contre le reste du Black Metal dit "Hyperboréen" par opposition à "Transcendantal". En dépit de son nom, le Black Metal Transcendantal n'est PAS un sous-genre du Black Metal, mais appartient en fait au registre du Rock Progressif, dixit HHH. "The Ark Work" étant à ce jour l'incarnation la plus aboutie du genre, l'aborder comme un album de Black Metal serait quasi-absurde, et il n'y a rien de surprenant à ce qu'il ait trouvé son public auprès de hipsters New-Yorkais plutôt qu'auprès des metalleux auto-proclamés.

"The Ark Work" est ainsi nommé parce qu'il constitue une tentative de création d'une Gesamtkunstwerk (oeuvre d'art totale) de la part de HHH, et ne peut donc légitimement pas être considéré comme un simple album, mais plutôt comme un phénomène culturel polymorphe. Pour juger "The Ark Work" de façon juste, intègre et charitable, il faut donc prendre en compte l'idéologie dont il est la manifestation, son créateur, son esthétique visuelle, et la masse des réactions et commentaires qu'il a suscités depuis sa sortie. Tout l'inverse d'un album ordinaire, que l'on doit s'efforcer de séparer de son contexte si l'on espère pouvoir faire preuve d'impartialité.

Examinons donc "The Ark Work" en sachant ce qu'il est sensé être, ce que les gens en pensent, à quoi il ressemble et à quoi il a abouti.

En termes très succincts, le Black Metal Transcendantal cherche à créer une esthétique de la sainteté et de l'exaltation quasi-religieuse à partir des éléments détournés d'un art pourtant consacré à la haine, à l'amertume et au sacrilège. Finalement, il s'agit d'un méta-sacrilège que HHH nomme "re-nihilation" ou sacrifice du Black Metal. Les réactions violentes qu'il a suscitées sont donc parfaitement compréhensibles, puisque son entreprise artistique consiste métaphoriquement à castrer un loup pour en faire un chien. Mais passons, l'intention primaire est au fond de créer quelque chose d'entraînant, de joyeux, de grandiose, de triomphant et de romantique, tout en étant fermement ancré dans la réalité plutôt que dans un arrière-monde fantastique. D'autres l'ont fait (Fanisk, Spite Extreme Wing, Samael) avec succès sans pour autant défigurer le Black Metal. Telle est pourtant l'intention avouée de HHH.

Musicalement, cela se traduit en premier lieu par un son résolument et volontairement synthétique. En somme, il réinvente le fameux son "raw" du Black Metal en remplaçant la saleté abrasive de l'analogique par la clarté criarde du numérique, audible dès le morceau d'introduction, "Fanfare". Il faut évidemment y voir un clin d'oeil (hommage serait un bien grand mot) au morceau éponyme de Bathory; mais là où Quorthon parvenait à nous faire oublier que son "orchestre" était en fait un synthétiseur médiocre grâce à ses harmonies épiques et passionnées, HHH fait exactement l'inverse. Il démultiplie et superpose la même boucle sonore avec l'insistance maniaque d'un Laspalès tamponnant un billet de train, de façon à bien nous faire comprendre que nous sommes au XXIème siècle, que les musiciens ne sont pas des guerriers vikings et que maintenant, on fait de la musique avec des ordinateurs, en recyclant des segments sonores, parce qu'on est post-modernes.

Et c'est là que le bât blesse. Tous les efforts que HHH déploie pour créer des progressions harmoniques exaltantes et chargées d'émotions puissantes sont systématiquement désamorcés par ses tentatives également acharnées de mettre en évidence l'artificialité de sa musique. Impossible, en écoutant "The Ark Work", d'oublier qu'il a été composé et arrangé sur ordinateur par un petit-bourgeois qui passe son temps sur internet et prend des selfies dès qu'il sort de chez lui. Difficile alors de prendre au sérieux sa musique et les sentiments qu'elle s'efforce bien maladroitement de communiquer. Difficile de s'élever vers les hauteurs de l'idéalité, de s'imprégner de la ferveur et de l'innocence d'un coeur pur, lorsque la moindre mesure nous rappelle la médiocrité et la facticité du monde auquel il appartient. Ceci est d'autant plus évident que les titres des morceaux font référence à une mythologie faite maison par HHH à partir de ses lectures mystiques, et n'ayant apparemment d'autre but que d'ajouter un arrière-plan fictionnel à son album.

On se rappelle alors les propos polémiques de HHH concernant le manque de sincérité des blackeux et leurs tentatives de se réfugier dans des fantasmes pseudo-magiques, et son innocence nous apparaît alors comme un curieux mélange de délire vindicatif et de naïveté qui n'est pas sans évoquer Buffalo Bill et son costume de femme.

Mais revenons à la musique. La clarté numérique mentionnée plus haut s'étend à chaque aspect de l'album: les guitares ont un son remarquablement doux et net, totalement dépourvu d'agressivité. Elles sont complétées à l'envi par des cornemuses, carillons, cors et autres violons, tous numériques, dont l'absence de profondeur et de richesse sonore les empêche d'atteindre le volume grandiose propre au Black Metal Symphonique qui avait pourtant inspiré HHH. Ce dernier a d'ailleurs abandonné le râle d'agonie au profit du gémissement lascif. Encore une fois, il est tentant de rapprocher sa performance vocale du chant clair de Quorthon, qui possédait les mêmes inflexions nasillardes, à ceci près que HHH semble s'ennuyer à mourir et ne tente à aucun moment d'approcher la puissance émotionnelle et la complexité mélodique de Bathory. Il ne chante pas, il geint, et ruine des morceaux aux progressions harmoniques pourtant intéressantes et inspirantes, quoique recyclées au moins trois fois d'un morceau à l'autre.

Là où "The Ark Work" se distingue positivement et mérite d'être complimenté, c'est dans son traitement des rythmes. Comme dans les albums précédents, Liturgy utilise son fameux "burst beat", qui n'est rien d'autre qu'un blast beat dont le tempo change très fréquemment de façon à créer une dynamique musicale supplémentaire. La structure traditionnelle du Metal reposant sur une répétition de riffs stables organisés en couplets et refrains vole en éclats. Non pas que "The Ark Work" soit un magma continu de mélodies et de rythmiques toujours changeantes, mais plutôt que tout y est susceptible de devenir un motif sonore répété et recyclé à volonté sous différentes formes et à différentes vitesses, résultant en des tendances Djent d'autant plus curieuses que les sonorités ne s'y prêtent pas; la longueur très variée des morceaux (dont "Follow", existant en deux versions de longueurs différentes) est le symptôme de cette recombinaison structurelle, encore plus sensible que sur "Aesthethica". La participation de Greg Fox, batteur de Guardian Alien, à Liturgy, est à cet égard providentielle puisqu'il se montre tout-à-fait capable de suivre les altérations opérées par HHH.

La structure totale de l'album est donc beaucoup plus variée et dynamique que celle d'un album de Metal ordinaire, offrant autant de transitions élégantes que de ruptures dynamiques, les plus longs morceaux présentant une progression en intensité à mesure que les nappes mélodiques se superposent pour finir en fouillis d'artefacts sonores. "Father Vorizen", comme "Veins of God" dans l'album précédent, tranche quelque peu par ses influences stoner/doom, et permet de faire place nette pour la véritable pièce de résistance de l'album: "Reign Array" et son prologue "Haelegen". Lorsque s'achève "Reign Array", l'album semble complet et cohérent en dépit de ses faiblesses multiples.

Puis arrive "Vitriol".

"Vitriol" est un morceau de rap abstrait, et pas n'importe quel morceau de rap, mais bel et bien une "diss track" adressée aux détracteurs de HHH. Par-dessus des loops vaguement orientaux, HHH superpose des extraits de sa propre voix de façon semblable à "Harmonia", et rappe d'une manière particulièrement monotone et molle, apparemment dans le but de créer une sorte d'atmosphère mystique et rituelle sans doute inspirée du Cloud Rap, d'où le ton prophétique des paroles. Ce qui est un concept intéressant, hormis que HHH sonne davantage comme un drogué marmonnant des inepties dans son canapé que comme un devin entouré par ses disciples. Davantage d'énergie, et un peu de réverbération auraient sans doute amélioré le résultat. L'album se conclut avec "Total War", resucée d'un riff précédent mais néanmoins seul moment réellement émouvant de l'album, car quelque peu mélancolique. Il est évident que "Vitriol" et "Total War" ont été ajoutées après coup. Premièrement parce que "Total War" sert principalement à atténuer la bizarrerie de "Vitriol". Deuxièmement parce que "Vitriol" avait déjà été publiée sur Soundcloud par HHH des années plus tôt.

En tant qu'album, "The Ark Work" est un échec. C'est même un échec retentissant, ce dont HHH se satisfait d'ailleurs pleinement, non pas parce que l'exécution du concept est maladroite, mais parce que la méthode que Liturgy a mise au point est profondément et intrinsèquement bancale. On l'aura compris, le titre de l'album fait référence au Grand Oeuvre alchimique évoqué dans "Vitriol", mais il n'en demeure pas moins vrai que créer une symphonie romantique à partir des déchets de la civilisation post-digitale restera impossible tant que l'on s'obstinera à glorifier la culture d'où ils proviennent en abordant la création artistique sous un angle post-moderne, donc nécessairement ironique et désinvolte.

Ce que "The Ark Work" sacrifie en mordant et en authenticité, il le compense largement en effronterie et en entêtement. C'est pourquoi la majeure partie de son public est composée de hipsters en tous genres, pour qui l'authenticité n'est qu'une blague et la culture post-digitale un Eden prophétisé par HHH, messie bafouillant dont le tic de langage se retrouve jusque dans son nom, dans sa musique, dans sa mythologie et dans sa façon d'éditer ses clips et d'écrire sa poésie. Juxtaposer naïvement le profane et le sacré n'a pour eux rien de choquant et l'un mène directement à l'autre.

À quoi tout cela a-t-il abouti?

À un mème, ni plus ni moins. Telle est la nature du phénomène culturel polymorphe mentionné plus haut: une gaffe anecdotique transformée en blague à la mode par la seule force de la stupéfaction collective. HHH en a pleinement conscience, sa compagne actuelle l'ayant probablement initié à la Vaporwave, autre genre-mème dont il a emprunté le recours constant au recyclage de boucles sonores et à l'imagerie post-digitale.

La meilleure façon d'apprécier "The Ark Work" est donc encore de lire les montagnes d'absurdités écrites par son auteur pour les citer sarcastiquement, de singer son esthétique ridicule faite de bodybuildeuses en 3D, d'ampoules allumées et d'angelots en porcelaine, et évidemment de créer son propre Black Metal Transcendantal à partir de tintements de cuillères et de bâillements superposés. Il y a là un potentiel comique dont HHH n'a fait qu'effleurer la surface.

Si vous préférez écouter un Black Metal solaire, joyeux, exalté et solennel, aux rythmes changeants et aux structures non-conventionnelles, pourvu d'un véritable élan romantique tout en demeurant assez minimal et sans renvoyer au registre fantastique, écoutez Fanisk.

1 Commentaire

2 J'aime

Partager
eclectic - 29 Août 2015: Il est important d'expliquer ce qu'est un "mème", ce que signifient "baneposting" et "vaporwave". Merci.
    Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire