Loin des formations standards du metal symphonique à chant féminin,
Exit Eden se présente comme un girls band conjuguant les talents de quatre interprètes expérimentées, émanant d'horizons musicaux et géographiques des plus variés. ''Métallisant'' à leur façon quelques uns des hits pop-rock et new wave internationaux des années 80 à nos jours, elles ont contribué à leur conférer un second souffle grâce à une touche mélodico-symphonique qui en fonde toute leur singularité et leur saveur. Et ce, sans tomber ni dans le kitsch, ni dans les travers d'une parodie sans âme des 11 titres sélectionnés sur ce «
Rhapsodies in Black » ; introductif album full length sorti chez
Napalm Records et dont la cover jouit d'un subtil artwork néo-romantique.
Non que le concept soit novateur, les quatre interprètes masculins finlandais de
Northern Kings ayant déjà suivi cette logique de mise en voix et de reprise de tubes pop-rock classiques il y a près de 10 ans. Pour sa part,
Within Temptation, à l'aune de « The Q-music Sessions », avait également proposé une pléiade de titres pop métallisés. Et, on pourrait multiplier les exemples. Simplement, rarement a été tentée l'expérience d'une fusion de quatre frontwomen aux timbres si complémentaristes sur un répertoire aussi éclectique que celui qui nous est servi, et ce, dans le concurrentiel registre metal symphonique actuel. Mais sans doute faut-il davantage y voir dans ce projet un kif entre chanteuses, avec l'indicible espoir d'apporter une pierre à l'édifice, qu'un désir de reconnaissance pour ces quatre artistes dont la réputation n'est plus à faire.
Ce faisant, une réelle harmonisation entre les empreintes vocales, toutes différentes, de nos déesses s'opère. Ainsi, le timbre velouté de l'alto américaine Amanda Somerville (
Trillium, Kiske/Somerville, HDK,
Aina,
Avantasia (live), ex-
Epica (live), ex-
Kamelot...) et celui, délicat, de la Française Clémentine Delauney (
Visions Of Atlantis,
Melted Space (live), ex-
Serenity, ex-
Whyzdom) contrastent avec les opératiques inflexions de la mezzo-soprano brésilienne
Marina La Torraca (Phantom
Elite,
Highlight Kenosis, Synnoveriem) et les rauques attaques de la Germano-Américaine Anna Brunner.
Outre les quatre musiciens studio requis pour l'occasion, et pour compléter leur offre, nos quatre sirènes ont également fait appel aux voix de Simone Simons (
Epica) et Rick Altzi (
At Vance,
Thunderstone,
Masterplan,
Epysode) sur certains passages. Retour donc vers un passé magnifié à l'instar d'un opus à la production soignée mais non léchée, dont un mix bien équilibré et de belles finitions, et admirablement mis en voix par nos quatre gladiatrices...
Conférant une stupéfiante puissance percussive et une vibrante rythmique tout au long de l'opus, le combo nous convie à un spectacle épique, muant notamment certains titres new wave en de véritables machines de guerre détruisant tout sur leur passage. Dans cette mouvance s'inscrit une troublante reprise de « A
Question of Time », titre emblématique de Depeche Mode issu de « Black Celebration » sorti en 1986. On entre alors dans un champ de turbulences mis en exergue par la progressive agrégation et les saisissantes gradations des quatre interprètes, avec Amanda pour chef de file. Tout aussi saisissant d'emphase et d'incandescence et jouissant d'arrangements d'excellente facture, le hit « Fade to
Grey » des Britanniques de Visage, sorti en
1980, a subi un réel lifting, l'approche metal adjoignant à la sensualité de ce titre un insoupçonné mordant.
Lorsque l'inspiré collectif oriente son regard vers des titres pop bien connus des années 2000, la magie n'opère pas moins... A commencer par une prégnante superposition de tonalités de voix investies sur la sculpturale reprise du tube planétaire « Unfaithful » de Rihanna, poussant immanquablement au headbanging. Difficile également d'échapper à l'emprise des stupéfiantes variations du corps oratoire sur « Impossible », charismatique morceau popularisé par Shontelle, extrait de «
No Gravity » sorti en 2010. En outre, cet émoustillant passage jouit également d'un subtil solo de guitare et surtout d'une ultime et confondante montée en puissance de chacune des voix, évoluant alors à l'unisson, le démarquant d'autant de la version originale. Quant à l'option metallisée de « Firework », hit de Katy Perry issu de « Teenage
Dream » (2010), dévoilant ses riffs acérés, une rythmique enjouée, un fin legato à la lead guitare et de rayonnantes gradations vocales, elle saura également accrocher le tympan. Enfin, des riffs incendiaires pleuvent et de claquantes impulsions oratoires abondent sur « Paparazzi », transformant l'aérien single pop de
Lady Gaga en une meurtrière coulée de lave.
Quant au choix des voix de Simone et de Rick, sollicitées sur d'incontournables hits pop, balayant ainsi la bagatelle de trois décennies, au regard de leurs magistrales et toutes personnelles réinterprétations, il se justifie pleinement. Ayant chacun contribué à les transfigurer, ils nous les font redécouvrir sous un autre jour. C'est notamment le cas de « Total
Eclipse of the
Heart », hit de Bonnie Tyler extrait de « Faster Than the Speed of
Night » (1983). Jouant habilement des contrastes entre les impulsions rocailleuses de Rick et les chatoyantes patines d'Amanda, la séduisante offrande pousse à l'écoute en boucle. On redécouvre également «
Frozen », tube de Madonna issu de « Ray of Light » (1998) ; cover d'où s'extirpe une rythmique frondeuse et où les envolées lyriques de Simone font mouche, et dont le final unit cinq déesses au faîte de leur art. Et que dire de «
Skyfall » d'Adele, titre éponyme du dernier James Bond sorti en
2012, maintes fois repris, et notamment par
Within Temptation sur une version rock ? Sur un tempo plus mesuré, tant les attaques en voix de gorge que les montées en puissance de l'interprète néerlandaise, sous-tendues par une frissonnante chorale et une solide instrumentation, délivrent une charge émotionnelle bien difficile à contenir.
Enfin, nos déesses ont également veillé à desserrer l'étreinte, nous amenant à revisiter quelques émouvants moments intimistes. Ainsi, on ne saurait se soustraire ni aux délicates nuances mélodiques, ni aux magnétiques refrains entonnés avec finesse et non sans âme sur la touchante ballade « Incomplete » des Backstreet Boys. Pour sa part, sublimée par le quartet de choc et sous-tendue par une caressante et néanmoins imposante instrumentation, la ballade «
Heaven », que l'on retrouve sur l'album «
Reckless » (1984) de Bryan Adams, prend toutes ses lettres de noblesse.
Ainsi, à l'aune de ce flashback, à la lumière des pièces proposées et toutes savamment liftées, nos quatre acolytes nous offrent un spectacle haut en couleurs, original de par sa mise en voix, énergisant de par ses orchestrations, souvent addictif et doté d'un petit supplément d'âme. C'est dire que, sur la totalité de l'opus, aussi bien les temps morts, les longueurs que d'inutiles passages technicistes sont réduits à néant, effacés par une heureuse harmonisation de voix et moult séries d'accords alternatives bien pensées et amenées. En outre, la profondeur de champ acoustique qu'elle recèle assure à cette galette un confort auditif apte à faire s'égrainer ses 48 minutes d'un seul tenant.
S'il risque de ne pas rencontrer l'accueil escompté ni chez les puristes du genre, ni auprès d'un public peu sensibilisé à l'univers pop-rock et new wave, l'opus saura néanmoins trouver un débouché auprès d'un public hétérogène, toujours plus nombreux à être attiré par la fusion des genres. Et ce, d'autant plus que cette proposition a témoigné d'une pointe d'originalité et d'un élan d'inspiration susceptibles de nous faire oublier les pistes originelles. Bref, une œuvre puissante et charismatique, nullement novatrice mais vectrice d'une respiration nouvelle...
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