Des albums posthumes, il y en a eu pour tous les goûts, produits purement marketings pour certains, immenses hommages pour les autres, ils sont inévitablement toujours sujets à débats.
En effet, lorsqu'un groupe, quelles qu'en soit les raisons, décide d’arrêter son chemin musical en cours et de laisser ses fans éplorés dans l'obscurité d'une vie sans espoirs de pouvoir de nouveau apprécier leur musique en live, d'autant plus lorsque leur univers scénique était aussi fouillé que celui de
The Devil's Blood, certains pourraient se poser la question de la légitimité pour les musiciens et l'industrie musicale dans son ensemble de continuer à gagner de l'argent en diffusant de la musique inédite « au rabais » même fait par les plus grands pour faire fonctionner les tiroirs-caisses.
Pour autant, il ne faut pas être manichéen car au delà des notoires escroqueries que sont par exemple les (désormais deux) albums posthumes de Mickael Jackson ou les tripotées d'albums de Jimi Hendrix sortis post-mortem (pas moins de 13 si on en croit SoR), le dernier datant de l'an dernier soit 43
ANS après le décès du guitariste, ce qui même si les légendes ne meurent jamais peut toutefois être considéré comme du foutage de gueule ; il ne faudrait pas oublier que le cultissime « Unplugged in New-York » de
Nirvana rentre dans cette catégorie de même que « (Sittin' On) The Dock of the Bay » sans doute considéré comme le plus grand morceau d'Otis Redding ou que bien que loin d'être irréprochable, le « Confrontation » de Bob Marley comporte un sacré tube, ni plus ni moins que «
Buffalo Soldier ».
Ainsi lorsque suite au choc engendré par l'annonce laconique de la fin du groupe en Janvier 2013, seulement 6 ans après leur début, les hollandais annonçaient par les réseaux sociaux peu après que de nouvelles sorties allaient être mises au monde sous le nom de
The Devil's Blood (qui pour le moment se résument dans les faits à cet album), c'est partagé entre enthousiasme, curiosité, appréhension et un peu d'amertume que les fans du groupe considérèrent la nouvelle, mais peu d'entre eux ne se doutaient que ce « III: Tabula Rasa or Death and the
Seven Pillars » constituerait, avec les quelques productions sortis dans le même temps par son projet personnel, le testament musical de son créateur aussi étrange que génial, Selim Lemouchi qui décida de son propre chef de s'en aller en ce début 2014...
L'objet en lui-même, dédié aux membres passés de
The Devil's Blood ainsi qu'à leurs frères spirituels
Watain et
In Solitude, est composé de sept titres enregistrés au home studio de Selim Lemouchi prévus pour un album qui aurait du sortir vers la fin 2013, le tout subissant toutefois un vrai mastering des pattes de Pieter Kloos, comme pour les précédents albums. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit de version démos avec deux instrumentaux dont on ne saura jamais s'ils avaient vocation à le rester et le batteur, Micha Haring, est présent sur deux titres uniquement, sur les autres, il s'agira d'une batterie électronique programmée.
Le résultat en est que l'ensemble est clairement plus artisanal, plus épuré, comme pouvait le laisser présager l'artwork de Manuel Tinnemans, ce qui peut gêner au cours des premières écoutes, mais dans le même temps absout l'album du coté trop grandiloquent et tapageur du précédent et remet ainsi quelque peu au centre des débats, les fondamentaux de la musique de
The Devil's Blood, les riffs de guitare d'une part, la voix de Farida d'autre part.
La part psychédélique est bien présente, sans doute plus que jamais même, à l'image de cette œuvre d'une vingtaine de minutes en trois parties « I Was Promised a Hunt » qui ouvre le bal avec ses chœurs mystiques presque religieux et sa guitare larmoyante, mais elle l'est de manière maitrisée, contenue, captivante et jamais intrusive, le planant gagnant toujours le combat contre l'insipide, ce qui n'était pas toujours le cas sur « The Thousandfold Epicentre ». Selim Lemouchi viendra apporter sa voix sur certains passages, complément intéressant qui apporte du changement, comme une sorte de puissance collective lorsqu'ils psalmodient des textes à deux.
A l'évidence, sur le plan de l'efficacité des riffs, ce n'est pas l’itinéraire du retour vers les majestueuses et imparables heures du premier album que les hollandais ont ici arpentés, quoique...
S'ils ne sont pas aussi puissants et incisifs que naguère ni autant mis en avant, les principaux airs même lorsque atmosphériques (comme le thème de « The
Lullaby of
The Burning Boy ») sont naturellement mis en avant de par l'aspect dépouillé de la production et conservent ce coté moteur et essentiel, un peu mis à l'écart sur « The Thousandfold Epicentre ». Ainsi, le riff oppressant de « In the Loving Arms of Lunacy's Secret
Demon » et celui, rampant de « White
Storm of Teeth ».
Les deux instrumentaux seront d'ailleurs parmi les morceaux les plus envoyés de ce point de vue-là, très rock'n'roll, « Dance of The
Elements » faisant le pont entre Pink Floyd dans sa première partie et les Eagles dans la seconde, bien aidé par une vraie batterie organique tandis que la rythmique entêtante du titre éponyme final, nous laisse songer à ce que ce titre aurait pu être dans une version totalement finalisée et débarrassée d'un bruit de cymbale ride électronique qui fait quand même quelque peu serrer les dents...
Après, bien entendu, du fait de la quasi-antonymie des termes, l'aspect psychédélique mis en avant, se ressent bien sûr sur la puissance qui est inférieure à ce qui fut fait par le passé, surtout avec cette production hors des standards actuels avec un coté cheap dans les passages atmosphériques ambiants au synthétiseur et cette batterie électronique même si pas trop mal travaillé (elle est d'ailleurs absente parfois lors de longs moments mélodiques). Mais le dépouillé et le planant sera toujours plus authentique que soporifique, dégageant malgré tout une certaine authenticité et technicité parfois, dans les soli de guitare chaleureux de Selim...
Pour conclure, on dira que si cet album est loin d'être exempt d'imperfections, mais ceux-ci étaient prévisibles, annoncés, surtout si l'on considère comme certains que nous ne tenons pas là un vrai album mais une compilation de démos. Sur la longueur, il s'en tire très honorablement, sans les défauts qui me gâchaient l'écoute de « The Thousandfold Epicentre ». Du fait du coté artisanal de la chose, rien n'est parfaitement placé, mais la qualité des compositions et de l'interprétation, en fait toutefois bien plus qu'un simple ramassis d’inédits, une très honorable testament pour un groupe qui aura mine de rien marqué son temps. Conclure qu'ils auraient eu le talent pour rééditer un album du niveau de « The Time of No Time Evermore » serait trop s'avancer ; mais à la question de savoir si
The Devil's Blood et son génial mais maudit créateur auraient encore pu produire des bons albums, la réponse est indubitablement « Oui » !
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