Printemps 1987. Le soleil écrasant du
Texas allonge doucement l’ombre d’un homme empli d’un désir brûlant, celui de délivrer une nouvelle musique, lourde, puissante, lente, chargée d’une obscurité rayonnante…
John Perez, jeune thrasher texan, quitte son groupe
Rotting Corpse, bien décidé à passer à autre chose après avoir fait le tour et senti les limites du Thrash. Fanatique de
Doom Metal, du son engendré par le grand Sabbath et perpétué par les formations de la seconde vague tels
Saint Vitus,
Witchfinder General ou
Nemesis, Perez rassemble autour de lui quelques musiciens pour former
Solitude. En 1988 paraît leur première démo intitulée
And Justice For All…, puis suivent quelques concerts et de nombreux changements au sein du groupe pour aboutir au line-up suivant qui restera le même jusqu’en 1996 : John Perez et Edgar Rivera aux guitares, Robert Lowe au chant, Lyle Steadham à la basse et John «
Wolf » Covington à la batterie. Une nouvelle démo sort en 1989, qui permet au groupe de signer chez le label indépendant
King Klassic Records.
Solitude devient
Solitude Aeturnus. Le combo entre alors aux studios Dallas Sound Lab en Janvier 1990 pour enregistrer leur premier album, le désormais culte
Into the Depths of Sorrow. Après un mixage désastreux le groupe retourne aux Sound Logic Studios (où les deux démos ont été réalisées) pour un remix. La bataille est grande face au résultat catastrophique mais finalement, la formation parvient à capter un son profond et lourd, néanmoins très brut. L'album est enregistré pour une somme dérisoire (environ 3000 $) en sept jours à peine incluant le remix. Mais Roadrunner Records s’intéresse très vite au son du groupe et par un accord sous licence, le label obtient le suivi de
Solitude Aeturnus. Après de nombreux retards, en 1991, soit plus d’un an et demi après que l'album ait été enregistré,
Into the Depths of Sorrow voit enfin le jour…
Juillet 1991. Le légendaire premier full-lenght du combo paraît à la lumière,
Into the Depths of Sorrow et son
Power atmosphérique dont la puissance Heavy
Doom brûlante et mélodique hisse directement l’album au statut de culte. Si l’introduction qu’offre
Dawn Of Antiquity (A
Return To
Despair) promet en quelques instants à l’auditeur l’immersion dans une atmosphère occulte et mystique par son chant monacal plein de dénuement, Opaque Divinity brise très vite ce calme pour abattre les premiers riffs d’un
Doom majestueux au son orientalisant.
Le caractère culte du disque ne peut résolument pas être étranger, au-delà des émotions qu’il dégage, au talent et à la technique de chacun des membres du groupe : en un album, après seulement quelques démos,
Solitude mets véritablement à genoux, en ce début des années 90, ceux qui pourraient reléguer le
Doom dans les niveaux inférieurs de la scène
Metal (à l’époque, comme
Saint Vitus l’avait subi avant eux, le public était réellement dubitatif face à la lenteur des riffs du groupe ; aujourd’hui encore, pour certains le
Metal n’est synonyme que de rapidité…).
Après cette première piste, la force du groupe s’élève alors comme une évidence, confirmée par l’écoute de Transcending
Sentinels, à l’introduction sombre et rayonnante d’une lumière mélancolique. Le riffing grésillant de Perez et Rivera, empli de la chaleur même du désert Texan, se déverse en flots de pur feu, alliant la force primaire du Heavy
Metal au ténébreux et brûlant groove du
Doom. Mais si les deux premières pistes projettent efficacement l’ambiance mystique et les structures longues et complexes du groupe, dès l’ouverture de
Dream Of Immortality et la venue de son refrain éblouissant, tout entre dans une nouvelle dimension. Dans une étreinte incandescente, la lenteur majestueuse d’un
Doom raffiné, lourd et occulte, fusionne alors avec l’épique puissance, pure et cristalline, du Heavy
Metal. D’accélérations destructrices en invocations lourdes et lentes, les guitares de Perez et Rivera s’enroulent, glissent, caressent en de sombres spirales, mélodieuses et langoureuses, la voix d’ether brûlant de Robert Lowe.
La performance du chanteur est sidérante ; dans sa démence mélodique, Lowe déploie sa voix comme des vagues flamboyantes, incantations sublimes semblant s’échapper d’anciens tombeaux antiques, vents de feu vrillant la tête de mélodies ensorcelantes, soutenue par des guitares surpuissantes, comme ce duo magnifique entre terre et cieux que nous offre l’indicible White Ship. De
Dream Of Immortality jusqu’à la fin de l’album, les riffs de Perez se font alors lourds et assassins (White Ship), véritables trombes de fragrances orientales (
Destiny Falls To Ruin, Mirror Of
Sorrow) enveloppées par les mélopées tristes et nobles de Lowe, délivrant d’accélérations furieuses en passages d’une lourdeur subtile et transcendante les volutes ensorcelantes de parfums antiques, délicieusement mélancoliques.
Car c’est bien ici les sentiments de l’être, l’occultisme, l’absence de fin et l’abstrait qui sont chantés par cette voix, sortilège de pure grâce mélodique, à l’image de cet homme allongé dans les ruines d’un bâtiment oublié depuis longtemps, replié sur lui-même, absorbé par le silence mélancolique du lieu ; au-delà, l’horizon lointain s’étend dans l'infini, seul demeure ce désert énigmatique et brûlant…
Une fois cela dit, on ne pourra que reconnaître la laideur de l’illustration créée par Shawn
Carson, assez fade du moins, mais le sens et les sentiments sont bien là, et correspondent parfaitement à la tristesse de
Into the Depths of Sorrow. L’ascension vers les nuées ardentes se poursuit pour atteindre l’apogée dès
Dream Of Immortality et
Destiny Falls To Ruin et leurs mélodies délicates, ravivant majestueusement la poussière sépulcrale de l’Egypte Ancienne, puis avec White Ship et son riffing obscur proprement assommant, invitant inévitablement le doomer conquis à un headbang au ralenti, jusqu’à la trance.
Enfin, le légendaire Mirror Of
Sorrow fait entendre ses douces premières notes, pour monter progressivement en puissance et atteindre à la fin du morceau l’apothéose par le souffle possédé du « Disciple Of
Doom » dont le chant devient alors invocation irradiante de flammes, voix d’une puissance inouïe, pure grâce claire, limpide et suave mais paradoxalement toujours agressive et sombre... La langueur triste, ensorcelante, furieusement mélodique de cette sensuelle malédiction frappera longtemps son auditeur, semblant s’étirer vers l’infini en une déchirure incandescente, s’entrelaçant lascivement aux riffs et solis mémorables de Perez et Rivera. Where Angels
Dare To
Tread achêve enfin le sombre rituel, lente vague de mélodie ardente où le chant de Lowe tourbillonne dans la noirceur épique d’un riff aux reflets d’Orient. Tout n’est alors plus que jouissance, plaisirs des sens enveloppés de mille épices douces amères, s’entrechoquant, glissant, se confondant dans cette fusion d’obscurité et de lumière brûlante…
En un seul album, leur premier,
Solitude Aeturnus s’impose dès lors solidement sur la scène
Doom, ignorée par beaucoup, en forgeant leur propre son, un son inédit :
Into the Depths of Sorrow est un véritable joyau Heavy
Doom atmosphérique, totalement maîtrisé par ses jeunes musiciens, offrant de purs brasiers métalliques mélancoliques, ensorcelants, incroyablement épiques et mélodiques. La formation menée par John Perez confirme alors complètement son penchant pour un
Metal entre Occident et Orient, non étranger à la voix unique de Robert Lowe, fusion de genres affichant sans faiblir tout son héritage Thrash mais démontrant aussi et surtout son incroyable nouvelle force, rappelant ainsi à tous la noblesse, la puissance métallique et la grâce mélodique du
Doom Metal.
Il est bon de faire ressurgir la grandeur de ce disque, pour le groupe, assez ignoré quand on sort de la sphère
Doom, et pour Robert Lowe plus particulièrement qui, j’aimerais souligner cela, n’est pas apparu du jour au lendemain au sein du
Metal et du groupe
Candlemass dont il occupe le poste de vocaliste depuis 2007. Hé oui ! Lowe a un passé, pas la peine donc de le cantonner dans une sorte de « remplacement » de Marcolin
Messiah. A mon goût, et même si les deux derniers albums de
Candlemass sont excellents je l’avoue, Lowe a beaucoup plus sa place dans
Solitude, qu’il occupe depuis 1988, par ses performances incroyables, son charisme et son humilité de se considérer comme « Disciple Of
Doom » et non pas en maître de la discipline. Sa voix, qui semble surgir de l’ancien Orient, lointaine, antique, terriblement mélodique et puissante, fait de lui un des plus grands vocalistes des scènes
Metal.
En ce mois de juillet 1991,
Into the Depths of Sorrow resplendit de sa puissance langoureuse, mélodique et ténébreuse, la déflagration lourde, lente et ardente de son
Power Heavy
Doom consumant tout sur son passage. Mais le combo de Perez entend bien mener plus loin le son obtenu avec ce premier album, et déjà de nouvelles compositions sont prêtes… Au loin, l’horizon pourpre et incandescent semble frémir d’un feu destructeur…
Solitude Aeturnus c'est tout simplement le pendant américain de Candlemass et son héritier direct.
D'ailleurs "Into The Depths Of Sorrow" est sorti en 1991, c'est à dire l'année où Candlemass se sépare de son charismatique (et exceptionnel) vocaliste Messiah Marcolin ce qui met le groupe dans une situation des plus compliquée (ce qui se confirmera l'année suivante avec les faibles ventes de l'album "Chapter VI").
Par conséquent Solitude Aeturnus avait la possibilité d'occuper la place laissée vacante par Candlemass.
Etonnamment il n'en fut rien et Solitude Aeturnus, malgré la qualité de ses disques, se laissa distancer par la nouvelle vague Doom (Cathedral, My Dying Bride) puis resta confiné en seconde division...
Ironie de la vie le chanteur Robert Lowe fut embauché par Candlemass en 2007 (pour remplacer Messiah Marcolin qui était revenu dans le groupe en 2001), et enregistra avec les suédois trois très bons albums qui eurent plus de succès que tous ceux qu'il avait sorti avec Solitude Aeturnus.
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