La spontanéité a un parfum de nostalgie. En généralisant un minimum la scène actuelle, on ne peut pas dire que les anciens groupes appliquant systématiquement la même formule ou les jeunes incapables de se détacher de leurs illustres influences n'aient quoi que ce soit de spontané. Pourtant, la spontanéité n'est-elle pas à la base du thrash ? Réécoutez
Kill'Em All, Show No
Mercy,
Game Over, Pleasure to
Kill et ses compères et réfléchissez à cette question.
Le
Suffering Hour d'
Anacrusis, c'est un album réalisé en une semaine dans un petit studio de
Kansas City, avec des enregistrements communs, proche du live et un minable budget de 1200 $ : si ce n'est pas de la spontanéité ça, c'en est au moins de la simplicité.
Pourtant, le nom du groupe ne laisse aucunement augurer de cette limpidité.
Anacrusis est un concept musical et poétique correspondant à l'ensemble des notes avant le premier temps fort d'un rythme, dont la première mesure commence par un silence. Autant dire que le concept à la base est complexe et certains passages de cet opus témoignent sans réellement les présager des élucubrations techniques futures. Malgré cela,
Suffering Hour se révèle être un exemple de franchise et de sincérité.
Le groupe décrit lui-même sa propre œuvre comme une sorte de ramassis de vieilles et nouvelles chansons, quatre seulement sur les neuf ayant été réellement écrites en tant que groupe. Tout cela bien entendu se ressent. Le final "
Annihilation Complete / Disemboweled" est d'une fougue juvénile sans limite : crachant les riffs thrash dans tous les sens, on se retrouve avec un morceau assez décousu mais qui se révèle être le plus diabolique de l'album. "R.O.T" est dans son registre également gratiné : typique d'un "Show No
Mercy" ou "
Hell Awaits" de
Slayer, il dégage un riff plutôt simpliste mais déchaîné.
Seul le titre "Present Tense" fait montre d'un travail en amont vraiment plus important.
Plus réfléchi que la moyenne de par ses multiples variations de séquence, il alterne le sombre par ses longs riffs posés et l'épique grâce à ses chants enivrants.
Justement, le chant de Ken Nardi est un véritable répertoire, ce dernier pouvant alterner des cris suraigus, du chant clair jusqu'à même un chant presque blackeux qui, allié au thrash de fond, rappelle un peu la haine dégagée par Don Dotty de
Dark Angel. "A World to
Gain", au solo si simple mais qui vise si juste, témoigne de son aisance à passer en revue toutes les gammes de sa voix.
A l'image de ce même chant, on assiste à une alliance entre du thrash mélodique et très extrême. En témoignent le contraste entre le titre "Frigid
Bitch", aux passages proches du thrash/black entrecoupés de séquences heavy et d'un refrain crossover, et le suivant "Fighting
Evil", véritable chef-d'œuvre épique à l'ambiance narrative tout en conservant une intransigeance qui fait penser à
Evildead.
Par moments, leur musique prend une dimension doomesque de par sa lourdeur (car de lenteur, il n'en est rien) comme dans l'entêtant "
Imprisoned", atteignant un summum sur "
Twisted Cross" qui peut remémorer les belles heures de
Seventh Angel et le sublime "
Lament for the Weary". Alliée à des soli basées sur une logique de répétition, cette lourdeur en devient même dantesque.
La production à la hauteur du budget qui lui fut attribué confère toutefois un son très particulier qui aurait pu marquer l'histoire du thrash s'il avait été un peu plus exploré par la suite. Par exemple, "
Butcher's Block", plus mid-tempo et heavy, joue à fond la carte du jeu d'ambiance un peu malsaine en mettant en opposition des passages plus clairs au chant.
Suffering Hour fut à
Anacrusis ce que A Tribute to
Insanity fut à
Hexenhaus : un premier album prodigieux, brut, sombre et inspiré, en décalage total avec les explorations des hautes sphères et autres envolées techniques du reste de leur discographie respective. Pourtant, pour l'un comme pour l'autre, ce ne sera pas ce son malsain qui resta dans les mémoires. Malgré ça et sans réellement s'en rendre compte, les américains pondirent un bijou qui marqua fortement une sphère un peu plus underground du thrash.
Superbe chronique d'un album qui mérite sa note. Singulier mélodique et agressif à la fois, le premier Anacrusis est de ces disques méconnus qui, grâce aux rééditions actuelles, beneficie d'un coup de projecteur bienvenu. Nécessaire même. Un 17/20 aussi, la suire de la discographie ne conservera pas l'agression déployée ici et c'est dommage, quand bien même les albums suivants seront de qualité.
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