En ces années 92-93, le thrash metal a entamé sa longue traversée du désert. Bien loin de désespérer, quelques groupes atypiques maintiennent la flamme, comme par exemple ceux de la mouvance techno-death marquée magistralement par les albums Grin ou Above The Light (
Coroner,
Sadist).
Plus discret et plus anonyme encore, un groupe d’ Allemands issus de l’ex-RDA avait pointé le bout de son nez dès 1992.
Depressive Age, un combo affublé de l’étiquette thrash metal, mais au style personnel et à l’indépendance artistique indiscutable. Issu sans doute d’une maturation musicale peu “polluée” du fait de son isolement géographique et culturel, le metal de
Depressive Age éclate véritablement avec ce second album,
Lying in Wait.
Difficile de décrire en quelques mots l’univers particulier de
Depressive Age...il en va ainsi des premiers instants du disque, guitares stridentes et lancinantes, basse monolithique et atmosphère lourde et angoissée. Arrivée du chant, lui aussi tout à fait particulier. Intervenant pour beaucoup dans la structure mélodique de l’ensemble, Jan Lubitzki fait étalage d’une interprétation assez décalée par rapport aux canons du thrash metal, sans pour autant tomber dans le cliché heavy, notamment grâce à son timbre atypique et à la polyvalence de son répertoire. Arrive ensuite l’alternance plus musclée du morceau, basée sur une rythmique sincopée bien appuyée par un jeu de batterie très inspiré et solide au possible.
Lying in Wait s’insrit au final dans une composition à trois temps, puisant d’ores et déjà dans plusieurs répertoires musicaux, à la fois très disparates sans pour autant nier à la cohérence du morceau. En fait, il est définitivement représentatif des dix titres du disque, qui alternent avec facilité entre ballades heavy rock émouvantes et survitaminées, et furieux thrash technique toujours nuancé par ce chant étonnant de subtilité de Lubitzki. Aucune faute de goût ou de baisse de qualité au long des titres, mais on doit mettre en exergue quelques sommets d’intensité, comme le superbe Berlin, au refrain mélancolique encadré de passages nerveux, et notamment d’une formidable envolée de soli accompagnée de la cavalerie de la double pédale. L’album est de toute façon constellé de perles, dont l’énumération ici serait trop longue (le turbulent Hateful Pride et son refrain / break sur fond d’arpèges, The Story énergique en diable). A noter également l’utilisation de quelques growls particulièrement beuglants, pour finir brutalement l’album avec
Eternal Twins, dernière preuve que
Depressive Age ne s’interdit rien, avec un naturel et une facilité désarmants. Côté son, on devine bien les moyens modestes d’une production faiblarde, le mix permettant à tout le moins de mettre très en avant la batterie, dont le jeu est excellent.
Assis sur une solide base de thrash metal, le metal de
Depressive Age est empreint d’une personnalité bluffante de richesse et d’inventivité. La musicalité est au centre des débats, le cinq membres combinant une technique irréprochable avec une créativité sans borne pour un résultat vraiment étonnant. Piochant à l’envi dans des répertoires allant du rock progressif au thrash metal technique, les Allemands créent et interprètent avant tout leur musique.
On peut raisonnablement leur coller une étiquette de metal progressif sans qu’il n’y ait à redire, et sans que tout l’attirail péjoratif qui colle habituellement au prog ne soit retenu. En effet, et c’est absolument remarquable,
Lying in Wait ne tombe à aucun moment dans la surenchère.
Pas de surlongueur, point de démonstration technique gratuite: la sobriété reste de mise, et la cohérence et la pureté du résultat en sont d’autant plus encore mises en avant.
Lying in Wait est donc définitivement à classer parmi ces pépites du metal, de celles dont l’ anonymat est inversement proportionnel à la qualité artistique. Disque formidable, mais avant tout anachronique lors de sa sortie, produit par un label peu puissant, les circonstances qui expliquent sa discrétion sont évidentes. Cela n’en sera que plus agréable pour ceux qui feront l’effort de le (re)découvrir.
Le melange de riffs incisifs, d'une batterie bien sèche et de cette voix mythique nous offre un spectacle grandiose.
Album de Thrash ESSENTIEL à mes yeux, aux riffs autant destructeurs que mélancoliques ; le batteur à un jeu hallucinant & un feeling monstrueux, porté par une voix d'une beauté glaciale, à fleur de peau... ; La chair de poule est au rendez-vous à chaque note de ce bijou de noirceur allemand. Les lacets de chaussures doivent être confisqués avant l'écoute de ce disque. L'album précédent & le suivant sont exactement dans la même lignée.
Quelle joie de retomber sur un texte consacré à ces artistes.
Quand je découvrais Depressive Age, j'étais impressionné par la richesse musicale et leur climat, que j'associais à une obédiance assumée envers la musique progressive.
Avec les années, alors que je redécouvre les univers goth / new-wave / postpunk des années fin-70's et 80's, je ne peux m'empêcher d'entendre chez Depressive Age une micro-passerelle sacrilège entre cette culture plombée et une culture thrash pleine d'énergie (bien qu'elles aient toutes les deux le punk comme parent commun). Un pont manifestement maintenu par ce goût du prog et de l'écriture musicale.
À l'écoute de certains passages de First Depression, certes, mais plus manifestement dans ce deuxième album avec notamment "Psycho Circle Game" ou le morceau éponyme, dificile donc de ne pas entendre sporadiquement les échos despérés et lancinants hérités quelque part des Cure (Pornography) ou encore les Sisters of Mercy (Some Kind of Stranger) de la décénnie précédente, en plus moderne, plus hybride, plus 90's.
Mais tout ceci semble sublimé par une alchimie mystérieuse entre thrash acéré, prog et dépression 80-90's (parfois même doom sur From out the Future), et ce avec une cohérence surprenante. Ça donne une musique assez déchirante, à tous les niveaux.
À recommander mille fois.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire