C’est un fait, les Grecs n’ont jamais aimé faire comme les autres. Parvenant à créer leur propre scène black metal au milieu du blizzard scandinave des années 90, les musiciens hellènes se distinguent encore aujourd’hui en possédant quelques uns des plus beaux fleurons de la scène dite black avant gardiste, avec des combos comme
Hail Spirit Noir,
Spectral Lore ou
Zemial. Aaenaon est l’un de ses combos audacieux mélangeant plusieurs styles, et leur
Extance de 2014 avait pas mal fait parler de lui, assurant une certaine notoriété au groupe.
Le groupe revient fin novembre sur Code666 avec son nouvel album,
Hypnosophy arborant un style qui a encore évolué, proposant une musique plus subtile et cohérente, une sorte de metal progressif chaloupé aux touches black et aux parties de saxophone sombres et mélancoliques. Classe, tout en retenue et en finesse, racé et mystérieux, avec ces percussions feutrées et ces claviers discrets qui enveloppent sa musique d’une aura vaporeuse de mystère et de spiritualité, Aaenaon passe de l’autre côté de la barrière, se détachant toujours plus de l’étiquette black pour explorer son propre univers musical.
Si le combo n’a pas entièrement laissé de côté l’agressivité typique du metal, avec quelques parties de bravoure qui rappellent le passé plus sombre du groupe (notamment dans les vocaux hurlés et agressifs et la rythmique, volontiers lourde, mais qui s’emballe sur quelques blasts bien sentis, comme sur l’excellent premier titre, Oneirodynia, qui démarre sur les chapeaux de roue), d’une manière générale, l’ensemble est plus atmosphérique que sur
Extance, moins éparpillé et plus mûr dans la composition de morceaux au style vraiment unique et immédiatement reconnaissable. Malgré la violence relative de l’ensemble qui contraste avec ce côté expérimental assumé, l’ensemble de ces 55 minutes reste relativement facile d’accès, les sept pistes d’
Hypnosophy s’apparentant à de véritables chansons avec des structures identifiables et des mélodies récurrentes (Oneirodynia, très entraînant, l’excellent refrain d’
Earth Tomb, que l‘on se surprend à chanter à tue-tête). Malgré tout, le travail admirable sur les ambiances et les arrangements confère à cette galette une profondeur musicale et une durée de vie quasi illimitée, et la richesse de ce nouveau cru s’appréhende au fur et à mesure des écoutes (le superbe
Void, avec ces arpèges légers, ce saxophone aérien et la voix angélique et lancinante de Sofia Sarri, l’imposant Phronesis- Psychomagic qui, avec ses 15,16 minutes, clôt l’album, et nous séduit autant qu’il nous trouble de ses parties musicales planantes, tortueuses et mélancoliques).
L’édifice musical du quintette est extrêmement solide, servi par un jeu à la technique imparable (la section rythmique est un vrai régal, avec une basse décomplexée et jazzy et un jeu de percussions très riche et fouillé qui renforcent ce côté théâtral et presque cérémoniel de l’ensemble, le tout oscillant entre metal et prog’ des années 70 fleurant bon le psychédélisme (le solo de clavier à 11,57 minutes de Phronesis – Psychomagic). Le saxophone et les claviers achèvent de tisser cette ambiance brumeuse chargée en encens et en fumées acides à la cohérence étonnante, qui, s’il peut surprendre au premier abord, finit par hypnotiser au fil du temps.
Il n’y a finalement pas grand-chose à reprocher à cet album qui, dans sa catégorie, frôle la perfection. Tout juste aurait-on aimé avoir un peu plus de folie dans une musique parfois trop propre dans laquelle la maîtrise et la retenue ne laissent pas assez de place à l’expérimentation et à la fantaisie. En tout état de cause,
Hypnosophy séduira sans aucun doute les amateurs du
Shining norvégien, d’Ishahn, de
Rotting Christ voire de Pink Floyd ainsi que tous les auditeurs ouverts d’esprit qui n’ont pas peur des mélanges musicaux audacieux. Alors, qui a dit que la Grèce était en crise ?
Mention à Oneirodynia, Tunnel et Phronesis-Psychomagic!
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