Généralement, quand on parle metal allemand, on pense plutôt heavy traditionnel ou metal indus puissant et lourd au chant rugueux dans la langue de Goethe : c’est bien connu, les Teutons ont le sens de la rigueur et des choses bien faites (Deutsche Zuverlässigkeit!), et quand ils trouvent une bonne recette, ils se plaisent à l’appliquer à l’envi pour avoir encore et toujours un résultat impeccable et immuable.
Pourtant, il y a quelques combos d’
Outre-Rhin qui se plaisent à sortir des sentiers battus et à réinventer sans cesse leur art :
Dornenreich,
Haggard. Fjoeryn est de ceux-là : fondé en 2003 par Stephan dans le but de mélanger metal et musique classique, la formation allemande a déjà quelques belles réussites à son actif, et ce
Lvcifer Es sorti le 24 février chez Lifeforce est désormais son cinquième full length.
Ces 61 minutes commencent par une intro aérienne sur lesquelles des lignes de guitare électriques vaporeuses nous élèvent doucement, mais rapidement, c’est un son lourd et écrasant qui vient nous ramener brutalement à la pesanteur du monde terrestre. Dans ce court titre introductif de 3,12 minutes la dualité est omniprésente : à la fois onirique et empreint d’une tension dramatique palpable, habité d’une légèreté mélodique subtile et élégante et en même temps gonflé par une puissance symphonique majestueuse qui annonce quelque chose de menaçant, tout est en place pour accueillir
Leviathan qui débarque toutes guitares dehors, sur une rythmique lourde, hachée et oppressante. Les guitares, ronflantes, sont très rondes et envoient des riffs puissants, émaillés de dissonances de guitares vicieuses qui rajoutent un sentiment de malaise oppressant, et le chant hurlé en allemand, très froid et parfaitement articulé, ajoute à cette coloration sombre. Un morceau qui sonne comme une petite apocalypse à la beauté intime et destructrice inéluctable, ces fragrances de fin du monde nous hypnotisant via ces rythmiques martiales, ces orchestrations épiques et ces chœurs malades qui nous froissent les nerfs comme des crissements d’ongles sur une vitre. Sourd, menaçant, et envoûtant à la fois,
Fjoergyn nous murmure un doux cataclysme à l’oreille avec un esthétisme et un raffinement dans la destruction qui nous écartèle dans un plaisir masochiste coupable.
Viva Inquisition continue sur la même voie, avec ses riffs saccadés, ses blasts lourds, sa basse poisseuse, et ses orchestrations qui rajoutent une impétuosité et une puissance imposantes à cet ensemble à la noirceur délectable. Tragique, grandiloquente, tumultueuse et rampante à la fois, la musique des Allemands s’apparente à un mélange délectable entre le nouveau
Satyricon, The Septic
Flesh,
Lacrimosa,
Moonspell et
Elend.
Lucifer Es développe également des longs titres plus progressifs et atmosphériques : Dinner mit
Baal, avec ses 11,11 minutes, commence sur des guitares apaisées et langoureuses qui égrainent lascivement leurs notes indolentes, musique d’ascenseur d’un lendemain de soirée trop arrosé où les vapeurs du spleen et de l’alcool nous plongent dans une agréable torpeur, et ce petit rythme jazzy chaloupé et sensuel nous prend gentiment par la main pour tuer les longues heures d’une journée grise, fade et tranquille. L’ensemble reste parfaitement maîtrisé et se déroule agréablement, avec ce qu’il faut de technique et de variations pour rester intéressant, nous faisant inconsciemment tapoter le rythme avec les doigts, puis au bout de 2,18 minutes arrivent les guitares saturées et puissantes et le tempo lourd du metal, tandis que le chant hurlé et guttural n’intervient qu’au bout de 4,23 minutes. Les rythmes et les voix s’enchevêtrent bientôt en un lacis schizophrène et déconcertant, piste tordue et complexe aux différentes ambiances qui s’entrechoquent doucement pour former une mosaïque musicale riche, variée et très colorée, enchaînant moments aériens et psychédéliques avec secousses sismiques bien plus telluriques dans un maelstrom indéfinissable. Finalement, chaque morceau de ce
Lvcifer Es mériterait un paragraphe à part entière, entre l’envolée classique qui nous porte à la fin de
Blut Samen Erde, le côté grinçant et hanté de
Terra Satanica aux faux airs de
Terra Tenebrosa ou les 11,29 minutes de Freiheit, qui clôturent ce très bel album sur un rythme enlevé et des mélodies atmosphériques touchantes à la Wolves in the Throne Room. Les couplets, plus lents et traînants, toujours hantés par cette ambiance fantomatique et par le chant baroque et criard de Stefan qui rappelle
Lacrimosa, font place à un long break atmosphérique planant, et c’est un superbe solo gorgé de feeling et de mélancolie qui vient achever notre voyage, nous égarant dans la magie intemporelle d’un ciel pur et étoilé.
En conclusion,
Fjoergyn revient quatre ans après
Monument Ende avec un nouvel album très réussi, parfaitement maîtrisé et toujours très riche en ambiances et en émotions. Le spectre musical de la formation allemande est toujours aussi large, les Allemands parsemant de touches industrielles, gothiques, classiques et symphoniques un metal extrême toujours empreint d’une beauté noble et désespérée. Comparer
Lvcifer Es aux enregistrements précédents est finalement assez inutile tant chaque album de la formation est unique, vivant par et pour lui-même. Voilà donc un excellent opus d’un excellent groupe qui plaira à tous les amateurs de metal sombre, puissant et expérimental, tout simplement. Ave Lvcifer!
Ce qui est sûr c'est que ça sort de l'ordinaire!
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