Sur cette nouvelle manifestation, l'esprit tricéphale russe
Abstract Spirit fait mieux que confirmer le potentiel entrevu lors des deux précédents contacts, il le transcende. Un potentiel déjà pressenti lors de l'incarnation
Comatose Vigil, sous la forme d'un funeral doom spectral et rampant, quelque part entre la fibre horror d'un
Wraith Of The Ropes et la consistance irréelle d'un
Shape Of Despair, donnant l'impression de nager en pleins phénomènes paranormaux.
Car bien que le projet
Abstract Spirit ne soit pas la "métamorphose officielle" de
Comatose Vigil (dans le sens où le groupe n'a pas officiellement changé de nom) et ne possède qu'un seul membre rescapé (le batteur / vocaliste A.K. iEzor, ayant joint ses forces à celles du duo Manhater / Stellarghost de
Twilight Is Mine), il en perpétue bel et bien l'âme bipolaire par la voie du médium local
Solitude Productions, grand invocateur moscovite en toutes formes de doom.
Résonant de vibrations autant capables d'envoûter que de terrifier,
Abstract Spirit s'élève avec ce "Horror Vacui" à un haut rang de créature psionique. Tous les éléments caractéristiques de son funeral doom fantomatique sont poussés un bon cran au-dessus, grâce notamment à l'excellent travail réalisé par Stellarghost sur ses claviers. Bien mis en valeur par un mixage qui sait autant les dissimuler sournoisement que les dévoiler plus radicalement, ils sont telle la présence chafouine et malfaisante qui discrètement vous observe à travers les interstices du plancher, puis s'insinue et se matérialise pour venir vous grattouiller la nuque de ses phalanges glacées. Ainsi, le morceau d'ouverture "Za Predelami Somknut" alterne habilement les scènes distillant l'angoisse au travers de violons insidieux et les moments de terreur lorsque surgissent des nappes enveloppantes.
Au gré des 7 compositions comme autant de déclinaisons de sa palette spectrale, l'orchestre se métamorphose, adoptant l'aspect de piano sinistre, de cuivres grinçants et de cordes menaçantes, tissant la frayeur sur un canevas funeral doom aux mécanismes pesants et lancinants, aussi simples que diablement efficaces. Un riffing insistant, se développant sur de longues minutes entrecoupées de séquences ambiantes intervenant à bon escient à la manière du "
Bleak Vistae" de
Tyranny, dont
Abstract Spirit retrouve la sensation de déambuler dans un cloaque et de s'enfoncer dans des eaux glauques, avec un growl monstrueux semblant venir tout droit des profondeurs.
"Pul's" perturbe par sa progression au hachoir, déglinguée à la manière de "Face the
Nightmare" sur l'album "Tragdy and Weeds", et tourmente par ses arrangements aussi désarticulés que la démarche d'une Sadako, rampant, titubant, se redressant mais s'approchant inexorablement pour venir jeter la malédiction et apporter la mort sur un plateau (je vous laisse imaginer ce qui s'y trouve posé). Passé l'interlude "Vigilae Mortuorum" digne des meilleurs films d'épouvante, l'œuvre décuple sa dimension baroque et s'impose sur les trois derniers morceaux à grands renforts d'orchestrations mettant les cuivres à l'horreur, pardon … à l'honneur, et dont la décadence et la déliquescence créent un parallèle avec les travaux d'un certain Pensées Nocturnes (version funeral doom et fête foraine macabre), expirant sur une véritable messe mortuaire avec le morceau-titre et sa chorale annonciatrice du spleen éternel.
Telle une stèle à l'irrésistible magnétisme funèbre, "Horror Vacui" s'érige en un monument de 70 minutes sans temps mort (sic) et à la dimension quasi-cinématographique, grâce à un script bien pensé à base de fondus enchaînés très fluides, renforçant l'immersion de l'auditeur, que dis-je … du spectateur ! … Avec en point d'orgue un "
Post Mortem" stupéfiant, habité par le filet de voix surnaturel de Stellarghost (qui devrait faire frissonner les admirateurs d'une certaine Natalie Koskinen), des chœurs sonnant le glas et des arpèges évoquant les abysses et la désolation typiques d'un
Evoken.
Incontestablement l'album d'
Abstract Spirit le plus abouti et le mieux produit, créant un vaste univers cauchemardesque qui ne demande qu'à aspirer notre substance et nous engloutir. Ça y est, je sens déjà qu'il a possédé ma platine pour ne plus la lâcher !
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