Lutèce n’était pas encore la ville Lumière. Elle ne savait pas non plus qu’elle allait le devenir. J’ai déjà pu digresser à propos de cette ville ou des gaulois sur les précédents volumes étudiés de la formation parisienne «
Lutece ». La troupe de Hesgaroth aura pris depuis en volume pour s’imposer comme une figure incontournable du black épique de l’Hexagone. Il aura récemment opéré un changement de son line-up avec les départs d’Ask et de Hod Imensül, remplacés en 2015 par Vaahrn à la basse et Aslagën à la guitare. Pourtant ces deux derniers n’auront pas participé à l’élaboration du troisième long volume de «
Lutece ». Leurs prédécesseurs ne sont partis qu’après l’enregistrement de «
From Glory Towards Void ». Un volume qui est pour la troupe l’occasion inédite d’enfoncer le clou et de faire décoller le projet vers de nouveaux horizons, éloignés de leur France natale. Pourtant cet album, de nouveau mixé et masterisé par Lasse Lammert, rapporte l’histoire d’une fuite en avant, celle d’un dit-« progrès » dégénérescent, dévastateur, qui mènera un jour l’Humain à sa propre destruction. Une œuvre noire, une trompette sonnant l’alerte.
L’ouvrage ouvre sur les affres énigmatiques de « Let the
Carnyx Sound
Again », piste particulièrement ombrageuse. On entend le choc du metal sur du bois, des sonorités stressantes autour, puis un black metal froid et entreprenant et chants alternés entre hurlements et growls. Ce second «
Lutece » se découvre austère, mais mieux manié que ne l’a été « … Our
Ashes Blown Away », qui a pourtant été on ne peut plus redoutable en matière de black pagan. «
Lutece » s’est rapproché d’une substance plus black mélodique, comme l’atteste notamment le limpide et très énergique « The
Venom Within », évoluant dans des charges intenses, mais contenant une relative quiétude. Quiétude qui est néanmoins rare sur le restant d’un album essentiellement consacré aux ténèbres. Dans ce black au feu nourri, on retient le titre éponyme, contenant un dernier tiers plus apaisé, relâchant de la sorte la tension omniprésente du restant de cet extrait mouvementé. Ce renfort de puissance s’avère encore plus constructif à l’écoute de l’apocalyptique, mais néanmoins subtil « Living
My Funeral ». On appréciera doublement son refrain dégagé de la chape de plomb qui sévit alentours, véritable prise d’air dans ces remous sonores.
L’auditeur serait tenté de déceler «
Melechesh » à travers l’entame pendulaire de « Melted
Flesh », néanmoins celui-là s’illustrerait davantage dans un registre black death au rythme concassant. Son break, peu avant le milieu, assoupli, se démarque toutefois de cette rudesse, car il vient à s’adonner à du doom death. Preuve que «
Lutece » a cherché à s’enrichir en développant de multiples bases, en orchestrant des variétés de rythmes et de mélodies. Le black death refait surface à travers l’impitoyable et offensif « What
Lies Beyond » sur une bonne moitié de piste, laissant la seconde à un long arpège froid et solitaire, vous collant le frisson. Une conclusion amère, qui ne laisse plus que désole après des vagues successives de destruction. Autre manifestation de la richesse du travail de composition ; la lourdeur et les riffs écrasés d’«
Architects of
Doom » trahissent une proportion de doom metal dans un black metal assez sobre. Le refrain gagne néanmoins en mélodie et mène à des passages ascensionnels et épiques. On manie une extrême tension aux côtés d’une relative douceur.
«
Labyrinth of Souls » donne une plus grande proportion à ce doom. S’en est même éloquent dès l’entame. Nous sommes brassés dans une musique rampante et compacte. Toutefois, cela gagne de la vigueur. Les riffs deviennent acérés, pris dans une rythmique par à-coups compulsifs, puis par une vague intempestive venant au final achever la piste. Cette soif apparente pour l’obscurité est associée à un soupçon de mélancolie sur « The Dance of Rolling Heads », qui reste cependant une grande illustration du black metal nerveux de «
Lutece ». En fait, le champ est composé pour ces deux tendances, manifestement opposées, vœu de soumission et désir d’action se confrontent. Cela créé une ambiance tempérée, point comparable au tumulte conquérant et agressif qui domine une majorité des morceaux du présent opus. Son suivant, « The Last Standing Flag » adopte également une formule un peu plus tiède, mais s’illustre par une montée de tension, quasi permanente, qui se traduit parfois par de puissantes charges. Un titre intriguant, mais dont l’efficacité est difficile à nier.
Lutèce n’était pas encore
Paris. L’une n’est que lumière, l’autre n’est bâtie que d’ombre. La formation francilienne a fait son choix entre les deux, préférant l’indécelable à l’apparent, les ruines de pierres enfouies aux tours de verre étincelantes, les dures racines aux feuilles colorées, mais fragiles. Pourtant, «
Lutece » séjournera dans la lumière, pas celle des devantures et de l’excentricité insolente, ceux des spots de scènes de concert, de couleur rouge, rouge comme le sang, celui déversé, séché et à venir. Le sang des bourreaux et celui des innocents. Le vécu sordide de toute grande cité. Par cet album, le groupe gagne en maturité, en noirceur, montre même sa capacité à réaliser des morceaux emblématiques, à l’exemple d’un très déterminant « Living
My Funeral ». Cela va peut-être au dépend de sa part pagan et purement épique, déjà compressée et amoindrie à travers « … Our
Ashes Blown Away », le précédent album. Le guerrier n’est plus à la conquête. Il ne reste en lui que le désir de mort. Il ne sera apaisé que lorsque les trompettes de guerre se seront tues.
16/20
Comment ai-je pu passer à coté d'un album aussi formidable? Diversifié, mélodique, maitrisé sont les premiers mots qui me viennent à l'esprit pour décrire cette superbe découverte héxagonale.
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