La communication est devenue au XXIe siècle la meilleure arme de l’artiste. Elle permet de fidéliser ses fans, de les inclure dans le processus même de promotion, de les tenir au courant presque au jour le jour et surtout de prendre la température constamment sur les éléments à venir. Ceux qui se coupent d’un tel vivier d’informations aujourd’hui a clairement un certain retard et il semble désormais fort loin le temps où les albums sortaient dans les bacs comme un coup de canon et créait la surprise. Tout est désormais épié des mois à l’avance, tout est sous contrôle et il devient de plus en plus infaisable de garder de réels secrets jusqu’à la fin (à ce sujet, le fait que le remplacement d’Angela Gossow dans
Arch Enemy n’est jamais filtrer pendant toute la période d’enregistrement est assez rare pour être mentionné).
Pourtant, malgré toute cette communications, des choses restent parfois très opaques…c’est particulièrement le cas quand on évoque
Shaman ces derniers mois…
Il est de notoriété publique que tout ce qui touche de près ou de loin
Angra/André Matos depuis près de vingt ans est complexe et amené à changer avec le temps. Les line-up bougent, les musiciens font des allers et retours, les groupes permutent presque…si bien que l’on se demandait si
Shaman allait toujours exister lorsque son seul membre originel restant (le batteur Ricardo Confessori) repartait chez
Angra en 2009 après la sortie d’un "Origins" très intéressant mais une fois de plus passé très inaperçu. Et tout devenait de plus en plus confus lorsque l’annonce d’un nouvel album se confondait avec celui d’un nouveau groupe, composé de l’ensemble des membres de
Shaman…sauf Ricardo Confessori (vous me suivez toujours ? ). Si on ajoute à ça que la communication de ce nouveau groupe passait par les pages facebook ou twitter officielles de
Shaman, vous conviendrez que cela ressemblait à un joyeux bordel (et le pire, c’est que ça continu encore et qu’on ne sait toujours pas si
Shaman existe encore puisque aucune communication n’est faite en ce sens). Toujours est-il que ce qui devait initialement devenir le cinquième album de
Shaman et s’intitulé "
Nocturnal" devint finalement le premier opus éponyme du groupe
Noturnall, avec une pochette vaguement changée (l’artwork choisi au début est devenu une page du livret et vice et versa).
Bref, on se retrouve donc avec Thiago Bianchi au chant, le terrible Léo Mancini à la guitare et Leandro Quesada à la basse ; auxquels s’ajoutent un jeune claviériste ressemblant vaguement à Neymar et derrière les futs le génial Aquiles Priester…batteur de
Angra entre 2001 et 2008 (quand je dis qu’ils n’arrêtent pas de s’inverser les musiciens).
Musicalement, on s’éloigne finalement de manière logique du metal plus spirituel de
Shaman pour s’orienter vers une musique bien plus agressive et technique, plus américaine aussi (
Dream Theater n’est jamais loin et Russell Allen passait encore dans le coin). Thiago, encore chargé de la production, a malheureusement reproduit une partie des erreurs du passé avec un son trop froid et mécanique, manquant singulièrement de chaleur (surtout pour des brésiliens) et de ce caractère organique qui fait véritablement toute la différence.
Noturnall est clinique, voir chirurgical et applique sa technicité tel un chirurgien expérimenté qui ne doute jamais. On s’en rend particulièrement sur les deux premiers titres de l’album. "
No Turn at All" (déjà connu depuis un certain temps) surprend par son riff thrash à la Nevermore et surtout par la technicité effroyable imposé par ce dieu poulpe qu’est Aquiles. Thiago se montre agressif, suraigu dans ses interventions vocales et hurlant parfois dans un vocabulaire proche du metal extrême tandis que
Leo Mancini lui aussi se dévoile d’une rugosité et d’un tranchant peu commun. On regrettera en revanche cette production trop mécanique qui ne permet pas à la musique de prendre complètement à la gorge, de la vivre pleinement. "
Nocturnal Human Side" suit avec Russell en guest qui fait éclater toute sa classe. Les claviers sont déjà plus présents, l’influence de
Jordan Rudess évidente avant que
Leo ne pose un bijou de riff absolument dantesque et fabuleusement alambiqué. Les timbres des deux chanteurs se marient très bien, les deux jouant de leurs ambivalences respectives afin de créer un climat agressif sur les couplets et très mélodique sur un refrain qui n’est pas sans rappeler le
Symphony X de "
Twilight in Olympus". Le solo permet de mettre Quesada très en valeur sur une ligne de basse assez incroyable puis une partie soliste démontrant, si c’était nécessaire, que Mancini est un sacré technicien sachant placer des pointes mélodiques quand il le faut.
C’est après que cela se gâte un peu. Non pas que ce soit mauvais mais disons que l’album se perd dans différents registres et ne parvient jamais à se créer sa propre personnalité. Probablement emprisonné dans un processus de création chaotique, on peine à trouver une cohérence entre l’agressivité nouvelle de la première partie de l’album ("Zombies" étant dans la droite lignée des deux premiers titres, lourde à souhait avec un Thiago hurlant comme jamais) et une petite merveille comme "Last
Wish" qui n’a finalement pas sa place ici. Très influencé par le "Fairytale" de "
Ritual" (Thiago allant même, sur la première mélodie, à mimer le phrasé d’André Matos), le titre est comme un écueil dans cet album, tout comme "The Blame Game" qui clôt l’album. De même, que dire de "Fake Healer" et ses incursions cybernétiques qui choquent plus par leurs sonorités (excusez du terme) dégueulasses que par leurs présences qui, musicalement, auraient pu apporter quelque chose. Le décalage entre ce qui aurait pu être le prochain
Shaman et ce qu’est le nouveau
Noturnall est finalement très grand et ce premier album fait office de melting pot trop brouillon pour convaincre, se cachant trop souvent derrière une technique flamboyante pour masquer d’évidentes lacunes de composition et d’écriture. Et si les premiers extraits laissaient présager quelque chose d’énorme, il s’agissait malheureusement du meilleur à venir. "St
Trigger" est un exemple concret de titre très technique qui tourne pourtant à vide (il faut entendre le bordel qu’est la partie solo), particulièrement à cause d’une ligne vocale sans inspiration. A sa décharge, il est évident que Thiago Bianchi a beaucoup expérimenté et tenté de nouvelles choses mais il s’avère nécessaire que le chanteur utilise avec plus de parcimonie ses très grandes capacités à l’avenir, afin de créer une véritable identité à son groupe.
Noturnall dispose d’un potentiel véritable et d’une force de frappe considérable. Reste désormais à travailler tous ensemble et dans une même direction pour sortir la tuerie qu’ils se doivent d’écrire dès le prochain album. Ils n’auraient pas le droit à un second faux pas. Les voilà prévenus.
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