Mestarin Kynsi

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16/20
Nom du groupe Oranssi Pazuzu
Nom de l'album Mestarin Kynsi
Type Album
Date de parution 17 Avril 2020
Labels Nuclear Blast
Style MusicalBlack Avantgardiste
Membres possèdant cet album24

Tracklist

1.
 Ilmestys
 07:14
2.
 Tyhjyyden Sakramentti
 09:19
3.
 Uusi Teknokratia
 10:20
4.
 Oikeamielisten Sali
 08:01
5.
 Kuulen Ääniä Maan Alta
 07:12
6.
 Taivaan Portti
 08:06

Durée totale : 50:12

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Oranssi Pazuzu


Chronique @ Icare

08 Mai 2020

Un nouveau monument de musique expérimentale et avant-gardiste, toujours plus psychédélique, sombre et perché.

L’avant-gardisme, qu’est-ce que c’est ? On pourrait qualifier ce gros mot d’une tendance et d’une volonté à innover pour éviter la stagnation d’un art et essayer de le porter vers l’avant en s’affranchissant de ses limites établies, souvent à grand renfort d’expérimentations. Une mouvance a priori contradictoire avec l’essence originelle du black metal qui consiste à prôner une régression totale et volontaire et à bannir toute forme de modernité et d’artifice pour se vautrer dans l’animalité la plus pure. Pourtant, dès les années 90, certains groupes ont osé sortir des sentiers battus et se sont illustrés dans cette sublime antithèse, Arcturus, Ved Buens Ende ou In The Woods en tête, et aujourd’hui cette scène avantgardiste donc, qui réunit des formations aussi diverses que DHG, Blut aus Nord, Terra Tenebrosa ou Deathspell Omega, est bien installée. Et s’il y a un nom qui revient régulièrement lorsque l’on doit citer des combos des années 2010 qui ont réussi à coupler une base black metal à des expérimentations sonores toujours plus poussées, c’est bien Oranssi Pazuzu.

Le Mestarin Kynsi que voici est le cinquième album des Finlandais, et le premier qui sort sur la mégastructure Nuclear Blast. Certains pouvaient craindre que ce nouveau partenariat ne pousse le groupe à prendre un tournant plus commercial et perde de son indépendance artistique, mais que ceux-là se rassurent tout de suite : le quintette reste fidèle à lui-même avec un album unique qui ne ressemble à rien d’autre qu’à un album d’Oranssi Pazuzu. En réalité, les musiciens semblent s’être pas mal nourris de leur expérience au sein de Waste of Space Orchestra, entité bicéphale créée en collaboration avec les compatriotes de Dark Buddha Rising lors de l’édition 2018 du fameux Roadburn Festival pour accoucher de 50 minutes de musique toujours plus psychédélique, sombre et perchée.

Plus que jamais donc, Jun-His et sa bande s’amusent à triturer les textures sonores, superposant malicieusement plusieurs couches pour obtenir une sorte de bande originale angoissante et mystérieuse qui nous maintient constamment sous tension : sur Ilmestys, premier morceau de l’album, très peu de guitare, mais les notes obsédantes et brumeuses d’un instrument à corde oriental qui se répètent à l’envi, et autour desquelles viennent s‘articuler les différent éléments du morceau, bourdonnement drone continu qui tient lieu de basse, différents sons plus ou moins identifiables qui jouent avec les fréquences et brouillent nos repères, clavier technoïde et foutraque, ainsi que le chant black sec et putréfié de Jun-His, réellement malsain. Ces boucles hypnotiques, tous ces effets psychédéliques et bizarres (samples torturés, chuchotements fantôme, bidouilles électroniques bruitistes, j’en passe et des meilleures) nous plongent dans une sorte de transe hallucinée où formes floues et créatures menaçantes surgissent des ténèbres enfumées. Les guitares n’interviennent finalement qu’au bout de 5,17 minutes, laissant suinter lentement un lourd coulis noir de saturation amplifié par une batterie lourdissime aux forts accents sludge.
Tyhjyyden sakramentti se fait moins anxiogène, - du mois au début - rappelant étrangement les tonalités d’un Radiohead sur The National Anthem, avec cette boucle basse/batterie lancinante et obsédante qui porte le morceau. Puis les cordes viennent s’ajouter, notes douces et énigmatiques, et on se sent flotter dans un inconnu plein de mystères, plutôt serein, même si cette impression de menace latente et impalpable nous enveloppe toujours. Là encore, les différents effets sont nombreux, venant se greffer petit à petit sur l’assise rythmique de la musique pour lui donner corps et profondeur. Puis, dès 3,17 minutes, c’est le chaos, les machines se libèrent du joug humain et explosent en un fracas assourdissant, semblant mues par leur volonté propre, destructrice et antimélodique : le tout devient affreusement strident et dissonant, un peu comme une symphonie bruitiste et industrielle hantée par les hurlements de Jun-His et sur laquelle planerait l’ombre d’un Kraftwerk maladif et shooté jusqu’à la moelle (Kuulen ääniä maan, délicieusement robotique). Cette syncope heurtée se poursuit et s’adoucit, perdant de son agressivité, finissant par servir de support à quelques mélodies plus légères, presque spatiales, mais toujours aussi chargées en vapeur d’acides, et au milieu desquelles la démence malsaine du chant black résonne comme dans un immense hangar désaffecté.

Vous l’aurez compris, ce Mestarin Kynsi transcende largement le microcosme du black et brasse avec talent des univers électroniques, industriels, krautrock, ambiant, drone et metal, le tout avec un feeling très cinématographique (la fin quasiment ambiant d’Uusi teknokratia où l’on pourrait s’imaginer flotter seul dans l’immensité vide et hostile de l’espace). A plusieurs reprises, on se sent plongé dans les névroses horrifiques d’un vieux Giallo quand ce n’est pas la schizophrénie chimique de la BO de Requiem for a Dream qui vient nous hanter (on retrouvera cette brève crise de démence à partir de 3,52 minutes d’Uusi teknokratia, pièce centrale de 10,20 minutes aux multiples changements de rythmes et d’humeurs, où cette petite voix insidieuse éclate et résonne en mille fêlures psychotiques dans notre tête, et on se laissera entraîner dans une valse aussi cauchemardesque qu’hypnotique par les violons désaccordés de Oikeamielisten sali).
Le long de ces six titres, on sera balloté entre torpeur, angoisses, folie, lumière et révélations à travers diverses expérimentations (dis)tordues et déstructurées qui gardent pourtant toujours une cohérence incroyable. Entre ces bruitages bizarres, ces échos troubles, ces nappes mortifères de clavier, ces masses sonores denses et volatiles qui s’esquissent et se dissolvent, les pulsations de ce cœur mécanique et la texture organique de la basse et des guitares, on vit un vrai trip, avec sa montée, ses pics d’intensité, ses moments de flottement et de béatitude (la fin douce et paisible de Kuulen ääniä maan), ses crises de doute et d’anxiété et sa descente.

Voilà donc un nouveau monument de musique expérimentale et avant-gardiste qui s’adresse à un public d’auditeurs avertis et ouverts, qui n’auraient pas peur de franchir allègrement les frontières balisées du black metal, un kaléidoscope de couleurs et de sons envoûtants qui ne nous lâchent pas une seconde durant ces 50 minutes hors du temps, de l’espace et de la réalité. Pour conclure, laissons la parole au groupe lui-même qui aime à répéter que « Oranssi Pazuzu fait une musique qui invite tous les pyromanes et les fumeurs à se tenir la main. » Tout est dit !

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