« Se contenter d’exister, c’est boire sans soif »
Jean Paul Sartre
L’existence. L’introspection. Le néant et ses ténèbres, l’existence et sa lumière, la confidentialité armée de ses secrets et de sa culture de l’élitisme, d’une supériorité vaine et souvent futile.
Nous avions abandonné ces émotions à la fin de "Solarchitect", voyage ambiant au bout de notre psyché, au fin fond de nos maux, pour apercevoir, au choix, la lumière ou le gouffre infini de la solitude.
Très silencieux, peu actif scéniquement et revenant à leur autre expérience (Eryn Non Däe notamment),
Nojia n’avait fait que peu parler de lui depuis la sortie d’un premier full-lenght encensé par la critique mais représentatif d’un genre musical peu accessible, de plus dans sa version instrumentale, et peu propice au succès commercial ou de masse.
Toujours sous la houlette de Rudy Schwab qui s’occupe de
Nojia comme de son protégé, "Gheist" s’apprête à vous faire découvrir les méandres d’esprits torturés, en proie au doute, à la douleur mais où une lueur d’espoir parvient toujours à perler, même lointaine. Sortant à très peu d’exemplaires physiques (198 exactement), l’album d’une trentaine de minutes se divisent en trois mouvements, très différents les uns des autres, et évoquant des facettes différentes, émotionnellement variables, de ce qu’est capable
Nojia et plus prosaïquement une âme en peine cherchant inlassablement le salut.
Canyon ouvre le disque dans une atmosphère très mélancolique, très éthérée et se focalise autour d’arpèges et de simples mouvements de batterie. L’ambiance post-hardcore n’est pas encore présente, la lourdeur étouffante, la moiteur omniprésente et l’irrécupérable comparaison avec
Neurosis, Cult of
Luna ou
Isis n’a pas encore lieu d’être. C’est plutôt une tristesse infinie que nous ressentons à travers la répétition constante de ces mêmes notes, à travers un instant qui semble s’étirer dans le temps, qui semble suspendue mais en même temps évoluer, grâce à des l’ajout progressif (très progressif, cela va de soi) d’une sublime mélodie pleine de finesse et de désespoir, propre à faire pleurer un arbre. Le rythme va s’accélérer au fur et à mesure, s’intensifier. L’air va se saturer, les guitares cleans vont devenir plus brouillonnes, un riff va emplir le spectre sonore de son emprise charnelle et ténébreuse, les cymbales qui étaient jusque-là omniprésente vont laisser place à des frappes de caisse claire et de toms plus lourdes et virulentes, comme pour symboliser une prise de conscience, un choix, une action. Certains pourront y entendre de la rédemption, le chemin vers la lumière victorieuse pendant que d’autres ressentiront une chute, la chute de cette tristesse amenant inéluctablement vers un terrain funeste. Tout ceci en onze minutes digne de montagnes russes émotionnelles, passant du minimalisme à l’excès, du soubresaut à la fureur, de la contemplation à l’action. Pour aboutir sur un dernier riff tournoyant incroyable, simplement.
Parler d’un album de trois morceaux sans passer par l’exercice du track by track se révélant délicat, il ne faudra tenir rigueur de cette description du corps de ces trois œuvres à part entière. Car si "Canyon" nous renvoyant clairement à "Solarchitect", tel un rappel, "
Golem" lui, dévoile futur d’une manière bien différente.
Nojia intègre le piano sur la mélodie principale, le riff se fait d’une lourdeur effroyable mais en même temps presque catchy, plus simple d’accroche, avec peu de notes et dans une vision musicale déjà condamnée, comme la dernière journée d’un pendu. Le piano résonne comme un couperet prêt à tomber d’une seconde à l’autre, la basse martèle un tempo angoissant tandis que la froideur du riff rappelle à chaque seconde que la fin est proche. Le quatuor gagne une très forte personnalité sur ce titre impressionnant où les influences s’envolent pour laisser éclater une identité forte et une émotion viscérale. Le break offre un passage impressionnant avec des soli se chevauchant, comme un esprit ne sachant plus que penser, complètement paniqué et perdu. Le riff s’étiole de plus en plus, devient rapide, le temps file et on a cette sensation incroyable de fin se rapprochant, d’une inéluctable issue funeste, sans espoir. La lame s’apprête inexorablement à se refermer sur notre cou. Impressionnant de bout en bout,
Golem est clairement la meilleure composition de
Nojia à ce jour.
Quant à "Sama", on retrouve, à l’inverse totale, tel un oxymore, une musicalité bien plus ambiancée, moins occidentale et plus propre au dépaysement. La lumière perle par les mélodies, les percussions apportent une chaleur bienvenue et si le terme « oriental » est clairement exagéré, on peut ressentir une envie d’ailleurs et de voyage à l’écoute. La puissance qui se déchaine dans la seconde partie de la composition n’est justement que puissance et ne véhicule pas la noirceur précédente, ni le désespoir allant avec. Sama représente plutôt la force de la nature et des éléments et se symbolise par une plus grande technicité et flamboyance.
Nojia surprend, ose et se met à nu avec "Gheist". Personnel à l’extrême, instrumental donc encore plus imagé et propre à représenter des émotions différentes selon le vécu des auditeurs, ce second opus vient confirmer une maturité flagrante et un talent pour les atmosphères évidentes.
Nojia est un peintre et un artiste, préférant l’abstrait pour que chacun se fasse son propre film, sa propre histoire, sa propre expérience…afin de rendre le voyage encore plus unique et introspectif, propre à soi. Bande son de notre vie, "Gheist" est une expérience vivante, belle et tragique.
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