Ce fut il y a une quinzaine d'années à peine : la préhistoire, l'aube des temps pour un genre musical qui ne portait encore pas d'appellation précise.
Un genre qui se présentait alors sous la forme d'un
Doom/Death battant des records de lenteur, surprenant par son aspect effroyablement rugueux et primitif, mais non dénué de mélodies, d'atmosphères éthérées et donc d'une certaine grâce.
La naissance de ce que l'on désigne aujourd'hui par le terme
Funeral Doom, célébrée par la publication de l'historique "
Stream from the Heavens" en
1994, l'œuvre de Niko Sirkiä (chant, claviers), Jori Sjöroos (batterie, guitare, chant) et Mikko Ruotsalainen (guitare), un trio finlandais sévissant sous le nom de
Thergothon et cherchant à se distinguer du
Doom/Death tel que pratiqué à l'époque par des groupes comme
Winter notamment.
Une œuvre qui demeurera leur seul et unique album, enregistré au cours de l'automne 1992 et qui eut toutes les peines du monde à voir le jour, le label italien
Obscure Plasma Records, devant initialement sortir l'objet, ayant muté en Avantgarde Music, et le groupe ayant même splitté entretemps.
"
Stream from the Heavens" initie donc l'éclosion d'une nouvelle branche du
Doom, en même temps qu'il constitue la toute première publication de Avantgarde Music, toujours actif aujourd'hui mais qui n'aura jamais aussi bien porté son nom qu'avec cet album au son original, dégageant des sensations inédites, mais si extrême pour son époque qu'il mit un certain temps avant d'être appréhendé et d'acquérir son statut culte.
Souvent décrit comme "l'album le plus dépressif de tous les temps", "
Stream from the Heavens" n'a pas usurpé sa réputation, même si la précédente qualification est quelque peu réductrice. Bien sûr, la lenteur de la musique, proprement inhumaine, donne une impression tenace d'accablement et de désespoir. Mais les six chapitres dont est constituée cette œuvre proposent bien plus qu'autant de chapes de plomb, car la musique de
Thergothon n'est pas la plus lourde qui soit en terme de son pur, le mixage étant relativement dépouillé, la basse absente et les guitares dotées d'une consistance rachitique évoquant davantage un cadavre décharné qu'un rouleau compresseur.
L'écrasement se fait ressentir au travers du mouvement d'ensemble de la charpente, des impulsions données par les riffs torturés et les battements s'égrenant au compte-gouttes, tandis que les nappes de synthés solennelles, éthérées, parfois accompagnées de leads mélodiques ou d'arpèges cristallins ("The Unknown
Kadath in the
Cold Waste", "Elemental", "
Crying Blood + Crimson Snow"), s'élèvent telle l'âme du défunt hors de son enveloppe corporelle.
Une dualité qui se retrouve au niveau du chant : la voix death, l'une des plus terrifiantes jamais entendue avec sa texture terreuse et glaireuse, est contrebalancée par une voix claire délivrant des mélopées funèbres sonnant comme l'ultime sermon.
Le terme "
Funeral" qui sera attribué par la suite à ce type de musique n'est donc aucunement galvaudé.
"
Stream from the Heavens", une référence, c'est indéniable, mais ce monstre n'est pas sorti de nulle part, les prémices de la démo "Fhtagn-Nagh
Yog-
Sothoth" (sortie en 1991 et comprenant notamment le morceau "
Evoken", dont un groupe de
Doom/Death américain reprendra le nom trois années plus tard) ayant annoncé son arrivée, à l'époque où
Thergothon était encore un quatuor avec Sami Kavieri au poste de guitariste. La musique revêtait une forme encore très primitive (peu de synthés, peu de chant clair, peu d'arpèges, et un son encore plus crasseux) qui collait à merveille à son thème lovecraftien.
Un embryon déjà marqué par l'empreinte du
Funeral, prédisant ce qu'allait être "
Stream from the Heavens" : un pilier que les finlandais de
Thergothon ont laissé au détour de leur bref passage dans l'univers du metal. Un pilier massif, à l'éclat sinistre, trônant dans la fange du
Doom, se posant en témoignage éternel d'une époque où le
Funeral n'en était qu'à ses balbutiements, une source d'inspiration pour de nombreux groupes dont leurs compatriotes de
Skepticism et
Shape Of Despair.
Le témoignage posthume de l'existence de
Thergothon, dont certains de ses membres s'en iront ensuite vers d'autres cieux : ceux de la coldwave atmosphérique et classieuse pour Jori Sjöroos et Niko Sirkiä (This Empty
Flow), et ceux de la musique électro psychédélique et expérimentale pour le second cité (Niko Skorpio).
RIP
Merci pour cette nouvelle découverte du territoire des ombres.
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