Dodecahedron n’est pas un groupe ordinaire. Prenez déjà le nom : vous en connaissez beaucoup vous, des combos de black metal qui adoptent le patronyme d’une forme géométrique ?
Non, comme le laissent deviner les douze phases du polyèdre, la musique du quintette n’est pas conventionnelle, difficile d’accès, totalement schizophrène et ne se dévoile que lentement aux adeptes de black dérangeant et corrosif.
Après un premier album qui avait défrayé la chronique en
2012, revoici les cinq timbrés de Tilburg pour leur deuxième full length,
Kwintessens, et force est de constater que la santé mentale des Hollandais ne s’est pas améliorée, loin s’en faut.
Le Prelude n’est qu’un grondement sifflant et abrasif qui s’amplifie et envahit petit-à-petit l’espace sonore, avant qu’une batterie martiale ne vienne rythmer ce chaos informe de ses patterns ultra précis, lui insufflant une forme de plus en plus palpable. L’horreur gonfle, se dilate, prend un visage presque humain, avec ces petits samples insidieux et ces chuchotements haineux que l’on croit percevoir en filigrane, puis c’est l’explosion : avec The Culling of the Unwanted from the
Earth, le décor musical esquissé s’écroule soudain, les guitares vomissant des nuées de notes bourdonnantes et déstructurées qui éclaboussent et rongent dans tous les sens comme des jets d’acide meurtriers. Le poulpe J. Barendregt donne un semblant de vie à ces cohortes de notes décomposées que tente de discipliner la voix impérieuse de M. Eikenaar, puis le rythme roule, lent, perdu et obscène, se répandant comme le pus noirâtre s’écoulant lentement d’un abcès. Le monstre polymorphe Tillin the
Human Soil rappelle incontestablement
Deathspell Omega, avec ces rythmes tordus, complexes et atrophiés flanqués de contre temps affolants, ces arpèges malsains qui semblent se dissoudre dans un air vicié au fur et à mesure que la gratte les expulse, et cette sensation de folie et d’enfermement; la fin du morceau se pare de teintes métalliques et industrielles, et ce rythme mécanique ponctué par la double pédale, ces coups lourds et mats rappelant le vacarme abrutissant d’une usine géante ainsi que ces guitares saccadées confèrent une noirceur glaciale qui broie impitoyablement toute once d’humanité.
L’Interlude, uniquement instrumental, nous plonge toujours plus profond dans les abysses, incarnant à merveille cette sensation nauséeuse de tournis et de vertige avant que
Harbinger, sorte d’avatar schizophrène de Kvltist, ne vienne nous ébranler méchamment le bulbe, avec ces guitares aigres et grinçantes comme des scies circulaires et le chant toujours aussi bestial du hurleur.
Dodecahedron est aussi redoutable qu’imprévisible, ne suivant aucun trame musicale logique, s’éclatant entre arpèges malsains, pluie de notes vitriolées et saccades massives de guitares, le tout impeccablement rythmé par un batteur fou. L’ensemble de ces huit titres reste terriblement malsain et asphyxiant, brouillant nos repères et nous plongeant dans une sorte de désert urbain post apocalyptique où notre désespoir tourne furieusement en rond entre les seringues, les cadavres de bouteilles, et les bris de verre qui jonchent le sol de cette immense usine désaffectée à ciel ouvert. Heureusement, A Ill-Defined Air, plus aéré et apaisé, nous permet de respirer un peu dans ce climat de misère mentale où la folie, tapie derrière chaque arrête tranchante du dodécaèdre, nous guette, et menace de nous sauter à la gorge à chaque instant (l’insoutenable Finale, la fin dantesque de l’album, The Death of Your Body se désagrégeant superbement durant presque deux minutes particulièrement jouissives).
Pour conclure, si vous avez aimé l’éponyme, vous ne pourrez qu’adorer
Kwintessens, qui reprend la recette de l’album précédent en poussant le vice encore plus loin : plus intense, plus dérangé, plus schizophrène, plus déstructuré, mais peut-être paradoxalement un chouïa plus accrocheur, les Bataves réussissant l’exploit de rester toujours cohérent dans leur folie musicale, en parvenant à modeler un rythme et à insuffler quelques timides mélodies dans ces ténèbres pour mieux posséder l’auditeur masochiste. Voilà donc encore une belle chtarberie, à écouter de préférence avec une camisole dans le confort douillet d’une cellule capitonnée.
Merci pour la chronique .
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