"Each song cost us lucidity, tears, tripes, so listen to it with its own identity"
C'est toute la démarche du groupe qui résonne dans ces quelques mots présents au dos du livret. Ce message contient un avertissement et une recommendation.
Malemort est le fruit empoisonné né d'une détermination et d'un abandon absolus à l'antre infernale. De la détermination, il en a fallu au groupe pour accoucher d'un premier album aussi abouti ; il en faudra tout autant sinon plus à l'auditeur pour s'extirper de ce labyrinthe interminable. S'exposer à la beauté déliquescente de ce diamant noir peut se révéler un jeu dangereux. Apprêtez-vous à découvrir le véritable sens du mot SACRIFICE.
Avant de s'attaquer au style, il est bon de faire quelques présentations.
Elhaz est un quatuor originaire de Chambéry, formé en 2001, qui a déjà deux démos à son actif. Le maître à penser de cette entité maléfique n'est autre que Samigina (Anarkia,
Wolfshade,
Physiology Of Darkness...) un personnage très actif de la scène UG de l'Est de la France.
Elhaz est sa créature, il en est le chanteur, le guitariste, le principale compositeur, le producteur, et c'est sur son label
Raven Circle Productions qu'est sortie la première édition de
Malemort.
Parlons du style maintenant. On pourrait très simplement lui accoler l’étiquette de black metal dépressif comme nombre de groupes qui pullulent sur cette scène et passer notre chemin, mais ce serait commettre une grave erreur. En effet, cela réduirait à néant un travail de création incontestable, et surtout ce serait nier la puissance et la richesse d’un monument incantatoire dédié à la souffrance des âmes en perdition. Les aspects sombres et tourmentés ne représentent en réalité qu’une facette d’une pyramide qui en cache bien d’autres. D’abord cette musique prend indiscutablement ses racines dans le doom le plus glauque, et oppressant qui soit, mais après immersion, ce qu’il ressort c’est avant tout un aspect ésotérique chargé d’une obscurité totale (la pochette, la triade runique présente sur le cd, et les thèmes abordés sont suffisamment « clairs » à ce sujet) : l’univers idéal pour libérer la Bête tapie en chacun d’entre-nous.
Malemort peut être considéré à juste titre comme une offrande dédiée aux esprits infernaux les plus affamés qui soient. Une œuvre au magnétisme diabolique.
L’un des aspects les plus appréciables avec
Elhaz, et qui se vérifie ici, c’est qu’on distingue chaque morceau sans difficulté. Ce premier album se compose de 6 pièces qui jouissent d’un souffle et d’une intention commune tout en présentant finalement 6 identités différentes, mais complémentaires ; et c’est cette diversité qui fait toute la richesse et la puissance de l'album.
Malemort s’ouvre sur l’un des deux morceaux phares de l'album,
Cross the
Gate of
Demise. Cette pièce magistrale dure plus de 11 minutes, mais pris dans la tourmente, le temps s'efface pour ouvrir sur une autre dimension. Tout commence par un cliquetis métallique, des chaînes qui traînent, ou des clef qui se perdent, c’est au choix, s’enchaine dés lors un riff entêtant et lancinant, qui va hypnotiser et poursuivre l’auditeur sans relâche. Puis surgissent les hurlements de Samigina, qui déchirent une atmosphère lugubre, empreinte de malveillance et de désespoir. Ce morceau travaille l’auditeur comme une lame de rasoir qui s’appliquerait à venir faire de très fines incisions au creux de votre esprit. Le tempo est initialement lent mais s’accélère par instants, veillant consciencieusement à éradiquer les derniers signes de vie environnants. Les boucles sonores anéantissent peu à peu la volonté de l'auditeur, puis l'orage éclate dans un déchainement rythmique, contrastant fortement avec la mélodie des claviers. La production est très propre pour une oeuvre issue de l'underground, un des points fort de l'album. Elle propose un juste équilibre entre les instruments, avec une batterie et une basse hyper présentes au rendu live, sans effet ni fioritures. On perçoit un immense travail sur les guitares et les voix, qui s'entrechoquent dans un chaos organisé, soutenues par des claviers à la fois anecdotiques car présents ponctuellement, mais vraiment à des endroits stratégiques qui permettent de conserver l'attention de l'auditeur jusqu'à la dernière seconde. Ce titre a la principale qualité de vous décharner avec une infinie, lente et minutieuse perversité tout en vous ravageant au moment crucial où vous pensiez vous abandonner à la plus délicieuse des agonies.
Le deuxième titre, Walpurgis Dance in the Evils
Hand, est ouvert par des chœurs et un clavier qui annoncent une cérémonie à laquelle on n'inviterait pas ses parents (en principe), la basse dissonante de Baltack ressort clairement, la batterie accélère le mouvement avec un son toujours aussi unique, le texte est déclamé par Samigina, l’ambiance est ici plus mystique, on sent que le moment du sacrifice approche, et le glas qui retentit à la fin du morceau ne fait que confirmer cette impression.
Die Lunar et Relapse, les titres suivants, développent un peu plus l’ambiance malsaine qui traverse de part en part l’album, des montées de violence de
Die Lunar, aux passages très dark avec ces nappes de claviers en toile de fond sur Relapse. Le « chant » se transforme et alterne passage déclamé et hurlements sans saturation, la musique nous amène peu à peu aux abords de la folie, ultime refuge dans cet univers délabré, doucement, tout doucement…
Pas le temps de reprendre son souffle,
Heretic Winter’s Coming fait son apparition, guitare acoustique en ouverture, c’est lent et mélodique, puis les guitares saturées reprennent leur droit. Des cris d'alarme de corbeaux émaillent cette pièce ainsi qu’un chant inhabituellement clair toujours en alternance avec des hurlements provenant de l’autre monde. Et ce clavier qui avec trois notes finit d’enfoncer les derniers clous de votre cercueil.
Enfin, le dernier titre s’enchaîne, et c’est un morceau de choix, Ci-Gît
Malemort, qui dure pas moins de 14 minutes (en fait seulement 11), où tous les éléments précédemment décrits se retrouvent pour se mélanger dans un paroxysme de violence et de dissonance qui atteint des sommets, la complainte de Samigina est sans fin et sans faille, une lente agonie qui s’éternise jusqu'à son dernier souffle.
Malemort fait partie de ces œuvres qui semblent anodines à la première écoute, mais qui une fois qu’elle a capté votre attention, vous embarque sur les rivages les plus sombres et malfamés, où vous perdrez pieds, et surtout raison. C’est éprouvant et dérangeant, parfois jouissif, mais surtout très rapidement addictif ; et celles et ceux qui oseront s’y abandonner tout entiers n’en reviendront jamais indemnes…
A noter que cet album est sorti en 2006 sur le label
Raven Circle Productions, et a été remasterisé et réédité par Samigina sur le label chinois
Pest Productions en 2010.
Méfait accompli.
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