« Le plus long voyage, c’est celui à l’intérieur de soi-même »
Anaïs Nin
Le voyage introspectif. A l’intérieur de soi-même…le plus long, le plus périlleux et parfois même le plus suicidaire.
A travers des images non-évocatrices, forcément subjectives et non-conformistes, le chemin initiatique de sa propre personnalité se veut souvent aussi abstrait pour les autres qu’emplit de clarté pour soi-même, malgré son tracé serpentant.
La musique expérimentale n’a jamais été un art dans lequel il est simple de plonger. La musique instrumentale dispose aussi de cet aspect, sans le repère souvent vital qu’est le chant. Un jeune groupe toulousain,
Nojia, propose aujourd’hui un énigmatique et abscons premier album, comprenant ces deux étranges paramètres.
Chimère de l’esprit du guitariste Rudy Schwab, et du guitariste Mickaël André (initialement batteur du groupe mais aussi bassiste de Eryn Non Däe),
Nojia explore les tréfonds d’un monde musical obscur mais aussi lumineux, jouant douloureusement avec les contrastes et les antinomies, entre pulsions de violences maitrisées et envolées mélodiques d’une sensibilité à couper le souffle.
Répondant au nom mystérieux de "
Solarchitect", ce premier disque surprend par la maturité de son propos, par l’expérience et la maturité de la musique et d’un son déjà personnel et bien établi. On notera une production excellente, lourde et massive mais très claire, conférant à l’ensemble autant la possibilité d’écraser l’auditeur sous un magma de riffs lourds, disharmoniques et dissonants que de le laisser s’évader grâce à des horizons proche de l’ambiant.
Il semble presque logique, dans un premier temps et devant une masse musicale aussi compacte et monolithique, de tenter de comparer "
Solarchitect" à des noms déjà bien connus. Inévitablement, ce seront toujours les mêmes qui ressortiront, notamment
Neurosis,
Isis, Cult of
Luna ou les finlandais fous de Maygar Posse…
Néanmoins, nous avons constamment à l’esprit que
Nojia n’est pas un énième ersatz de ces groupes cultes de post-hardcore, mais une entité bien différente en bien des points.
Tout d’abord, il convient de souligner le fait que la musique de
Nojia soit bien plus progressive que les combos susnommés. Composé de cinq morceaux pour soixante-cinq minutes, on peut dire que
Nojia prend son temps pour développer ses atmosphères et ses thèmes musicaux, le faisant même parfois avec une approche cinématographique, proche d’une bande-originale désespérée et minimaliste.
Second élément d’une personnalité affirmée, malgré la dominante sombre qui émane évidemment de "
Solarchitect", l’atmosphère se veut parfois plus légère, avec des pans de compositions très lumineux, presque optimistes, se démarquant de l’ambiance plus foncièrement déprimante de
Neurosis et consorts.
Dernier élément de différence,
Nojia n’est pas expérimental pour l’être, et ne force jamais sa technique.
Catharsis d’esprits pas forcément tourmentés mais voulant extérioriser des démons intérieurs, le groupe toulousain laisse aller sa musique comme cette dernière veut grandir, au gré de ses envies et de ses besoins, et n’apparait plus que comme un vecteur pour la laisser s’exprimer en totale indépendance.
Solarchitect est une entité à elle-seule, indépendante et impressionnante de maturité.
S’il est presque impossible de décrire ou d’évoquer des titres en particulier, tant ceux-ci sont variés et changeants à l’intérieur d’eux-mêmes, on ne peut passer à côté de l’exceptionnel "Fracture" qui ferme le disque du haut de ses dix-huit minutes. Parfois proche de l’immense "Shifting" d’At the Soundawn dans l’utilisation de samples de cuivres, la musique évolue comme une grande et intense montée en puissance, qui ne demande qu’à exploser au fur et à mesure des minutes. Une mélodie, un fil rouge, revient tout au long des minutes mais constamment accompagner de plus en plus d’éléments, conférant un aspect schizophrénique au morceau. La basse se fait de plus en plus tranchante, la batterie est martelée, se déstructure naturellement et les riffs deviennent de plus en plus bruitiste, dissonants, malsains et personnels.
C’est presque l’inverse total d’un "Natural Surge" au feeling bien plus posé, lumineux et cinématographique, porté sur les ambiances et les arrangements. Une dimension très progressive émane par exemple de ce morceau, dans le sens où la musique mute très lentement vers une nouvelle forme, et s’envole vers de nouveaux horizons entre le début et la fin de la composition.
Cependant, tenter de décrire dans les moindres détails serait une épreuve impossible tant la musique évoque et aborde des émotions et atmosphères différentes le temps de ces cinq titres ambitieux et abouti.
Nojia est avant tout une aventure qui se vit mais se partage difficilement. C’est en effet un voyage intérieur et personnel, que chacun ressentira différemment et dont l’accessibilité sera clairement limitée. Il est particulièrement difficile de se plonger pleinement dedans lors des premières écoutes, un sentiment de répétition et de lassitude ressortant éminemment de l’album. Puis le temps fait son effet, notre esprit s’habitue et s’ouvre progressivement au voyage que les toulousains nous propose.
Nojia est une aventure personnelle que chacun vivra à sa façon, l’absence de vocaliste aidant à ne pas avoir de repères en premier lieu et à se forger une histoire propre.
Difficile d’en dire plus…les mots sont parfois bien pauvres face à la puissance évocatrice de la musique…je vous souhaiterais donc, en toute simplicité, un excellent voyage à tous…
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