Il n’est pas chose aisée de rentrer dans la galaxie musicale du sulfureux Craig Pillard (ex-
Incantation, Womb,
Disma, Disciples of
Mockery,
Carnage…) véritable pilier de la scène extrême underground du New-Jersey (NY). En 2004, il revient avec le projet assourdissant
Methadrone qui a pour objectif de repousser les limites du son au prix d’une composition chimiquement complexe mêlant doom, indus et drone (bien loin du death qui a fait sa renommée). Pour être un peu plus précis,
Methadrone se situerait à la croisée du dark/ambient de Lustmord, de l'indus de
Laibach et de l'expérimentation version Swans (auquel le groupe rend hommage sur
Retrogression en reprenant le titre
Sex,
God,
Sex).
Pour tenter de saisir l’essence de
Methadrone, un flashback s’impose. Lorsqu’il quitte
Incantation en
1994, Craig Pillard en profite pour embarquer le bassiste Ronnie Deo et le batteur
Jim Roe, afin de monter Womb, un projet doom qui aura la particularité d’officier déjà avec deux basses, et sans guitare. Le groupe sortira une démo passée inaperçue en 1995, puis un split en 2001 en compagnie d’un autre rejeton du sieur Pillard, Disciples of
Mockery de manière très confidentielle mais prometteur. Puis Womb disparaît, et
Methadrone surgit alors de l’ombre. De l’aveu de son propre maître,
Methadrone n’est pas à considérer comme le prolongement de Womb, même s’il en reprend certaines composantes (les deux basses et le côté doom) mais comme une expérience encore plus poussée et personnelle. Cette fois-ci, Craig Pillard (vox, lead bass, drum programming) n’est plus accompagné que par un seul de ses acolytes
Randy Stokes (rythm bass), présent aussi dans
Disma.
Maintenant que le décor est planté, plongeons au cœur du processus. Comme le laisse présager le nom du groupe, le drone tient une part décisive dans la musique de
Methadrone, mais non exclusive. C’est en effet le doom qui domine l’ensemble à travers les riffs sombres et massifs développés par la lead bass dans un environnement typé indus accentuant l’aspect froid et mécanique. Le drone en définitive est la note finale qui va permettre l’éclosion d’atmosphères à la fois profondes, et suffocantes, et donner naissance à des paysages désertiques. Petit rappel, le drone est une musique minimaliste qui joue sur la résonance et la répétition afin d’opérer une perte totale de repères de l’auditeur dans le but de rétablir une relation directe et naturelle (c’est-à-dire intuitive et non intellectuelle) au son. Le paradoxe (en apparence !) résidant dans le recours à l’indus, donc à des sonorités ô ne peut plus artificielles, pour rétablir ce lien. Le drone initialement est un son continu. Transposé dans le metal, cela se matérialise par un bourdonnement qui ne cesse de s’amplifier au fil des boucles sonores hypnotiques et éthérées, qui dans le cas de
Methadrone deviennent des vagues d’ondes sonores qui agressent et infectent l’auditeur allant jusqu’à le faire vaciller dans ses convictions les plus profondes. C’est ici que l’emploi des deux basses marque toute sa spécificité, et son efficacité, en plus de permettre de s’accorder dans une tonalité très basse, en jouant sur l’hyper saturation et les infra-basses ad nauseam.
Mais jusque là, on a fait qu’effleurer toute la puissance et l’originalité de
Methadrone. En effet, le patronyme du groupe ne fait pas qu’indiquer le style de musique, il en délivre aussi le sens, je m’explique. On ne peut manquer d’observer que
Methadrone est un néologisme fabriqué à partir du préfixe grec metha (au-dessus) et du suffixe drone, mais aussi et surtout renvoie au terme méthadone (analgésique de synthèse très controversé, voisin de la morphine, proposé dans le sevrage des héroïnomanes, devenu à son tour sujet à addiction). Et c’est là qu’une nouvelle dimension s’ouvre à nous,
Methadrone devenant un processus musical révélateur des distorsions causées par un tel traitement. Sans verser dans l’interprétation fumeuse, les titres des chansons (et la bio de Craig Pillard) justifient une telle approche :
Dozer, Placebo ou encore Dextropropoxyphene. La musique de
Methadrone témoigne des effets induits par la prise de ce type de traitement de substition dans le cadre d’une cure de désintoxication. Elle nous immerge méticuleusement dans un chaos sonore symptomatique des « effets indésirables » caractéristiques de ce type de traitement, Contaminate et Affliction ne laissent aucun doute à ce sujet. De la complainte de Craig Pillard à la voix méconnaissable, vide d’humanité et à la tessiture d’outre tombe, en passant par la lead bass qui se fait plus tranchante et grinçante, alors que sa jumelle rythmique broie le peu d’espoir qu’il nous restait, chaque note sonne le glas du pauvre hère qui a osé s’aventurer dans des contrées où seule règne la désolation, avec le vertige et la nausée comme uniques compagnons de route. Et quand on pense en être sorti, à l’écoute de quelques notes enchanteresses (intros de
Dozer & Placebo) introduites par des sonorités qui rappellent la douce et mélodieuse voix des sirènes qui tentaient de charmer Ulysse, le piège ne fait que se refermer un peu plus. La musique se fait alors anesthésiante, annihilant nos dernières résistances pour nous plonger dans l’extase des paradis artificielles. Dans ces conditions chaque élément devient une source de danger potentiel, le poison est distillé à tous niveaux. Que retirer d’un tel périple hormis le fait de rappeler un enseignement connu de tous et qui bénéficie d’un nouvel éclairage grâce à cette démo que le remède peut être parfois pire que le mal…
En conclusion, cette première démo naviguant entre différents styles surprend par son intensité et sa gravité. Le décalage entre les différentes atmosphères donne l’impression d’une œuvre inachevée voire disparate alors qu’elle ne fait que retranscrire les états mentaux délétères dans lesquels elle nous projette sans complaisance. C’est dérangeant, dévastateur, mais surtout implacable car maîtrisé de bout en bout.
Plus qu’une simple expérimentation, nous avons à faire à un témoignage d’une descente aux enfers qui n’en finit pas… Perdu quelque part entre la lobotomie salvatrice et un syndrome de persécution jouissif, le délire s'échafaude jusqu'à devenir l'unique issue possible.
Saisissant.
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