Il semblerait que Georg Börner soit un artiste qui aime prendre son temps. Si en 2008, ColdWorld sortait un album qui, pour beaucoup, compte encore parmi les références majeures du black ambiant/DSBM, le magistral
Melancholie², l’Allemand mettra tout de même huit ans à lui proposer un successeur, le non moins réussi
Autumn, plus lumineux et apaisé, et il faudra encore attendre six longues années pour voir enfin arriver le sobrement intitulé
Isolation, troisième full length du one man band d’Erfurt, sorti le 30 septembre sur Eisenwald Tonschmiede.
Bien que composés pendant la pandémie, ces huit nouveaux titres ne semblent guère marqués par la haine, la fureur ou la frustration, bien au contraire :
Isolation sonne comme une suite logique d’
Autumn, toujours plus serein, calme et intimiste, s’éloignant toujours plus des débuts déchirés du groupe dont les plaintes semblaient alors cristalliser une douleur indicible.
Plutôt que de jeter des poignées de gros sel sur des plaies béantes, Börner a intelligemment choisi de concevoir et appliquer un baume musical qui l’aide à cicatriser lentement des douleurs du passé ; ainsi c’est une mélancolie douce qui nous berce le long de ces 43 minutes, aux influences post rock encore plus prononcées que sur l’album précédent (l’arpège qui entame tranquillement Soundtrack to
Isolation et vient nous caresser les oreilles comme les tièdes rayons d’un pâle soleil d’automne).
Cette
Isolation ne sonne pas comme un exil forcé et douloureux mais renvoie plutôt à un état contemplatif et calme, une sérénité rassurante et intime, qui nous enveloppe comme une sorte de cocon et nous met à l’abri de la folie absurde du dehors (l'ambiant d'
Isolation Stagnation et ses sonorités étouffées, presque aqueuses qui résonnent comme le clapotis lénifiant d’un embryon baignant dans la chaleur douce et protectrice du liquide amniotique dans le ventre maternel). La musique de
Coldworld reste bien sûr très émotionnelle, belle et touchante, avec cette mélodie traînante qui nous engourdit et nous plonge dans un état de léthargie béate, mais la résignation et l’amertume qui roussissaient encore les feuilles de l’automne en 2008 se sont muées en une sorte de bien-être qui nous apaise (le superbe Soundtrack to
Isolation avec ces notes de violon et ces chœurs mêlés qui mêlent leur soupirs en une ritournelle doucement lancinante. Lorsque le rythme s’accélère, la symphonie de cordes se fait plus lumineuse et intense, nous irradiant d’un souffle de légèreté et de ce qui s’apparente à de la joie de vivre - oui, vous avez bien lu ! - et ce jusqu’à la fin du morceau).
C’est un fait, cette nouvelle oeuvre s’apparente plus à une réclusion volontaire, une mise à l’écart du monde des hommes pour mieux se rapprocher d’une nature imperturbable, toujours égale et juste, source d’inspiration et de quiétude infinie. De ces émotions complexes, tiraillées entre mélancolie et contemplation, tristesse et plénitude, il s’ensuit que la musique de
Coldworld est plus nuancée et riche que par le passé, déclinant les infinies nuances d’une palette de gris admirablement chromatisée.
Cette évolution s’incarne par l’effacement toujours plus prononcé des parties vocales, les hurlements black se faisant désormais rares et laissant la place à de longues plages instrumentales qui ne sont pas sans rappeler le dark black doom forestier d’
Agalloch ou la sensibilité larmoyante d'un
My Dying Bride (
We Are Doomed et
Wound, avec la douce caresse du violon et ces chœurs graves et résignés à la fragrance païenne). L’ambiant n’a pas tout à fait disparu de la musique du one man band (le Leere introductif, Five, courte pièce froide et lugubre,
Isolation Stagnation) mais ces passages semblent plus agir comme des vagues faisant office de transitions, venant nous déposer délicatement au creux d’une émotion, et nous emmenant paisiblement d'une sensation à l'autre en un doux mouvement de ressac sonore.
Pour conclure,
Isolation s’inscrit dans une sorte de continuité tranquille d’
Autumn, un peu moins intense et écorché et sans doute encore plus varié et ouvert dans son expression musicale. Une belle œuvre, à savourer seul, évidemment, qui vient à point nommé pour souffler sur les braises encore tièdes d’un printemps agonisant, raviver sa sève figée et la mêler aux langueurs naissantes et frissonnantes de l’automne.
J'ai plané simplement en lisant ta chronique !! Chapeau bas, si l album est du même niveau...
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