A l'heure ou j'écris cette chronique,
Wheelfall a achevé l'enregistrement de son troisième effort (prévu pour octobre 2017) qui succédera à cette œuvre importante pour la carrière des Nancéiens. Sur ce second opus enregistré au studio de la Forge (
Phazm,
Mortuary) le groupe marque une rupture tout en maîtrise par rapport à son prédécesseur orienté Stoner
Doom façon '
Sleep', et nous offre même pour le coup un double album d'une qualité surprenante.
Pour résumer l'essence de cette production, on peut dire qu'il s'agit d'une entité à visage multiple dont la cohérence et la mise en ambiance sont d'une maîtrise insolente. Sous un angle journalistique amoureux des étiquettes, nous résumerons cela à un Post
Metal sombre et abrasif à dominante
Sludge ou s'imbriquent des éléments qui naviguent entre
Doom, Indus Noise, et Post core sous influences Black
Metal. Tous ces « post it » sont bien trop réducteurs au regard du travail musical accompli, car ici c'est avant tout un travail d'ambiance qui confère à cette œuvre une identité forte.
On a donc l'impression de traverser une longue route à travers des forêts peu avenantes, des vieux drugstores peu fréquentés, des motels miteux, d'anciennes villes minières et industrielles cradingues sur lesquelles des légendes macabres et occultes se sont invitées. Grosse ambiance.
A ce titre, les interludes très travaillés «
Shelter », « A night of dark trees », « Now,
Wake the sea » ou l'instrumental « The Skeptic and his shadow » montrent le goût prononcé du quintet pour les ambiances cinématographiques qui seront le moteur de la qualité des compositions. Ces atmosphères auraient assurément leur place dans les meilleurs films aux scénarios sombres et occultes.
Nous avons donc un arsenal de sonorités qui renforcent l'ambiance mystique de désolation urbaine : Piano, violon, bruitage noise, percussions étranges.
A l'écoute de ce travail atmosphérique, on peut aisément imaginer le décor et le scénario d'un film de
Lynch accouplé à David Fincher (Zodiac) et Cary Fukunaga (réalisateur de la série «
True Detective »).
Ainsi, le premier disque met davantage l'accent sur le côté direct avec une entrée en trombe et percutante «
Dead eyes » qui sonne comme si la fuite était la seule alternative. Du bruit et de la fureur qui va vite évoluer vers des sonorités Black
Metal dissonantes : Jouissif !
La seconde salve sera donnée par «
Vanishing Point » tout en rythmique casse nuque avec un final syncopé et groovy du plus bel effet. Mais c'est avec le pavé de 13 minutes « The Drift » que le groupe développe son aura sombre et terrifiante. Un morceau de
Doom moderne étouffant recouvert d'une bonne couche d'ambiances occultes accouplé à du riffing marécageux et lourd comme le plomb. Ici
Wheelfall a tout l'espace de planter le décor et développer un univers envoûtant qui lui est propre. Le second disque met quant à lui plus en lumière une facette
Doom Sludge lancinante et atmosphérique avec des retournements de situation des plus convaincants. Le solide « Shape Shifter » et ses 9 min de
Doom ambiancé ou le très industriel « Sound of
Salvation » complètent l'épaisseur de ce marécage sonore inquiétant qui agit comme une brume tout au long des deux disques.
Si le tout est dominé par un Style Post
Metal Sludge initié par
Neurosis ou la vague Post
Sludge très présente en Suisse (
Rorcal,
Abraham,
Zatokrev), ce qui fait la force de cet album ce sont tous ces moments qui nous marquent au fer rouge sortis d'une Usine délabré. Des moments clés qui interviennent afin de captiver l’auditeur et l’entraîner jusqu'à la conclusion : Le break ravageur et rampant de « The Drift », « Absence of doubt » et son solo désespéré suivi d'un final avec des incursions de blasts bien sentis, la progression post mélodique du titre final «
Return Trip » qui terminera sa course sur un pont « Blackisant » ou encore une vieille ballade Stoner
Sludge qui flirte avec le diable et le vodoo sur le rafraîchissant «
Pilgrimage ». Voilà un petit aperçu du programme des réjouissances.
Nous avons là une création musicale qui stimule l'imagination de l'esprit (le plus torturé), ce qui ne peut être que le gage d'un travail accompli, d'autant plus qu'il est sublimé par un son très équilibré mettant à son avantage toutes les subtilités qui forment ce riche et sombre bloc.
La lumière voit parfois le jour comme sur le final tout en contraste «
Return Trip » mais l'épaisse brume de la folie écrase vite toute tentative de sortie.
Quant au chant hurlé teinté d'un timbre blues
Metal sorte de croisement entre
Kirk Windstein (
Crowbar) et Joe Duplantier (
Gojira), il accompagne parfaitement cet ensemble en se mêlant parfaitement aux morceaux plus directs et rythmiques «
Vanishing Point », qu'à ceux atmosphériques comme sur le blues occulte de l'excellent « Absence of doubt ».
Après un premier album de Stoner
Doom plutôt classique,
Wheelfall nous offre donc un double disque d'une cohérence redoutable, riche en arrangements, qui nous font baigner dans une atmosphère mystique et terrifiante, un voyage dans des décors où la lumière n’apparaît que brièvement.
Une réussite musicale portée par une identité forte et prononcée où les influences palpables sont parfaitement digérées et associées pour surprendre l'auditeur.
Plus qu'un simple double, nous avons là une œuvre complète aux allants avant-gardistes, un travail méticuleux fait par des passionnés.
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