Le retournement de veste musical n'est pas une nouveauté dans le
Metal extrême : qu'on se souvienne des polonais
Behemoth, spécialistes du genre jusqu'à la sortie de "Zos Kias
Cultus" (successivement
True Black, pagan Black,
Brutal Black et Black/
Death en 4 albums), qui même récemment modifiait leur
Death très inspiré de
Morbid Angel pour voguer vers des eaux musicales plus mystiques.
Pas un mal en soi quand les groupes finissent par se trouver une niche qui leur convient, et dans laquelle ils excellent (le cas de
Behemoth, justement). Aussi, il ne faut pas nécessairement s'étonner quand au revirement musical assez brusque de
Morgon.
Fondé en 2006 à Gap (Hautes-Alpes), le groupe va d'abord briser les tympans en pratiquant un Black de pure tradition, entre misanthropie et écologie, et s'affiliant au mouvement
Red And Anarchist Black
Metal. Inspirée par les traditions et le patois de sa région,
Morgon va donc quand même sortir,sur une période de 4 ans, 3 démos et un album auto-produit. Lesquels ne me laisseront pas un souvenir impérissable, si ce n'est des versions françaises du "Transylvanian Hunger" de
Darkthrone et du "Black
Metal Ist
Krieg" de
Nargaroth assez marrantes.
C'est ensuite la mise en sommeil jusqu'en
2012, où je reçois la démo 4 "Greasy
Vomit from the
Catacombs" : celle-ci propose, en plus d'un changement de logo très visible, sur la face A 3 titres de
Death metal old school bien lent, lourd et putride (on tutoie presque le
Doom par instants) et sur la face B 3 morceaux de 2010 purement Black crado. Cette alternance de style ne disant qu'une chose :
Morgon semble vouloir tester les chroniqueurs pour savoir quel genre passe le mieux. A l'écoute, c'est très clair que les morceaux Black ne tiennent pas la route comparé aux morceaux
Death. Accessoirement, elle signale aussi le déménagement du groupe de la haute montagne vers la région parisienne : peut-on y voir là l'explication de ce soudain changement de style musical? Je vous laisse seuls juges. Et c'est donc en 2013 que sort, en auto-production une fois de plus (mais réédité chez Elektroplasma/Terror From
Hell en 2014) ce "Necrokult Archeochaosphere".
Le première chose qui frappe, c'est la longueur : 73 minutes de
Death obscur et ésotérique, ça fait quand même un peu dur à enquiller. Tout le monde n'est pas
Sonne Adam pour arriver à torcher des pavés aussi longs qui ne soient pas inintéressants. Dans le lot, il faut signaler la reprise de 4 morceaux sur les 6 que contenaient la démo précédente : ce n'était pas forcément nécessaire, la réédition en CD bonus (ou autre) de la démo aurait pu suffire. Musicalement, on est dans la droite lignée de la face A de la démo précédente : c'est du
Death obscur, lourd, lent et bien crado, dont la thématique est un ésotérisme lovecraftien revisité par Lucio Fulci (dont le groupe reprend un thème pour l'interlude et la thématique ainsi que les images pour les paroles et le clip de "
Catacombs Ov
Ghouls").
Soyons honnêtes : c'est relativement bien torché, les musiciens savent tenir leurs instruments (chose beaucoup plus rare que l'on croit chez les nouveaux groupes de
Death à l'ancienne) et ils arrivent à créer une ambiance obscure correctement. J'apprécie aussi particulièrement le chant en français, qui est clairement le point fort de
Morgon et quelque chose que l'on entend malheureusement que trop peu dans la scène
Death francophone actuelle. Mais les aspects négatifs de "Necrokult Archeochaosphere" tiennent en deux points très particuliers.
Premier point : la longueur des morceaux, et par extension de l'album. Avec une moyenne de 7/8 minutes par chanson, et en tenant compte qu'elles sont plus ou moins toutes bâties sur le même modèle, on finit tout simplement par décrocher. Avec 20 minutes de moins (au hasard : sans les chansons reprises de la démo), on aurait eu là un album plus facile d'accès, qui ne donne pas l'impression de s'enfiler 5 kilos de cassoulet d'un coup sur l'estomac. Sortir d'un seul coup une telle masse musicale, surtout dans un genre où l'atmosphère est primordiale, donne l'impression que le groupe a absolument voulu démontrer que leur changement de style était de bonne foi puisqu'ils avaient plein de morceaux à nous livrer. Sauf que là, il y en a trop et l'album y perd cruellement en atmosphère, donc en efficacité. A trop vouloir bien faire...
Second point, peut être le plus problématique à mes yeux : les influences qui sautent aux oreilles à chaque morceau. Et là, je vais me faire beaucoup d'amis. Je n'ai aucun problème avec les groupes débutants qui étalent leurs influences à chaque coin de riff, car un groupe qui débute a rarement vocation à être original. Et ne pas être original ne signifie pas que l'on est incapable de proposer de la bonne musique. Là où le bât blesse, c'est quand un groupe approchant de la décennie d'existence n'est toujours pas capable de démontrer une réelle personnalité. Et c'est tout le problème de
Morgon, qui tient ici plus de la (bonne) copie que du simple groupe sous influence.
Morgon ont écouté en boucle des groupes comme
Portal,
Necros Christos,
Grave Miasma... bref, la crème de la crème de ce qui se fait actuellement en
Death obscur ésotérique. Ecouté au point qu'on peut quasiment pointer à quel groupe chaque chanson emprunte ses parts. Et pour un groupe de leur âge, un tel manque de personnalité fait immanquablement baisser la note. Et repose la question de savoir à quel point ce revirement de style démontre un réel amour envers lui ou une volonté de surfer sur la mode du
Death obscur ésotérique. Car ne vous y trompez pas : vous ne trouverez aucune référence aux Grands Anciens du genre que sont
Morbid Angel,
Entombed et les autres.
Qu'on soit bien clair : quoique trop long, l'album reste toutefois honnête, et même plutôt bon si l'on fait complètement abstraction du passif du groupe autant que de ses emprunts avérés. Mais pour le vieux chroniqueur, qui a vu passer nombre de modes dans le
Metal extrême et a vu bien trop de groupes de seconde zone échouer et disparaitre dans les limbes de l'Underground, "Necrokult Archechaosphere" n'est qu'un album correct de plus comme il en sort une bonne centaine chaque année et dont l'Histoire finit par oublier le nom à la prochaine mode venue.
Je ne souhaite pas cela à
Morgon, notamment parce que le groupe a plus de potentiel dans le
Death qu'il n'en avait dans le Black. On sent que le groupe se fait plaisir en jouant cette musique, mais ils ont voulu trop bien faire et tout balancer d'un coup. Le mieux étant l'ennemi du bien (air connu), il va falloir se recentrer pour proposer un prochain effort plus personnel. Je souhaite à
Morgon de faire mentir ma chronique, et je garderais une oreille attentive sur leurs prochaines sorties.
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