Si je vous parle de
Leviathan, il y a fort à parier que vous pensiez au one man band américain et à son black (dis)tordu et fantomatique et on peut vous comprendre. Pourtant, parmi la flopée de groupes qui portent le même patronyme, il y en a tout de même un autre qui mérite amplement la reconnaissance, il s’agit de celui fondé en 2001 par Phycon, soit Roger Markstrom de son vrai nom. Certes, le trio n’a sorti qu’un seul album en 2002, mais quel album ! Sorti chez Selbstmord Services,
Far Beyond the Light avait pas mal fait parler de lui sur la scène black de l’époque.
18 ans plus tard, voilà donc que la bête sort des profondeurs qui semblaient l’avoir engloutie à tout jamais. Dès les premières secondes, on est plongé dans cette noirceur si singulière qui se dégageait du premier opus, même si la fureur des débuts a fait place à une mélancolie plus posée et mature qui se pare de nombreuses nuances d’ombre. Ces dix nouveaux titres sont très mélodiques, les harmonies de guitare se détachant nettement de l’ensemble avec ces notes plaintives qui nous rongent l’âme et cherchent à nous geler le cœur (les lignes hantées d’Avgrundens Återsken et de
Svart qui nous obsèdent), et le chant morbide du sieur Markstrom se faisant particulièrement expressif. Le malaise de
Leviathan s’exprime principalement sur un mid tempo morose, idéal pour faire ressortir ces parties de guitare particulièrement immersives, mais Phycon n’hésite pas à envoyer quelques bons blasts des familles lorsqu’il ressent le besoin de creuser le contraste (Avgrundens Återsken, Förbannelsen).
L’alternance entre mid tempo et parties plus rapides est idéale, donnant un relief appréciable à l’ensemble de ces 48 minutes. La musique de
Leviathan dégage une beauté fanée et triste, un sentiment de dépression familier et bienvenu qui nous enveloppe chaudement et emplit le vide béant laissé par notre solitude et nos angoisses (le début de Förbannelsen avec cette basse dépressive à souhait, rappelant
Dolorian, le superbe solo de fin de Verklighetens Väv, étonnamment lumineux et limpide au milieu de ces ténèbres), une sorte de romantisme empoisonné et délétère.
Ici pas de surenchère ni de théâtralité artificielle,
Leviathan se contente d’un art simple et efficace à la noirceur contagieuse qui nous touche en plein cœur. Ce second album est un pur produit de l’école suédoise, alliant habilement l’amour du mid tempo d’un
Armagedda, la sensibilité mélodique d’un Drapsnatt (avec ces fameux passages poignants aux cordes spectrales si spécifiques du duo de Skellefteå, comme sur le début de Verklighetens Väv, le break acoustique de Förbannelsen) et un souffle autodestructeur et maladif qui lorgne parfois du côté de
Shining (sur un titre comme Melankolins Ävja, on retrouve toute la palette kvarforthienne, entre le malaise distillé par la basse qui nous fouille les entrailles, ces arpèges mélancoliques, les quelques chuchotements ou parties de chant plus narrées ou grondées, jusqu’à ce blast lourd et métronomique).
Voilà donc un groupe oublié qui, près de vingt ans après son premier manifeste occulte, surgit soudainement des abysses pour nous inspirer un deuxième cauchemar totalement inattendu. Peut-être un peu moins direct et agressif que
Far Beyond the Light, ce
Förmörkelse n’en est pas moins un excellent album de black metal aux mélodies vénéneuses et hypnotiques qui nous happent immédiatement et nous engloutissent dans les ténèbres. Fermez les yeux, laissez-vous posséder par la musique et immergez-vous dans vos peurs les plus inavouées…
« La profondeur donne à penser, l'obscurité donne à deviner… ».
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