Londres.
Tower Bridge. Repaire des « Ravens » royaux, sorte de corbeaux de concours élevés aux hormones de croissance. Ces derniers trônent dans les jardins de
Tower of
London, là où se visitent sur tapis roulant les joyaux de la couronne britannique, ainsi que la tour désormais célèbre pour les tortures infligées sans aucun esprit de discernement à tout opposant au régime de sa gracieuse Majesté, mâle ou femelle. Depuis 1848, le royaume du Danemark a opté quant à lui pour un régime de monarchie constitutionnelle. Même si le Roi du Danemark est le chef de l’Etat, ce rôle est avant tout honorifique car le pouvoir est exercé par le Parlement. Point commun et symbole de puissance, la couronne du Roi, qu’il fut Britannique ou Danois, est le symbole incarné de la monarchie.
D’autres, moins respectueux des règles de protocole ou de la démocratie, se sont affublés du titre de Roi sans en avoir référé auparavant au peuple. Force est de constater que l’on est ainsi certain du résultat et sûr de ne pas être déçu par une consultation de la plèbe, sans grand intérêt lorsque l’ego vient à dépasser les limites du convenable.
Kim Bendix Petersen est sans conteste le Roi de l’utilisation du falsetto, voix de fausset, en matière de chant heavy-metal, son incroyable registre vocal et son nombre d’octaves en faisant le socle de sa couronne. Il alterne, non sans toupet, cette technique, consistant à utiliser la voix de tête obtenue en empêchant la contraction normale des cordes vocales, avec d’inattendues et vertigineuses descentes dans les medium et les graves.
A 18 ans, le jeune Danois, guitariste de son état, fonda un premier groupe de heavy-rock appelé
Brainstorm avec Jeanette « Jean Blue » Blum, bassiste-chanteuse, Michael « Mike West » Frohn en second gratteux et Jes « Jesse James » Jacobsen à la batterie. Après deux années, il partit chanter en 1976 dans un groupe Danois de
Hard-Rock,
Black Rose. Sa réflexion personnelle le conduisit très vite à rejeter toute croyance dans les religions qu’il jugeait être des armes de destruction massive des peuples. Il se convertit à une « philosophie » de vie, le satanisme de La Vey, mouvement fondé en 1966 par
Anton LaVey qui bâtit l’Eglise de
Brainstorm et codifia les croyances et pratiques sataniques, consignées en 1969 dans la Bible Satanique, ouvrage à conseiller à toute personne souhaitant creuser un sujet éminemment complexe et obscur. Construisant son personnage de
King Diamond, le jeune Kim poursuivit son apprentissage et rejoignit en
1980 le groupe de metal-punk The
Brats, au sein duquel officiait un certain Hank Shermann. Quelque mois passèrent avant qu’ils ne partent tous les deux épauler l’ancien guitariste de The
Brats Michael Denner sur son nouveau projet
Danger Zone, dont la basse était fermement tenue par Timi « Grabber » Hansen. La fusion opérant, les quatre fantastiques Danois unirent leur talent pour enfanter
Mercyful Fate. D’ailleurs, une partie du matériel travaillé à cette époque se retrouvera sur l’album
Melissa.
Les premiers pas discographiques du groupe débutèrent au tout début de l’année 1982 au travers de la compilation « Metallic Storm » d’Ebony sur laquelle figuraient quelques brontosaures de l’époque comme
Mean Machine, Scimitar,
Tantrum, Wells
Fargo,
Confessor,
Tarot Sutra… Comme quoi la Bible
Spirit of
Metal n’est pas encore complète et heureux celui qui est possesseur de ce petit bijou. En fin d’année,
Mercyful Fate commit un second essai avec un EP éponyme, précurseur du Black
Metal parmi quelques autres.
Les choses sérieuses débutèrent le 18 juillet 1983 à Copenhague aux Easy Sounds Studios sous la houlette du producteur Henrik Lund. Deux semaines suffirent au groupe désormais complété du batteur Kim Ruzz pour enregistrer les 7 titres, sachant que les répétitions maintes fois réalisées en amont avaient porté leurs fruits mais aussi que le financement de l’album provenait du copropriétaire du studio… Henrik Lund lui-même. Ce dernier, seul au pupitre de mixage, parvint à rendre l’énergie brute et la cohésion du groupe sur chacun des titres, mis en boite pour la plupart en prise live.
Passons maintenant au décryptage des 7 facettes de ce diamant brut, joyau de pure beauté offert par le
King et sa cour.
Le furieux et speed «
Evil » vous prend à la gorge, telle une attaque frontale menée par une section rythmique basse/batterie solide et une doublette de guitares assénant un riffing implacable tout en restant mélodique. Facile lorsque l’un des guitaristes porte le nom d’un des tanks les plus célèbres de la seconde guerre mondiale. Le chant de
King Diamond fait déjà son office, parfois guttural et tangente hyperbolique d’une gamme d’aigus d’école. Le break propulsé par une ligne de basse d’outre- tombe et l’outro du morceau vernissent à merveille ce titre introductif.
Lugubre et malsain, «
Black Funeral » prend l’allure d’une messe initiatique au rythme saccadé, sur lequel la palette du chant est aussi large que le ponton d’atterrissage du Charles de Gaulle. Saluons la grosse basse à nouveau de Timi Hansen et aussi le judicieux placement des magnifiques soli de la paire Shermann-Denner en fin de morceau.
Le mélodieux «
Curse of the Pharaohs » s’identifie sans peine à son entame devenue légendaire et au jeu chaloupé des guitares, redonnant une seconde vie à cette ex-démo de The
Brats, initialement connu sous le titre « Nightriders ». Posant de nouvelles paroles sur la ligne mélodique, le chant inspiré de
King Diamond contraste avec la dureté et la sécheresse du son de batterie de Kim Ruzz.
L’imaginatif « Into the coven » fut le premier morceau écrit par le groupe, sous le nom « Love criminals », et aurait dû être le titre de cet album. Le main riffing monstrueux surgit après une ligne de clavecin et une nappe de guitare, annonciateurs d’une pièce de premier choix. Les atmosphères varient au gré du chant de
King Diamond et sous le plomb implacable des artisans batteur et bassiste. Le pont/break du titre et les soli tout en finesse imposent un espace de respiration avant le terrible retour du riff emblématique de cette chanson intemporelle.
La ligne de guitare plutôt heavy classique de « At the sound of the
Demon bell » cache en fait un titre qui se déstructure au fil des minutes et sur lequel le chant apparait comme un sublime épouvantail. Les sonorités du titre flirtent sans filet avec
Rainbow,
Deep Purple et une pointe d’Iron Maiden pour finir dans une orgie de notes cosmiques voire mystiques.
Le somptueux «
Melissa » et son envolée de guitares permanente s’accompagne d’un chant presque plaintif de son leader charismatique. Ce morceau clôt avec finesse et subtilité un album réussi et singulier qui marquera à jamais l’histoire du Heavy-
Metal.
Signalons enfin l’épique et complexe «
Brainstorm’s fall » bâti sur des compositions nocturnes d’Hank Shermann mises bout à bout et tissant ce patchwork de 16 riffs différents aux dires de son auteur. Le riffing ainsi que le jeu de batterie sont joués à contretemps avant que ne s’ouvrent de nouvelles portes sur d’improbables expérimentations sonores. Les phases de repos et de calme de la rythmique tout comme le chant superbe, toujours en étroite adéquation avec l’univers proposé, s’enchainent avec une accélération salvatrice en fin de morceau, libérant encore plus les musiciens dans leur imagination débordante. Dantesque !
Comme tout joyau, l’écrin aide aussi à renforcer l’effet d’émerveillement et de splendeur. Le nom et la pochette de cet album ont aussi leur histoire.
King Diamond se vit offrir un jour un crâne. A l’époque, les Experts et NCIS n’officiaient pas encore avec le brio qu’on leur connait et le chanteur n’avait que son imagination pour essayer de comprendre quel destin funeste avait été réservé à cette personne de son vivant. Il était fortement intrigué par un trou, logé en plein milieu du lobe frontal, comme si une flèche l’avait transpercé. Très vite, ce crâne fut utilisé par le disciple de LaVey sur scène et devint un symbole de plus du groupe. Dérobé quelque temps plus tard lors d’un show aux Pays-Bas au milieu des années 80, le crâne avait été baptisé par le front-man du nom de
Melissa, prénom d’une sorcière imaginaire qu’il pensait devoir être celle à qui cette tête appartenait. Délire d’un jeune artiste ou quête mystique personnelle, ce crâne fut à l’origine du titre
Melissa et de l’histoire qu’il y raconte.
Stylisé dans un subtil contraste de couleurs, il fut sans doute aussi une source d’inspiration pour la pochette de l’album.
Les sen
Timents principaux qui se dégagent de ce premier album de
Mercyful Fate sont sans conteste la facilité d’écoute et la plaisir procuré par un son compact et lisible. Etonnante d’ailleurs cette accessibilité pour un groupe officiant dans un style ésotérique et maniant l’occultisme comme d’autres iraient à la messe le dimanche.
D’autre part, l’énergie positive des compositions ne véhicule pas la moindre dose de destruction ou de brutalité gratuite. Il serait pourtant facile de s’attendre à un déluge de violence et de décibels malins de la part d’un style naissant comme le Black
Metal, adepte du rejet des religions et de la négation de la vie terrestre. Ces mêmes religions qui, comme le dirait
King Diamond, mènent à la guerre et à la disparition de l’espèce humaine.
Opium des peuples pour d’autres, elles divisent et aveuglent parfois les plus faibles dans un sen
Timent de dépendance et d’asservissement intolérables alors qu’elles devraient être à leur manière un guide spirituel pour trouver sa propre voie et se réaliser en tant qu’individu, tout en respectant la liberté de l’autre. Vaste débat, vieux comme le Monde, du chemin tortueux menant à l’accomplissement personnel.
Cette œuvre artistiquement aboutie constitue, en toute objectivité, un premier pas vers le Saint
Graal pour le singulier musicien et ses compères.
Alors que le mystère de ce crâne au passé inconnu plane encore, ce véhicule de fantasme et de croyance confère à Kim Bendix Petersen le statut tant convoité de Roi, portant la couronne serti de son joyau, «
Melissa ».
Didier, octobre
2012
Relecture bien sympa de cette chro en me passant le disque que j'ai enfin pu acquérir à un prix décent. Quelle tuerie. 2 jours qu'il tourne en boucle. Je me souvenais bien de 2 titres (Curse of the pharaohs et Into the coven)mais pas du tout ou pas bien des autres.
Sur le livret tout rikiki du cd (megaforce records, ce doit être la première édition non?), il est indiqué que Shermann a écrit toute la musique seul. J'ai mal compris ou c'est bien le cas? Je suis très surpris.
Si c'est bien ça, la musique est de Hank et les lyrics du King.
J'ai découvert Mercyful Fate et par conséquent cet album sur le tard.
Du bon Heavy metal comme j'aime, meme si mes 2 morceaux préférés sont Into the Coven et Melissa.
16/20
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