“One flew over the cuckoo’s nest” ou “Vol au-dessus d’un nid de coucou” en Français aura marqué le petit monde du septième art dans les années soixante-dix. Basée sur le roman de Ken Kesey de 1962, cette interprétation cinématographique un peu trop libre de Bo Goldman et Lawrence Hauben, réalisée par Milos Forman, avait fait l’objet auparavant d’une adaptation au théâtre de
Broadway en 1963, offrant le rôle de McMurphy à
Kirk Douglas. Après avoir racheté les droits pour le cinéma, c’est son fils Michael qui endossa le rôle de producteur et fut pressenti pour assurer le rôle principal, tout comme
Gene Hackman ou Marlon Brando. Ce fut finalement
Jack Nicholson qui éclaboussa de son talent ce film si particulier.
Pourquoi parler de « Vol au-dessus d’un nid de coucou » en introduction de cette chronique ? Certes,
Metallica lui fit un clin d’œil avec leur « Welcome
Home (Sanitarium) » quelques années plus tard. En fait, la pochette de «
Rites of Chaos » m’a toujours fait penser au génie de doux dingue de cet acteur hors pair. Comme sur l’affiche plus tard de « The shining », cette tête de démon surgissant de nulle part m’a souvent rappelé la dualité qui cohabite parfois au plus profond de notre être, transformant le plus docile des individus en une bête furieuse.
« Donne-nous la force nécessaire pour nous venger de tous ceux qui ont détesté le Démon ». L’entrée en matière de ce premier album ne laisse présager aucune pitié de la part des musiciens, dont les deux frères fondateurs sont originaires de Sannois en région Parisienne. Avec
Demon Eyes, ça déménage !
Thierry et Philippe Masson, respectivement guitariste et batteur, s’acoquinent très vite avec le hard-rock, véritable défouloir pour le jeune six-cordiste passablement habité d’une passion démoniaque pour le riff-qui-tue. Accompagnés de Philippe Chastagnol comme second gratteux et Remy Bertelle à la basse, les quatre lascars se produisent lors de modestes concerts autour de Sannois dans cette configuration où Philippe tient le poste de batteur-chanteur. A l’été 1982, la rencontre avec le niçois Renaud Espèche permettra à Philippe de se cantonner au rôle de chanteur.
Le baptême du feu scénique ayant eu lieu le 13 février 1983 dans leur fief de la salle Cyrano de
Bergerac,
Demon Eyes n’avaient d’yeux (ouais, fastoche celle-là) qu’à l’enregistrement d’une maquette, objet indispensable pour démarcher les maisons de disques toujours aussi frileuses en France pour signer un groupe Gaulois. Les trente minutes de la première démo de 5 titres (« L’invincible force de la mort », « Mal divin », « Les deux maudites », « Ombre du malheur » et « Remords posthumes ») furent mises en boite en quelques jours au Studio du Marais de
Paris.
La qualité du matériel attire l’œil et surtout l’oreille du label Britannique indépendant Ebony Records, qui avait déjà
Grim Reaper et
Savage dans son catalogue. Patrick Baudin, ex-
Cobalt, s’étant assis derrière les fûts, le groupe partira quelques semaines plus tard enregistrer deux titres « Mal divin » et « Les deux maudites » à Londres, seul ce dernier morceau figurant sur la compilation
Metal Plated sortie en septembre 1983, aux côtés de
Vulcain, Blasphème et
Stallion. Diverses discussions sont déjà engagées avec Neat Records qui tergiversera beaucoup trop, avant de jeter l’éponge, alors que la presse de l’époque saluait de manière unanime tous les espoirs que
Demon Eyes portait en son sein. Las de toutes ses promesses non tenues, le deal initial du groupe pour son premier album se fera avec Ebony, qui sortira le disque en France…en import !
Signe du Malin, les baguettes vont à nouveau voler des mains de Patrick Baudin vers Thierry « Gingi » Romano, road de Bob
Snake, batteur de Sortilège, et appelé à la rescousse par les frères Masson à l’orée de 1984. Deux concerts parisiens plus tard, « Gingi » abandonne pour raisons médicales le projet, trois semaines seulement avant le début de l’enregistrement de l’album aux Pays-Bas. Au pied levé et alors qu’il prépare le Earthquake festival avec Sortilège, Bob
Snake dépannera
Demon Eyes et fera parler technique et frappe sèche sur leur premier opus. Ce sera ensuite Marc Prudhomme, proche d’Armando et Paul Ferreira d’H Bomb, avec qui il joua au sein de Mach 3, qui prendra le poste apparemment « maudit » de cogneur du groupe.
Le style de
Demon Eyes se base d’abord sur une excellente technique de guitare, tant en matière d’originalité et de musicalité des riffs que d’explosivité des soli. Les principales caractéristiques du jeu des six-cordistes, ainsi que de Remy Bertelle à la basse, sont la fougue et la cohésion qui confèrent à l’ensemble des morceaux un effet compact et agressif. L’essentiel des compositions consistent en des mid et up-tempi teintés d’une pointe de speed à la Maiden de la première époque et d’une savante alchimie entre
Accept et
Judas Priest.
La production ne met pourtant pas en valeur la qualité intrinsèque de la musique de
Demon Eyes. Les guitares ont en effet une fâcheuse tendance à être engluées dans un inconfortable bourdonnement parfois irritant à l’image du mythique premier opus d’
Exciter. Le chant mélancolique de Philippe Masson, plus proche de
Der Kaiser sans coupable fausseté que de Noir Désir, se perd quant à lui dans un mixage approximatif, au risque de devenir d’une platitude abyssale. Les titres souffrent d’un manque de puissance et un meilleur travail de l’ingénieur du son aurait donné un tout autre impact aux compositions du Groupe.
Mais la motivation transpire tout au long de l’album. L’envie de réussir comme des morts-de-faim ne fait aucun doute et les soli de la paire Masson-Chastagnol vous collent contre le mur, bénéficiant assez bizarrement d’une meilleure mise en avant que les riffs. Les clefs ont été données à cette bande de fous furieux et ils se délectent, malgré la faiblesse des moyens mis à leur disposition, à nous envoyer 8 torpilles aux paroles parfois complexes et empreintes d’occultisme, pas aussi idiotes que certaines de leurs pairs de l’époque.
« La revanche des Dieux » qui donne le ton de cet album confine à l’exorcisme des douloureuses attentes du groupe lors des mois passés à conclure un deal avec une maison de disques. Titre à double-sens, ce morceau déboule ventre à terre avec un riffing acéré et une section basse-batterie insubmersible, où Bob
Snake fait du Bob
Snake et l’ami Remy Bertelle creuse un nouveau tunnel sous la Manche. Le chant intelligent et intelligible voltige sur une doublette de guitares échevelée qui laissera bientôt place à un duel de soli telluriques. L’entrée en matière est suivie du très Acceptien « L’orgie des damnés », creuset bref et incisif de ce que Blasphème et
Satan Jokers savaient offrir à l’époque en France. Technique maitrisée de bout en bout, musicalité et pointe d’originalité, avec côté soli de guitares une nouvelle démonstration époustouflante des deux duettistes. Cette touche de leur cousin germanique en matière de riff se retrouvera dans le lourd et chaloupé « Résurrection », au cours duquel la basse vrombit avec beaucoup de sauvagerie.
Comme il était souvent l’usage en ces années-là, de nombreux groupes proposaient un instrumental, moment de démonstration du savoir-faire et du feeling des artistes, instruments en mains. Le phénoménal « L’hymne au seigneur de l’orage » contient les ingrédients indispensables à la réussite du festival du riff assassin. Sur une trame juste speed, tous les musiciens de
Demon Eyes se lâchent comme s’ils étaient poursuivis par une armée d’infirmiers de l’hôpital Saint-Anne. Courez, courez, les doubles-croches sont suffisamment nombreuses pour tisser une protection imperméable aux camisoles de force !
Demon Eyes récite sa leçon sur le bout des doigts sur les autres titres où l’on remarque de manière systématique un riffing agressif et véloce (« Invincible force de la mort », « Les deux maudites ») ou très proche de la tronçonneuse couplée à une meuleuse pour titane (« Ombre du malheur »). Assistés par une basse tractopelle, les trois titres paraissent armés pour une performance scénique sans temps mort, agrémentés de ponts ou de breaks que
Demon Eyes distillent intelligemment sur la trame principale de chacun des morceaux. Les différents soli s’avèrent plus posés et l’on distingue avec intérêt la dextérité et le feeling des musiciens. Le titre «
Demon Eyes » plonge quant à lui la racine chromosomique du groupe dans le Heavy
Metal, pur et dur, avec un riff en acier trempé et un chant agréable et mélodique. Démon« stratif » sur le solo, le démon Masson plante son médiator sur les cordes comme un vampire ses crocs dans la jugulaire d’une jeune vierge. L’hymne deviendra très vite la carte d’identité du Groupe sur scène ainsi que lors de leurs nombreuses participations aux émissions de radio spécialisées.
Les
Demon Eyes avec «
Rites of Chaos » pouvaient voir venir l’avenir avec sérénité. Plébiscités meilleur espoir 1985 du magazine Enfer, on pouvait raisonnablement penser qu’une maison de disques hexagonale allait enfin tenter le pari de la jeune génération de talents de la scène hard-rock. Le tout nouveau mouvement « hip-hop » allait déferler sur les ondes et devenir le nouvel enjeu à la mode.
Pas de place pour un genre trop étroit pour des professionnels du marketing et de la finance aux dents longues.
J’aurais bien imaginé les
Demon Eyes dans un rôle de patients de l’asile psychiatrique de
Salem en Oregon aux côtés de
Jack Nicholson. Non pas que leur cas clinique était du ressort de la médecine. Sachant leur aversion à toute privation de liberté et en particulier la période obligatoire à passer sous les drapeaux, leur participation active à la rébellion puis à l’évasion finale aurait donné un brin de charme et encore plus de loufoquerie au « Vol au-dessus d’un nid de coucou ».
Bien malin d’ailleurs, celui qui aurait pu interner les cinq musiciens et notamment les frangins Masson. Autant vouer son âme au Démon…
Sodome et Gomorrhe, l’instinct de la mort…
Didier –
Octobre 2012
Un groupe francais signé par un label anglais. Tu as tout dit quant au soutien des maisons de disques francaises pour les groupes nationaux.
Je n'ai pas ce disque, uniquement le suivant, mais un pote le possédait et il me semble me souvenir qu'au verso de la pochette, les titres étaient en anglais. Je me trompe? J'ai jamais compris pourquoi.
Que penses tu du suivant Didier?
je suis fan aussi du suivant... production meilleure sans être génial et des titres qui pêtent bien.
à suivre...
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