Tallah, c’est la collision frontale entre le nu metal des années 2000 et la violence viscérale du metalcore moderne. Formé en 2018 en Pennsylvanie autour du batteur Max Portnoy, le groupe s’impose rapidement comme le fer de lance du mouvement « nu-core », une réinvention abrasive et imprévisible d’un genre que beaucoup pensaient enterré. Leur ascension, aussi soudaine qu’inattendue, s’explique par une énergie scénique hors norme et une approche presque théâtrale de la folie menée par un frontman singulier du nom de Justin Bonitz.
Avant de rejoindre la formation, le vocaliste s’était déjà bâti une réputation underground via ses projets amnaeon et Hungry Lights où il expérimentait seul des concepts musicaux torturés qui mêlent metal, narration et expérimentation vocale. Cette frénésie contrôlée, devenue sa marque de fabrique, explose pleinement au sein du quintet : un exutoire total où chaque cri, chaque rupture et chaque dissonance semblent raconter une crise intérieure.
Premier album studio du groupe,
Matriphagy est un véritable album concept cauchemardesque, à mi-chemin entre théâtre mental et exutoire émotionnel.
L’histoire, celle d’un homme enfermé avec sa mère dans une maison et qui sombre peu à peu dans la démence, sert de fil conducteur à une œuvre dense, furieuse, presque claustrophobique. Musicalement, le disque ressuscite l’énergie brute du nu metal des débuts (Slipknot,
Mudvayne,
Korn) mais l’hybride avec des structures explosives du metalcore moderne, des riffs saccadés et des discordances dérangeantes pour une œuvre aussi jouissive qu’éprouvante.
Deux ans plus tard, nos musiciens reviennent avec un second album concept du nom de
The Generation of Danger.
Plus ambitieux, plus narratif, il conserve la brutalité du précédent mais la canalise dans une structure plus claire. Le concept s’élargit puisqu’il est ici question de technologie, de pouvoir, d’aliénation moderne, une fresque dystopique où la rage devient politique. Sur le plan sonore, l’ouvrage gagne maturation technique et artistique. Les compositions gagnent en cohérence, le mix est plus propre, les transitions mieux construites. On y retrouve toujours ce mélange typique entre groove abrasif, syncopes surréalistes, et voix multiforme qui incarne à elle seule plusieurs personnages pour un rendu plus lisible et intense.
Avec Primeval:
Obsession // Detachment, le collectif signe un troisième acte audacieux, déroutant et confirme à quel point le groupe refuse la stagnation. Ce nouvel opus cherche à capturer l’essence le plus imprévisible de leur son. Sur le plan narratif, il poursuit l’univers conceptuel du groupe mais de façon plus abstraite. L’histoire, centrée sur Ana et Sheelah, deux personnages perdus dans un monde étranger et manipulés par une entité supérieure, sert de miroir à la dualité chère à nos artistes, l’obsession et le détachement, le contrôle et l’abandon, la raison et la démence.
Musicalement, le groupe élargit encore son spectre entre riffs syncopés, grooves dissonants, incursions électroniques, platines, effets glitchés mais surtout des passages mélodiques presque oniriques jusque-là inédits. Cette richesse sonore fait de l’album leur ébauche la plus expérimentale à ce jour.
Certaines pistes incarnent pleinement la puissance et l’inventivité du groupe. augmented incarne la quintessence de l’extravagance. Les riffs étourdissants s’entrelacent avec des rythmes confus, une ligne de basse déconcertante et permet de créer une atmosphère à la fois étrange et oppressante. L’utilisation des platines renforce l’esprit neo metal mais permet aussi d’accentuer l’aspect expérimental de la composition.
A Primeval Detachment est l’un des morceaux les plus véhéments et marquants de l’album. Il incarne la fièvre maîtrisée du combo avec son riffing lourd et grinçant, ses rythmiques syncopées et ses textures électroniques glitchées. La performance vocale se veut complète et alterne gutturaux, cris déchirants, instants mélodiques pour un reflet parfait de la dualité obsession/détachement explorée dans l’univers narratif du disque. Les ruptures soudaines et les variations de tempo permettent la création d’une expérience immersive et hypnotique pour l’auditeur.
En revanche, d’autres morceaux révèlent les limites de ce laboratoire sonore. As fate undoes souffre par exemple d’une construction trop brouillonne, la faute à des changements de tempo abrupts et l’accumulation de couches instrumentales qui donnent l’impression que le morceau s’éparpille sans véritable direction, nous déstabilise et dilue l’impact émotionnel.
Depleted tente de s’aventurer sur des terres plus mélancoliques par le biais de passages acoustiques et d’un esprit introspectif. Malheureusement, ces incursions calmes contrastent trop fortement avec l’énergie naturelle du reste de l’album et peinent à créer l’émotion recherchée. Les transitions ne sont pas toujours harmonieuses et le morceau paraît moins abouti que les autres.
What we want quant à lui illustre bien le paradoxe de l’album puisque le titre brille par son chaos assumé et son breakdown percutant, une véritable explosion de violence qui capte l’attention. Mais la force du morceau est en partie limitée par sa trop grande proximité avec
What We Know en reprenant certains éléments qui diminuent l’effet de surprise et donnent une impression de redondance. Malgré tout, le morceau conserve sa puissance et montre que le groupe sait créer des moments forts même dans ses imperfections.
Primeval:
Obsession // Detachment est un troisième album entreprenant et saisissant qui illustre parfaitement la volonté de Tallah de repousser les limites du nu-core. Sa force réside dans sa vigueur et sa créativité. L’opus surprend, choque et captive par ses ruptures, ses textures expérimentales et ses propositions vocales. Mais cette audace a un prix puisque certains passages apparaissent désordonnés ou trop chargés et toutes les expérimentations ne tiennent pas leur promesse. Pourtant, ces imperfections font partie du charme de l’esquisse et montrent un groupe prêt à prendre des risques, à explorer de nouveaux territoires sonores et à se libérer des conventions.
Moins convaincant que les deux précédents opus, Primeval:
Obsession // Detachment n’en reste pas moins un disque fascinant et complexe, qui ne se laisse pas apprivoiser facilement et qui confirme à nouveau que le quintet américain sait pousser les frontières du nu-core moderne sans jamais se conformer.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire