Le pire truc pour un avion en plein décollage, c'est de perdre un moteur. Ou deux. C'est un peu ce qui s'est passé avec Dirty Black Summer, qui a annoncé un hiatus pour une durée indéterminée, du moins dans sa forme actuelle, alors que son premier album "
Gospel of Your Sins" venait de prendre son envol. Pourtant, avec son fuselage de toute beauté, bardé d'un artwork classieux que l'on doit à Marald van Haasteren, ça avait tout de l'avion de chasse. Sans autre concurrence que les vieux coucous rescapés du grunge,
Alice In Chains et
Pearl Jam, avec un certain revival des 90's, il y avait de quoi nous gratifier d'un vol sous un temps ensoleillé, et atterrir entre les cocotiers, il fait trente degrés centigrades au pied des pistes. Je vais arrêter là les métaphores aéronautiques, ça va finir par être relou.
Le quintuor est né du désir de faire quelque chose de plus rock, pour des gars issus de groupes confirmés, à savoir
Svart Crown et
In Other Climes, pratiquant dans des univers très différents, le black métal et le hardcore. Il en était sorti "
Great Deception", en 2021, un EP fait en accéléré en profitant du temps laissé par les confinements. Le guitariste JB Le Bail, un des fondateurs du groupe, avouait avec lucidité que ce disque ne le satisfaisait pas vraiment, et qu'il leur restait à trouver une vraie personnalité. Effectivement, en chroniquant leur premier EP, j'avais fait un constat assez similaire et je priais pour que ces belles intentions se réalisent...
Malgré les changements récents, principalement pour JB Le Bail qui a intégré
Igorrr au chant, et entériné la séparation de
Svart Crown, par un dernier concert poignant lors du Hellfest 2022, la création du premier long format des Cannois s'est poursuivie et bouclée il y a déjà près d'un an. Le disque est paru le 10 novembre 2023 chez Nova Lux Production, la propre structure de JB pour sortir ses projets, et notamment l'ultime EP de
Svart Crown.
Puisque c'est la première chose qui pète à l'écoute de ce premier album, saluons le travail de Francis Caste, qui a mixé et masterisé cet opus dans son antre du studio Sainte Marthe. Il n'y a pas à dire, il n'a pas son pareil pour révéler la patte sonore des groupes sur lesquels ils bouge les potards (
Regarde Les Hommes Tomber,
Hangman's Chair,
Svart Crown,...) et j'ai été cloué qu'il soit aussi derrière un de mes albums île déserte, le monstrueux "Rock Against Rock" des frenchies de
Lazy, dans les années 2000. Pour en revenir à "
Gospel of Your Sins", le son est parfait : puissant, chaud, ample, sans avoir l'air surproduit.
Disons le d'emblée, Dirty Black Summer a a gommé le coté un peu sagement rock du premier album, et a musclé son jeu, en injectant pas mal de venin (le bien nommé "Toxic Boy" et son riff à la douceur perverse).
Les idées de base des riffs sont restées assez simples, avec des notes plaintives qui s'en échappent de manière spontanée. C'est aussi dans les arrangements et l'articulation avec le chant que se niche la complexité de la musique de Dirty Black Summer.
Côté cordes, par quatre (Alex Fedunizin) ou par six (Cyril Zaborski et JB Le Bail), il y a énormément de choses à écouter, un beau travail alliant la puissance à la nuance, sans ostentation. Les soli sont courts, nerveux, mélodiques en diable, avec un feeling à la
Slash.
Michael Khettabi avait surpris par ses capacités insoupçonnées au chant quand on sait qu'il n'avait jamais chanté en clair avant son premier EP chez DBS, et ça se confirme ici. Techniquement il a encore passé un cap et utilise plusieurs tessitures à loisir, en s'adaptant aux ambiances des chansons, qui semblent construites autour de ses vocaux. Il se place dans la lignée d'Eddie Vedder, Chris Cornell et Lane Staley, en ayant sa vraie personnalité.
Pour la batterie, c'est un mid tempo lourd, tel que le pratiquait
Alice In Chains à ses débuts qui domine, de manière un peu trop systématique, surtout lorsqu'on entre dans chaque morceau. Heureusement, tous s'emploient à mettre un coup de latte à l'ennui qui pourrait poindre, le batteur Tom Valstar au premier chef. D'ailleurs, des morceaux comme "Black Pills & Death
Mask" ou "
Belladonna" montrent que le combo sait accélérer avec brio. DBS s'y entend pour vous dresser les poils avec des refrains emballants, menés par les lignes de chant décidément foutrement inspirées de Michael.
Si l'influence grunge est la plus facile à épingler sur leur musique, leur spectre est beaucoup large que cela, comme sur un "Nothingness" dont les notes entre blues et stoner amènent un coté contemplatif. On retrouve la nostalgie céleste d'un
Deftones dans "At the
Devil's
Night" avec en cerise sur le gâteau ce break que j'imagine être un gros clin d'œil à "
Engine No 9".
Vous allez me trouver un peu trop dithyrambique avec les pistoleros de la Baie des Anges, alors on peut chercher la petite bête : cela manque bien de vrais bangers, de morceaux qui vous collent au tapis, et le groupe ne lâche pas les pitbulls, alors que la rage couve tout le long du disque. Mais, non content d'être le genre d'albums que j'apprécie parce qu'il manque dans la période actuelle où tout le monde joue la facilité crasse, il est aussi débordant de sensibilité et de sentiments, dans le bon sens du terme. C'est aussi pour cela que j'ai souvent envie de l'écouter, sa générosité fait appel à la gourmandise des oreilles.
Avec un album aussi réussi de A à Z que "
Gospel of Your Sins", c'est incompréhensible de trouver Dirty Black Summer aujourd'hui muré dans le silence : le hiatus c'est pas vraiment un split, ça peut durer longtemps, très longtemps, et sans info, on peut imaginer n'importe quoi. Tiens, nommer son premier EP "
Great Deception", et son titre final sur son album "The Last
Confession" , est ce que c'est pas chercher la merde aux prophéties auto-réalisatrices ? Allez, les mecs, revenez, déconnez pas ! Et à titre personnel, j'ai ultra envie d'entendre ce que ça donne sur scène par exemple.
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