J’ai parfois le sentiment qu’il existe deux grandes catégories de groupes. Il y a ceux qui dès leur premier essai marquent les esprits et montrent qu’ils sont ou qu’ils peuvent devenir un grand groupe. Je pense évidemment aux gars de Led Zep ou de
Black Sabbath. L’enjeu pour ces formations est alors de confirmer voire d’amplifier les bons départs. Puis il y a ceux qui tâtonnent, qui cherchent la voie et parfois leur voix. Ils ont besoin de travailler, d’être besogneux. Et, s’ils tiennent le choc et qu’ils passent les premières épreuves du métier, ils peuvent, peut-être arriver à percer, surtout s’ils ont un peu de chance, le travail et le talent ne sont malheureusement pas toujours suffisants. On l’a compris
Nazareth se situe clairement dans cette deuxième catégorie. Lorsque le groupe décide de leur troisième opus, ils ne sont pas loin de jeter l’éponge et semblent admettre qu’ils peuvent devenir un groupe
Live qui fait des reprises comme l’était leur groupe d’origine les Shadettes. Les échecs, tout de même relatifs pour le premier mais bien plus évident pour le deuxième, font questionner sérieusement sur la suite à donner à la formation écossaise. Il faut dire que les hésitations et les difficultés à trouver leur voie sont flagrantes en ce début de carrière, les deux premiers albums même s’ils ne sont pas mauvais, relèvent davantage de l’expérimentation que de l’affirmation d’un nouveau groupe plein d’avenir.
Mais alors qu’est-ce qui va permettre aux Ecossais de se relancer ?
D’abord le travail. Le groupe continue inlassablement à tourner en Ecosse et en Angleterre et il se crée son public grâce à la scène. Leur réputation en
Live devient suffisamment importante pour qu’on leur propose de faire la première partie de
Deep Purple lors de la tournée anglaise de 1972/1973. Ils feront également avec eux quelques dates américaines
Ensuite, la détermination. L’échec commercial du deuxième album permet une remise en question.
Nazareth réalise que la puissance dégagée en concert ne se retrouve pas sur leurs premiers enregistrements. Il faut donc sortir une musique plus directe et plus vigoureuse. Les musiciens qui sont partis dans différentes « expérimentations », psychédéliques, folks, parfois un peu progressives, se recentrent sur ce qui fait la base de leur musique : le blues-rock. McCafferty dira plus tard dans des interviews qu’à partir de 1973, il savait ce qu’il voulait pour le groupe.
Enfin, la chance. Dès le début de la tournée avec le Pourpre profond, le courant passe bien avec Roger Glover. Ce dernier qui observe leurs prestations scéniques, repère rapidement qu’il y a du potentiel chez les jeunes Ecossais.
En 1973, Roger Glover est encore un jeune producteur qui a travaillé sur le premier album d’
Elf le jeune groupe de Ronnie James
Dio. Lors d’une soirée à Newcastle, le bassiste propose à McCafferty de produire leur futur album.
Six semaines après cette discussion, l’enregistrement pouvait commencer dans un studio écossais. Roger Glover s’est avéré être un producteur exigeant et très professionnel qui ne laisse rien au hasard et surtout pas à l’improvisation. Les titres devaient être enregistrés le soir, pour être plus proches de la sensation
Live, mais après avoir été totalement appris et intégrés par les musiciens pour qu’ils se concentrent uniquement sur l’émotion dégagée. Même les solos de guitares devaient être préparés avec des mélodies et des harmonies parfaitement maîtrisées. En définitive, Roger Glover a parfaitement compris de quel type de musique avait besoin les jeunes musiciens et il va leur donner une impulsion qui va leur permettre enfin de décoller.
L’esprit général est au blues rock, pour ne pas dire au « blues hard ». On a un premier morceau « Ramanaz » qui place tout de suite l’énergie comme force de frappe. Ainsi, on est dans le bain d’entrée de jeu avec ce boogie blues rock aux sonorités bien lourdes. Ce titre est resté un standard du groupe. Puisqu’on est dans le boogie, il faut évidemment mettre en évidence l’excellent « Woke Up This
Morning » digne des meilleurs
Status Quo mais avec un son encore plus Heavy. Chose curieuse, ce morceau est une reprise de l’album précédent « Exercices » sur lequel il avait un ton bien plus psychédélique. On retrouve aussi dans Broken
Down Angel, ce petit coté
Status Quo avec le refrain repris en chœur. On continue la découverte du blues rock façon
Nazareth avec les sympathiques, mais moins efficaces « Bad Bad Boy » et « Too Bad, Too
Sad ». Quant à « Alcatraz », encore une reprise, elle a été écrite deux ans auparavant par un certain Léon Russel, musicien américain de blues rock. C’est un titre plutôt contestataire concernant la pauvreté aux Etats-Unis. On pourra également jeter une oreille attentive sur l’intéressante «
Night Woman » avec son intro avec basse et batterie et la manière dont Many Charlton glisse sur les cordes de sa guitare. Il utilise le même procédé sur « Bad Bad Boy ».
On terminera sur deux titres qui méritent, selon moi une attention particulière. On a d’abord la très bonne reprise de «
Vigilante Man », un morceau écrit en 1940 par un certain Woody Guthrie, musicien folk connu pour ses engagements politiques clairement à gauche. «
Vigilante Man » fait référence à un événement typiquement américain, une sécheresse qui a touché les grandes plaines et a provoqué la migration de centaines de milliers d’agriculteurs vers la Californie. La reprise de
Nazareth s’inspire en fait davantage de la version de Ry Cooder pour lequel, Mc Cafferty ne cache pas son admiration. Many Charlton joue ce morceau comme un blues en glissant sur les cordes alors que McCafferty garde le coté folk, surtout dans les premières mesures. Puis cette chanson qui raconte la souffrance des paysans américains au temps de la grande crise, monte en puissance avec l’arrivée du martellement de la basse puis le roulement de tambour qui nous donne bien l’image d’un peuple en marche. La voix devient alors un cri et exprime rage et souffrance. Une superbe reprise.
Le deuxième titre qui nous interpelle est « Sold my Soul », un morceau lent qui sent bon l’influence de
Black Sabbath. Ici encore Mc Cafferty met en valeur ses étonnantes capacités vocales. Le refrain est repris comme un cri qui s’éloigne peu à peu pour s’effacer derrière une composition qui devient de plus en plus atmosphérique. On est quasiment dans une ambiance black métal...
C’est indéniable, on a donc affaire à un très bon album de rock. La production est de qualité, les musiciens sont à la hauteur et ils ont su insuffler une énergie qui manquait aux opus précédents. Le groupe veut se professionnaliser et choisit la voie du blues rock pour s’affirmer, même si on peut s’interroger sur la présence de trois reprises sur huit titres, ce qui laisse penser que
Nazareth n’est pas encore complètement sorti de sa posture de groupe amateur. Mais l’essentiel, c’est que l’enthousiasme est bien présent…
Et bien voilà qui est fait, et comme je le disais dans mon post de ta chronique du premier album ce Razamanaz est de loin mon préféré de Nazareth.
Encore merci pour la chro
Un groupe souvent sous-estimé mais qui a marqué les 70's avec une musique simple, directe et percutante. Pas de fioritures, pas de compromis, juste du bon hard rock qui s'écoute agréablement. Un de mes groupes préférés de l'époque, avec, en prime, des pochettes superbes. Merci pour cette très bonne chronique, à quand les suivantes?
Très bon album pour Nazareth, celui qui va leur ouvrir la voie du succès.
16/20
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