S'il est des formations enclines à prendre le temps nécessaire à l'évolution optimale de leur projet,
Alantia serait assurément du nombre. En effet, pas moins de sept longues années de silence radio se sont envolées depuis leur tâtonnant EP « Remnants of a
Dream », le combo néerlandais laissant alors à penser qu'il pouvait être définitivement hors circuit. Ce serait sans compter l'indéfectible détermination du sextet amstellodamois à en découdre, et ce, dans un univers metal symphonique à chant féminin ô combien infiltré par ses pairs, qui ne l'attendait pas nécessairement.
Qu'à cela ne tienne, le voici revenu dans l'arène, muni cette fois d'un concept album studio intitulé « Nova Zembla » ; une auto-production où s'enchaînent sereinement 11 pistes inédites sur un ruban auditif de quelque 70 minutes d'un spectacle à la fois épique, enjoué, tourmenté, énigmatique et romantique. Ainsi doté, le collectif batave serait-il désormais en mesure de jouer les trouble-fêtes parmi les
Elvellon,
Beyond The Black,
Once,
Sleeping Romance ou encore
Metalwings, quelques uns de ses nombreux opposants ?
De l'eau aura coulé sous les ponts depuis la création du groupe, en 2006. Pour rappel, aux fins d'un premier changement de line-up, ce n'est que quatre années plus tard que le collectif accouchera d'une introductive et discrète démo éponyme, préalable à plusieurs apparitions scéniques, dont une prestation remarquée au Emergenza Festival 2011. Période au cours de laquelle le combo se consacrera à l'écriture de l'EP sus-cité, écoulé en
2012. Dorénavant, nos acolytes en veulent plus, beaucoup plus, comme l'atteste le présent et luxuriant opus, témoignant d'une ingénierie du son bien moins lacunaire qu'autrefois, à commencer par la qualité de ses enregistrements, n'accusant dès lors que d'infimes sonorités résiduelles.
A bord du vaisseau amiral, nous reçoivent désormais la frontwoman Liselot Mazee, dont le timbre de voix s'apparenterait à celui d' Alejandra Barro (Elessär) ; les guitaristes Mark Rog ''Markus'' (Evenstate) et Tom van der Schaaf ; le bassiste Bart ; le claviériste Erik Slooten (ex-
After The Silence) et la batteuse Nathalie de Vent ''Nan''. Fidèle à ses fondamentaux, le combo nous livre un message musical rock'n'metal mélodico-symphonique gothique et progressif dans la veine de
Nightwish,
Xandria,
Epica,
Edenbridge,
Draconian, ou encore
Amberian Dawn. Mais levons plutôt l'ancre et lançons-nous sans plus attendre en quête d'enchanteresses contrées...
A l'instar du précédent opus, c'est à l'aune de ses passages les plus offensifs que la troupe marquerait ses premiers points. Ainsi, on sera bringuebalé par les incessants coups de boutoir émanant de « The
Attack of the
Polar Bear », échevelant et intrigant up tempo symphonique gothique à la jonction entre
Epica et
Tristania. Dans ce champ de turbulences, sur le modèle oratoire de la Belle et la Bête, se meuvent les limpides impulsions de la déesse concomitamment aux inaltérables attaques de son acolytes de growler. Dans cette énergie, on retiendra également « Het Behouden Huys », mid/up tempo dans le sillage d'
Edenbridge, aussi bien pour ses couplets finement ciselés que pour ses refrains immersifs à souhait mis en exergue par les siréniennes modulations de la frontwoman. Glissant sur un sillon mélodique d'une précision d'orfèvre, apte à procurer quelques frissons, le méfait nous plonge parfois dans de visqueuses étendues d'où émerge une gorgonesque créature, prête à nous lacérer le tympan de sa langue fourchue.
Lorsqu'ils nous mènent en de ténébreux espaces d'obédience dark gothique, en dépit d'une pression difficile à éluder et de quelques irrégularités jalonnant notre parcours, nos acolytes parviennent à un maintien constant de l'attention. Ainsi, par un subtil fondu enchaîné, le laconique et dispensable instrumental d'ouverture «
The Calm Before » cède le pas à « The
Storm », glaçant et tourmenté mid tempo à mi-chemin entre
Draconian et
Epica. On appréciera tant le flamboyant solo de guitare placé sur notre chemin que l'atmosphère résolument suffocante exhalant du chaotique méfait. Pour sa part, dans la veine coalisée d'
Amberian Dawn (première mouture) et
Tristania, le mystérieux mid/up tempo syncopé « Way Back
Home » se fait à la fois colérique, lugubre et paradoxalement rayonnant. Réservant de stupéfiantes montées en puissance d'une instrumentation qui, parfois, se plaît à nous secouer, sans pour autant nous désarçonner, le dévastateur méfait nous prend à la gorge sans réellement lâcher de lest.
Quand il ralentit un poil la cadence de ses frappes, le groupe parvient une nouvelle fois à nous rallier à sa cause. Aussi, c'est d'un battement d'aile que « First Ice » s'infiltrera dans nos tympans alanguis. Pourvu d'arrangements de bonne facture et de délicats arpèges aux claviers, ce ''xandrien'' mid tempo se dote également de riffs saccadés et d'insoupçonnées variations rythmiques. Sur une radieuse sente mélodique évoluent les cristallines inflexions de la mezzo-soprano auxquelles s'adjoignent opportunément les growls ombrageux de Markus. Et la sauce prend. Dans cette dynamique, s'il concède une longuette mise en route sur fond d'un dispensable récitatif en voix masculine claire, « Nova Zembla » nous livre, en revanche, un saisissant effet de clair-obscur, et ce, aussi bien au regard de son atmosphère aigre-douce qu'en ce qui a trait à son corps vocal, les ensorcelantes envolées lyriques de la diva faisant écho, une fois encore, aux serpes oratoires de son comparse. Complexe et ankylosant mais nullement déroutant, le ''tristanien'' effort déroule parallèlement de grisants refrains, contrastant d'autant plus avec la tenace noirceur de ses couplets. A réserver toutefois à une oreille avertie.
Déjà rompu à la réalisation de pièces en actes d'obédience metal symphonique progressif, le combo batave a, cette fois, élevé le niveau de ses exigences d'un cran, faisant dorénavant montre d'une inspiration féconde, celle qui, précisément, manquait tant à « Tempted
Dark Art ». Ainsi, dans le sillage de
Nightwish, la dantesque et pulsionnelle fresque « Up
North » déroule fièrement ses 8:24 minutes d'un spectacle à la fois pimpant et troublant, aux contrastes rythmiques marqués, au fort impact émotionnel, où l'empreinte théâtrale est de mise. Nous est ainsi adressée une mélodicité toute de nuances vêtue sur laquelle se cale un duo mixte en voix de contraste bien habité, les angéliques volutes de la belle n'ayant de cesse de répondre aux growls caverneux de la bête.
Plus déroutant sans pour autant s'avérer désengageant, « Sine Nomine », quant à lui, se pose tel un énigmatique et luxuriant propos gothique progressif aux relents opératiques dans la veine d'
Epica. Dans cette tourmente, nos deux tourtereaux se voient rejoints par une incompressible muraille de choeurs, contribuant à densifier le corps oratoire de sa présence. Généreux de ses 9:28 minutes d'une trame éminemment complexe, jalonné par moult péripéties, le dantesque et dévorant effort ne lâchera pas sa proie d'un iota. Mais la palme revient assurément à «
Victory » qui, au fil des quelque 11 minutes d'une traversée épique, tantôt fend l'air tel un cheval au galop, tantôt se fait aussi apaisant qu'un long fleuve tranquille. Aussi parcourt-on une pièce en actes à la fois vigoureuse, enjouée et pétrie d'élégance, recelant un fin legato à la lead guitare et de sensibles gammes au piano. Une outro d'envergure et racée, susceptible de laisser quelques traces indélébiles dans les mémoires de ceux qui y auront goûté...
Enfin, à l'instar de la précédente cuvée, l'amateur d'instants tamisés n'aura pas été laissé pour compte, le combo lui ayant concocté ses mots bleus les plus sensibles, et ce, à l'aune d'une piste riche en émotions, fleurant bon l'inspiration féconde de ses auteurs. Aussi ne pourra-t-on que malaisément esquiver une petite larme sous le joug de «
Aurora », ''nightwishienne'' ballade progressive à l'infiltrant et original cheminement d'harmoniques. Lorsque l'albatros instrumental ouvre grand ses ailes et qu'il prend l'ascendant, il nous amène alors à flirter avec d'oniriques contrées, propices au totalement enivrement de nos sens. Mise en habits de soie par les envoûtantes ondulations de la maîtresse de cérémonie, alors secondée par une présence masculine en voix claire qui peu ou prou tend à s'assombrir, rappelant ainsi
Amorphis, la romantique offrande aura peu de chances de rater sa cible. Et ce ne sont ni la violoneuse et gracieuse assise ni l'habile et sensuel solo de guitare de clôture qui nous débouteront de l'instant privilégié. A bon entendeur...
Il semble que le combo néerlandais ait beaucoup appris de ses erreurs de jeunesse et se soit enfin libéré de l'empreinte par trop pesante de ses maîtres inspirateurs, au point d'apposer son sceau sur la plupart des portées de son set de compositions. Dorénavant, nos acolytes nous octroient une œuvre à la production d'ensemble bien plus affûtée que naguère tout en ayant pris soin de diversifier leur offre sur les plans atmosphérique, rythmique et vocal. Un potentiel technique mieux exploité et des lignes mélodiques certes perfectibles mais désormais plus impactantes jalonnent un propos aux arrangements de bon aloi, fortement chargé en émotions, ne s'apprivoisant en totalité qu'aux fins de plusieurs écoutes. Des efforts toutefois loin d'être vains...
Ce faisant, l'une ou l'autre zone de remplissage serait encore à éradiquer et si quelques prises de risques ont bien été tentées et parfaitement assumées par nos compères, un zeste d'originalité supplémentaire leur aurait sans doute autorisé une plus radicale mise à distance de leurs pairs, toujours plus nombreux à venir guerroyer sur ce terrain-là. S'il reste encore une identité artistique stable à asseoir et une ouverture du champ des possibles stylistiques à esquisser, tant les efforts consentis en studio que l'élan créatif du collectif batave sont des armes devenues redoutables, et qui pourraient prestement porter leurs fruits. C'est dire que l'escadron néerlandais est désormais prêt à prendre son envol vers de sereins horizons...
Note : 14,5/20
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