Quand un groupe splitte ou perd un de ses membres fondateurs, c'est pour les fans une très mauvaise nouvelle, voire une tragédie. Dans le cas des christiques norvégiens d'
Extol, un des fers de lance du death/thrash progressif, leurs déboires de line up auront conduit à l'éclosion de deux groupes aussi attachants que
Mantric et Fleshkiller. Ou encore
Absurd², éphémère side project de Christer Espevoll et David Husvik, respectivement ex-guitariste fondateur et batteur en sommeil d'
Extol, qui sortirent ensemble un EP après l'album d'
Extol "Undeceived", et se retrouvent à la base d'Azusa.
Extol fit un retour inespéré avec l'anthologique album "
Extol" en 2013, avant de caler après le forfait de leur chanteur Peter Espevoll, frère de Christer, pour des problèmes auditifs insolubles.
Malgré cette nouvelle déconvenue, dès 2014, ils furent poussés par le destin à remonter un projet pour rejouer ensemble. Il a fallu qu'un mail de fan éperdu d'
Extol, un certain … Liam
Wilson, ex-bassiste de Dillinger
Escape Plan, lui aussi libre depuis la mort programmée du groupe après son dernier album "
Dissociation", provoque son association au combo naissant. Puis vint le choix téméraire d'une chanteuse aux capacités vocales imprévisibles, Eleni Zafiriadou, qui officiait dans Sea+Air, un duo pop ambient pouvant déjanter sacrément par moments.
Tout ceci s'est fait en douce, jusqu'à l'annonce de l'album d'Azusa, prêt à sortir, leakée malicieusement par… les ex-membres d'
Extol eux-mêmes, sur leur page boobook.
Le résultat de cette création libre de toute attente profite de l'effet de surprise dans tous les sens du terme. Les quatre premières chansons de l'album désarçonneront l'auditeur, à l'image de l'ébouriffant " Interstellar Islands". Ecartelé entre les riffs tordus à base d'arpèges énigmatiques et de saccades rapides d'Espevoll, la voix tour a tour envoûtante et écorchée d'Eleni, et la section rythmique mathcore épileptique de Huskvik et Liam, c'est le titre le plus aventureux de l'album. "
Heart of
Stone" et "
Heavy Yoke" sont dans le même équilibre précaire, mais plus posé. "
Fine Lines", quant à lui, surprend par sa sobriété touchante, presque pop, d'Eleni, et le morceau se termine après deux trop courtes minutes.
Ces titres étant dévoilés depuis quelques temps, ménageant une attente trépignante, la première écoute du reste de l'album m'avait laissé sur ma faim. Cependant, tel un délicieux poison, son effet se diffuse au fil des écoutes, et pris dans sa globalité,
Heavy Yoke en devient entièrement délectable.
C'est dans les petits détails disséminés de-ci de-là, un accord tordu de Christer, un choeur de chatte fêlée qui vrille un pont inquiétant, un sautillement de basse de Liam... qu'Azusa sème des graines de plaisir auditif, qui éclosent avec le temps, et le rendent définitivement attachant.
On devine que le mélange de ces quatre talents s'est fait au fil des morceaux. Comme sur "Iniquitous
Spiritual Praxis", "
Spellbinder" ou "succumb to
Sorrow", dominés par les cavalcades hachées si caractéristiques du jeu de Christer Espevoll, qui ressemblent plus à du
Extol de l'album "Synergy", où Eleni aurait posé gentiment ses hurlements de tigresse en bad trip. Les réactions chimiques entre les composants se précipitent sur "
Lost in the
Ether", "Programmed to
Distress" et "
Eternal Echo", où chacun prend plus sa place, où les mélodies et l'originalité de chacun se révèlent, pour forger l'alchimie inédite qui flamboie des quatre premières pièces de cette galette.
La trouvaille de génie est d'avoir dégoté Eleni Zafiriadou, qui illumine littéralement cet album. Je ne parle même pas de sa performance en tant que hurleuse, bluffante, surtout dans la voix agressive qui rappelle celle de Julie Christmas de
Made Out Of Babies. C'est sa sensibilité à fleur de peau, les décalages qu'elle apporte, et sa capacité à schizophréner comme une
Mike Patton au féminin qui transfigurent les titres de "
Heavy Yoke". Et quand on sait qu'elle a fait ses lignes de chant alors que toute la musique était écrite et fixée, ça laisse pantois.
Les 34 minutes de ce
Heavy Yoke sont denses, et les 11 morceaux sont relativement courts, semblant se finir en queue de poisson parfois. Comme quoi, on peut être hautement progressif et avant-gardiste tout en visant la concision et l'efficacité. En parlant d'efficacité, Azusa nous gratifie aussi de riffs qui avancent et font osciller les cervicales, comme sur "
Heavy Yoke", "
Lost in the
Ether", ou "
Eternal Echo", et de morceaux plus rapides et directs ("
Spellbinder"). Cet album transpire de folie et d'urgence, et, alors qu'il vient juste de sortir, je n'ai qu'une envie, qu'ils retournent derechef en studio pondre un deuxième LP encore plus fou.
Vraiment déroutant, l'album repousse les limites de l'originalité mais il semble cependant loin d'être accessible... mais ça doit être le moindre des soucis de C Espevoll.
Oui, c'est sûr, d'ailleurs la deuxième moitié est plus "simple" et directe, à limite faudrait faire l'album à rebours pour les plus farouches d'entre nous :-)
Par contre petit détail très con, l'album est sorti depuis le 16 Novembre, dispo sur le Bandcamp officiel du groupe, mais pas encore en France, ou il ne sort que le... 7 Décembre !
Merci pour cette chronique. Pour moi qui n'est pas un habitué de tous les groupes cités, celui-ci sonne comme une véritable découverte. J'adore ces stuctures où seules des écoutes répétées et attentives permettent de decouvrir les subtilités.
Merci encore
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