À l'heure où la musique s'enfonce dans des carcans artistiques de plus en plus bridés et simplistes, il existe encore une poignée d'artistes refusant cette démocratisation sonore pour imposer une patte personnelle au riche univers qui est celui de la musique. L'art de la musicalité avant-gardiste est un pari risqué, entre improvisation monumentale et cambouis in-digérable, il n'y a qu'un pas.
Si des artistes comme
Devin Townsend,
War From A Harlots Mouth,
The Dillinger Escape Plan,
Diablo Swing Orchestra ou encore
Meshuggah ou su créer chacun à leurs échelles de nouvelles façons de faire du
Metal, en France aussi, de nombreux acteurs ont tentés avec plus ou moins de réussite de lancer la musique sur des rails relativement neufs. Avec
Carnival In Coal et ses mélanges improbables de tous styles existants,
Psykup dans une patte plus moderne aussi droite que tordue,
Pin-Up Went Down avec son mélange détonant de sonorités plus variées les unes que les autres. Nous pouvons en citer encore beaucoup d’autres, comme
Hypno5e ou
Empalot et les récents
Uneven Structure et
Psygnosis...
Se faire une place au soleil sur la scène du
Metal Expérimental est d'une difficulté sans nom. On a très vite fait de tomber dans le vomitif d'un album sans aucun sens, s'autoproclamant « Avant-gardiste » sans en avoir jamais découvert le sens exact et se rétamant de la pire des façons. Voilà ainsi la pire des sorties de routes à laquelle s'expose le quintet parisien répondant à l'étrange patronyme de
6:33.
Personnellement,
6:33 représente l’heure de mon TER Cannes-Toulon dans mes années collège. Raison de plus pour me pencher sur ce curieux groupe, ayant décidé, n’en déplaise aux puristes, de se passer de batteur et de miser sur les synthétiseurs (au nombre de deux) contrôlés avec brio par Mister Z et Dietrich von Schrundle. Niko à la guitare (accessoirement sur quelques passages de « batterie » et de claviers) et S.A.D. pour emmener la basse. Pour compléter ce line-up, c’est Kinky Zombie (aujourd’hui remplacé par
Rorschach) qui s’occupe du micro.
Les galères d’un groupe écumant petites salles et diverses soirées sont loin. Sous l’aile de M - O Music, sous la production de Vincent Thermidor, sous la mastérisation de Jens Bogren (notamment
Ihsahn,
Katatonia ou
Opeth…), sous les traits d’une pochette plus que particulière en parfaite symétrie signée Seldon Hunt, (qui a notamment réalisé les pochettes d’albums pour
Neurosis ou
Isis...),
6:33 est dorénavant paré pour démontrer qu’eux aussi peuvent prétendre à une place de choix. Et maintenant, à la place des petites salles, c'est
Devin Townsend qui a accueilli
6:33 lors de son passage à
Paris.
Le package est de premier choix et comme premier essai, le groupe propulse une musique expérimentale difficilement cernable à la première écoute. Pour ceux ayant peur d'une bouillie migraineuse, sachez que l'album est relativement court pour le style, ne durant « que » quarante-deux minutes. Les titres sont donc de durée moyenne (toujours aux alentours de 4-5 minutes) et finalement très rapidement mémorisable.
“We will not be held responsible for any hearing impedance, or damage caused to you from excessive exposure to this sound…”
C'est sur cet avertissement que « Lift
Off » lance les hostilités. Du blast, des soli inquiétants autant que massifs, une atmosphère lourde et malsaine laissant déjà apercevoir l'ambiance globale de ce premier opus. Quelques « Hey ! » vaillamment lancée pour donner le ton, la boîte à rythmes varie intelligemment le rythme sur de multiples samples et font une formidable introduction à « Beretta », morceau choisi pour le groupe pour être mis en vidéo. Un morceau d'une incroyable diversité, entre passages plus Hardcore, Death, d'autres plus catchy et allégé par de courtes envolées à la voix claire sur les refrains. Ce titre pose les bases de ce que sera ce «
Orphan of Good Manners », à savoir une technique irréprochable, un sens du changement de rythmes diablement efficaces, un piano qui sort d'on ne sait où, des passages symphoniques sur une voix très haut perchée, des coupures nettes et précises pour des moments d'accalmie totalement schizophrénique. Mais « Beretta » n'est qu'un petit aperçu des capacités du groupe parisien.
Voulu ou non, il est évident qu'un petit côté
Carnival In Coal sort de la pièce de cabaret qu'est « Black Becky », les samples, les alternances entre chants hurlés et passage très aigu ou encore chant grave d'inspirations lyriques, la musique, savant mélange entre moment brute et accalmi au piano inspire une profonde mélancolie. Mélancolie et piano présents à des degrés différents sur les inspirations symphoniques de « The Only One ». L'alternance claire-hurlée ce déverse avec une immense émotion et une maîtrise des plus efficaces. Certains ressentiront une grandiloquence avérée dans l'ajout de chœurs ou encore de cette instrumentalisation moins expérimentale, mais s'enfonçant dans un état oppressant très prenant. Un sentiment peut-être répété dans l'incroyable bordel auditif de « Karmacoma », sortes de délires
Metal-Electro-Indus qui a tendance à partir un peu trop dans tous les sens, moins accessible, plus sombre. Electro présente en masse sur la très simple « The
Fall of Pop », dans un trip instrumental électronique à 100% uniquement emporté par des samples et de légère voix électronisée et un sentiment de trance inénarrable.
D’autres titres sont encore très faciles d’accès comme le groove de « Drunk in
Krakow », sur fonds de samples de cris et jouissance féminine, très funk et groovy sur son ensemble, imposera une patte très dance et ne sera pas sans rappeler la dansante «
Cartilage Holocaust» de
Carnival In Coal (encore). En parlant de CinC, son ancien chanteur, Arno Strobl, fera une apparition avec Guillaume Bideau (
Mnemic, One Way Mirror, ex-
Scarve) sur le titre éponyme «
Orphan of Good Manners », véritable ode dansante et perturbatrice, clôturant l’album sur une note complètement contraire à l’introduction. La brutalité de « Lift
Off » est ainsi remplacée par un refrain pop chantant mélodieusement des « Take me honey, right to the top of the world » dans une bonne humeur contagieuse, mais étrange, au rythme des violons et des symphonies majestueuses que les claviers orchestrent avec brio.
« Baby, baby, one more time ! Go ! » et le double titre « Little Silly Thing » se mue comme le best-of de tout ce que
6:33 sait faire. Dance, brutale, rapide, lent, délirant, sérieux. De tous les côtés, votre esprit sera torturé à coups de blast, de double, de beat presque techno, de voix délirantes, de coups de basse à vous en retourner la cervelle… Les samples prennent ici une importance prépondérante, notamment sur le délire final sur fond de chant digne d’une beuverie d’un réveillon du Nouvel An, d’une guitare acoustique mal accordée et d’automobilistes un peu trop pressé. Dix minutes à découvrir.
On pourrait dire encore des tas de choses sur les multiples voyages de
6:33 dans leurs musiques, dont finalement seule une petite partie est révélée. De nombreuses écoutes seront nécessaires pour en sortir toutes les subtilités. Néanmoins, les multiples et multiples influences du groupe sont, certes, bien gérés, mais pourront toutefois être bien indigestes pour certains, notamment les réfractaires à la batterie synthétique, dont certaines frappes seront assez usantes, il est vrai. De toute manière, la production étant très puissante et étonnamment propre pour ces mélanges, l’adaptation devrait se faire sans trop de difficulté, si bien que l'écoute se fera au final facilement et avec un beau plaisir.
Il me tarde de découvrir ce groupe !
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