Lorsque l’inspiration persiste, le nombre des années ne compte pas.
Il y a plusieurs tendances en musique dite extrême ou sombre, pour ce qui est des one-man projets. En effet, le black metal n’en manque pas, mais en dehors de quelques artistes absolument culte, les suivre demande une certaine fidélité ou énergie.
Il y a d’abord ceux qui sont hyper productifs, sortent tout ce qu’ils font. Et comment réellement porter un intérêt soutenu dans une scène musicale surchargée (surtout pour les auditeurs polyvalents comme moi) à des productions biannuelles voir plus ? Il y a ceux très prometteurs qui d’un coup disparaissent plus ou moins de la circulation, sans un mot, voir s’évanouissent dans d’autres projets (parfois eux même one-mand band). Il y a également ceux qui à un moment donné prennent le pas de s’incarner dans un line-up pour produire des concerts.
Et puis il y a les irréductibles, comme l’auvergnat
Ars Moriendi, qui depuis un peu plus de vingt ans d’existence d’abord par des démos puis par des réels albums, surnage et se débat avec constance et consistance dans l’underground cahin-caha en produisant contre vents et marées de véritables albums sur un label ukrainien.
De ce fait, je commencerai cette chronique par un mea culpa : je n’ai pas toujours suivi ce qu’a produit le projet, et le dernier que j’ai réellement écouté était «
Le Silence Déraisonnable du Ciel », je ne pourrai donc pas réellement positionner ce nouvel album comparativement aux précédents immédiats.
«
Leur Esprit Marche dans les Ténèbres » nouvelle mouture de 2025 est donc le nouvel album du groupe, cinquante-cinq minutes de black metal personnel et fouillé, avec un peu plus de titres que d’ordinaire dont des pièces plus courtes. Pour qui posera ses oreilles après avoir vu l’artwork « particulier » (qui parlera surement à certains amateurs de bande dessinée SF fantasy des années 70), vous y trouverez une musique d’une grande qualité, non forcément en rapport direct avec ce que vous pourriez attendre du visuel.
En effet, l’œuvre développé sur cet album est à la fois brillante, ambitieuse et ambiguë, ne rentrant réellement dans aucun standard, mais livrant néanmoins un cocktail à base d’originalité et de solidité.
Voyons voir désormais les ingrédients, pour ce qui est du chant en langue française, il n’est pas l’élément remarquable de l’album malgré sa variété oscillant selon les parties entre de la harsh vocal plus ou moins éraillée et des voix plus claires avec des récitatifs voir des chœurs, il a en revanche l’avantage de se montrer particulièrement intelligible pour le style et presque intégralement en français, permettant de se plonger aisément dans les thématiques.
Ces thématiques sont à mi-chemin entre de l’introspectif philosophique, de la poésie avec notamment des citations de Vigny ou de Ronsard, et des thématiques historiques. N’allez surtout pas y voir un groupe de black médiéval à la Darkenhöld ou Véhémence, comme l’attesteront les thématiques sur la guillotine ou les guerres de religion, ainsi que la présence régulière de piano (créé début XVIII ème...) voir de sonorités plus modernes (parfois en introduction des morceaux), même s’il y a aussi de ça dans certains riffings.
Musicalement, l’artiste, sans se projeter dans l’avant-garde ne s’interdit pas grand-chose, et la variété d’atmosphères proposée est immense, avec des mélodies tout à fait épiques (sur le titre éponyme notamment), des passages acoustiques à la guitare sèche ou au piano, des chœurs avec quelques passages symphoniques, des moments atmosphériques mais dont les plages sont plutôt saupoudrées entre les riffs qu’imprégnant l’ensemble de la structure des morceaux. Dans l’esprit, on pourrait le rapprocher d’un
Ysengrin, autre groupe français vraiment intéressant et brassant large, mais sans le coté doom.
Les parties instrumentales sont bien individualisables et savamment travaillées, tant les riffs de guitare, tantôt tranchants, tantôt plus heavy, la guitare acoustique magnifique et toujours positionnée à des endroits marquants, un jeu de batterie riche et étudié, mais également une basse bien audible, voir même particulièrement à l’aise sur la fin de « L’abbé de Monte-à-Regret ».
L’album est compact mais laisse le temps de souffler, avec quelques transitions bien disposées. Il n’est pas évident de trouver de temps faibles ou de morceaux réellement au-dessus des autres, et je pense que cela dépendra particulièrement des goûts de chacun. A titre personnel, je suis particulièrement friand de « Sur la lune ou aux enfers ? » et de son riffing plus référencé black metal moderne, qui me touche un peu plus.
L’outro est également particulièrement bien conçue mais n’a d’outro que le nom puisqu’elle est suivi d’une reprise blackisée très bien sentie de « The Reign of Chaos and Old
Night » du groupe culte de dark ambiant néo-classique français
Elend, et qui s’intègre si bien qu’en dehors du chant en anglais, on pourrait clairement y voir un morceau intégralement du groupe.
En conclusion, «
Leur Esprit Marche dans les Ténèbres » est un album d’une qualité extrêmement recommandable, à écouter à plusieurs reprises pour l’intégrer et en saisir toutes les subtilités, puisque sous la poudre artisanale de l’underground assumé, se cache des trésors de conception et d’interprétation.
Cet album est original sans être expérimental, moderne tout en restant dans une certaine tradition, atmosphérique sans être planant, symphonique sans être pouet-pouet, sans concession sans être true. En bref, un vrai bon album qui assume la créativité de son concepteur, sans se révéler trop « perché » et devoir être réservé aux fans d’avant-garde (comme votre serviteur).
D’où que vous veniez dans la scène black, saisissez la chance de l’écouter et il pourrait en retour vous saisir…
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