«
Stille Volk » a beau jouer du folk médiéval depuis près de vingt ans, on ne peut être insensible à sa musique. Je veux bien croire que l’on puisse reprocher au style d’être désuet ou seulement approprié aux reproductions de joutes moyenâgeuses. Le quatuor l’a néanmoins révolutionné, le rendant fascinant, au point de réunir sous un même chapiteau plusieurs milliers de personnes, pas forcément venus en tenue de gentilshommes. Ils ont fait les honneurs du Motocultor en
2012, puis ceux du Hellfest en 2013. Cette notoriété, ils la doivent à leur longue carrière, aux albums qu’ils ont créé et plus particulièrement à leur précédent volume, l’époustouflant «
Nueit de Sabbat », sorti en 2009. Ils vont se lancer presque aussitôt à l’élaboration d’une nouvelle œuvre, qui se veut différente à ce que l’on retenait jusque-là de la bande de Patrick Lafforgue. Mis en plan depuis l’année 2011, «
La Peira Negra » visite les sous-sols, les bas-fonds, s’approche d’un peu plus près de la résidence du grand cornu. Après avoir festoyé lors du
Sabbat, le moment est venu de frissonner et de se confronter aux conséquences de notre blasphème. C’est du moins ce qui était écrit sur la pierre à l’entrée.
L’album nous fait visiter un milieu souterrain et obscur, dominé par une pierre noire maléfique. Cet étrange concept s’accompagne de la prestation des musiciens de « Gäe Bolg », de «
Barbarian Pipe Band » et du bassiste Didier Bignalet. Ce renfort va être déterminant à en juger du contenu de l’ouvrage. «
Stille Volk » observe une sorte de mutation pour un album qui a été annoncé comme le plus sombre de leur discographie. Une diversité musicale s’opère, allant au-delà de la sphère occitane ou médiévale. « Dementis Maudiçon » nous convaincra de cette aspiration vers les abysses ténébreux initialement revendiquée. Le ton y est froid, intimidant. L’utilisation de l’orgue aspire à cela, comme les percussions chaotiques que l’on y perçoit. Néanmoins, cette sorcellerie qui se manifeste prend une tournure beaucoup plus menaçante avec le chant, et ne sera atténuée qu’en fin de piste par quelques airs festifs. A partir de ce morceau, nous ne pouvons que nous imaginer que cette pierre noire continuera à terroriser l’esprit des auditeurs. Cependant, l’écoute de la suite démentira tout ce qui a été dit à propos d’un album supposé lugubre, effrayant.
Ainsi « Sous l’œil de la Lune » nous surprendra par son allégresse, et surtout par son formidable élan épique. Il y a énormément d’entrain, d’affirmation dans cette cavalcade. Le rythme effréné nous maintient en haleine et les chœurs nous comblent d’énergie. Dans ce fourmillement sonore, nous identifions bien la trompette. Instrument qui va jouer les trouble-fêtes au milieu du morceau éponyme, figeant l’atmosphère. Le titre fournit un cas d’intimidation par ce détail, mais aussi pour son entame fait du bruit de pierres qui s’entrechoquent. Contrairement à « Dementis Maudiçon », nous nous y frayons sans la moindre craindre, hypnotisé par ses sonorités dansantes. « Litanie du Pétrifié » sera l’occasion d’une gigue. Le titre obsède par son côté très moyenâgeux, influencé par la persistance et le son couiné des instruments à vent. Les chœurs et le chant principal vont s’avérer essentiels dans la réussite de cet extrait. Il me paraît n’avoir jamais autant décelé une telle profondeur vocale de la part d’une œuvre de «
Stille Volk ». Cela ajoute au sentiment d’évolution perpétrée.
Ce qui illustre le plus ce changement, c’est la formidable ardeur, l’excitation procurée par une rythmique exaltée sur pas mal de morceaux, notamment sur « Forêt Gorgone », qui avait pourtant débuté en toute lenteur, dans le froid et la mélancolie d’un moment funeste. L’accélération qui suivra, emmenée par l’enthousiasme du rauschpfeife, de la cornemuse et de la trompette fera vite oublier tout peine et chagrin. «
Stille Volk » quittera un temps son Occitanie natale pour rejoindre les vertes contrées des pays celtes sur « En Occulz ». Le titre s’apparente en effet énormément à une ballade celtique. C’est en grande partie à cause de mélodies de flute. Cet instant de féerie ne parviendra toutefois pas à égaler l’intensité de « Heaume de Lichen », qui s’impose par la grande richesse de ses sons et de ses émotions véhiculés. Nous circulons déboussolés entre passages frénétiques et contemplatifs. C’est un peu plus la formation que l’on connaissait avant qui s’exprime là. Nous avons une nouvelle retrouvaille de ce «
Stille Volk » traditionnel avec « L’Eveil du
Spectre », qui se traduit par une musique joviale par à-coups. Le refrain et ses chœurs épiques offrent cependant un petit décalage avec la neutralité perçue sur les couplets.
La formation n’oublie pas ses liens fragiles avec le milieu metal. Elle se permet une adaptation folk du fameux « Come to the Sabbath » de «
Mercyful Fate », issu de l’album « Don’t Break the
Oath ».Ce n’est pas la première fois qu’ils font un pareil hommage à un illustre confrère de musique metal. Nous pouvons nous souvenir de la reprise de « To Tame a
Land » d’« Iron Maiden » sur l’opus «
Le Satyre Cornu » (« Adoumestica Una Terro »). Cette version de « Come to the Sabbath » va s’avérer quelque peu décevante. Nous nous n’attendions pas à ce qu’ils puissent faire aussi bien que l’original, mais s’il y avait eu davantage de fougue, on aurait peut-être pu avoir quelque chose de plus attachant. Contrairement au reste de l’album, la musique de «
Stille Volk » se morfond comme intimidée par l’épreuve. Elle nous interroge par ses hésitations.
En écoutant «
La Peira Negra », vous aurez l’occasion de rencontrer un «
Stille Volk » transformé, transporté même, si on en croit les illustrations épiques et sauvages que l’on puise sans difficulté dans l’ouvrage. Ce n’est certainement pas l’œuvre noire et redoutable que l’on nous a initialement déclaré. La pierre noire n’aura jaillit de sa pénombre qu’une seule fois, en commencement d’album. Le projet a muri, délivre un son plus moderne. Les guests ne se sont pas contentés de figurer en simples accompagnateurs, mais ont pesé de tout leur poids dans la composition, au point d’avoir participé à la métamorphose des occitans. «
Stille Volk » se serait, pour ainsi dire, enrichi. Il s’est adapté et nous surprend par des sons inédits, par un chant qui a pris en puissance. Il faudra néanmoins nuancer cette performance. En comparaison, le prédécesseur «
Nueit de Sabbat » était certes plus traditionnel, mais contenait des titres incroyablement marquants. «
La Peira Negra » ne propose pas des titres aussi mémorables que « Banquet », « Forêt d’
Outre-Tombe » ou « Egérie Nocturne ». C’est ce qui en fait sa petite faiblesse une fois passée la stupéfaction liée à sa métamorphose.
15/20
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire