Auparavant nommé
Samhain, le groupe teuton
Deathrow fait son entrée dans la scène thrash en l'année bénite 1986 avec l'album "
Satan's
Gift" qui, pour l'anecdote, sera plus tard renommé "
Riders Of Doom" pour ne pas offusquer les bonnes mœurs américaines. Sans bouleverser la hiérarchie germanique et l'hégémonie du "Big Three", le début de carrière du groupe de Düsseldorf, proposant un speed/thrash en furie, leur permet d'apposer sa griffe et de se faire un nom sur le paysage thrash, encore reconnu aujourd'hui.
Toutefois, en 1988, un virage s'opère dans l'orientation musicale de
Deathrow, ce qui va leur permettre de prendre une toute autre dimension. Le déclencheur n'est autre que l'arrivée à la guitare d'Uwe Osterlehner en lieu et place de Thomas Priebe. Dès lors, sa virtuosité s'impose et le quatuor se construit autour de lui. Un style de thrash complètement atypique se met en place d'où découlera ce qui est considéré par les fans du genre comme l'un des chefs d'œuvre de thrash technique: "
Deception Ignored".
Sa complexité lui vaut d'être rangé sans ménagement aux côtés de ses contemporains de chez
Mekong Delta ou
Watchtower comme pourraient le justifier la séquence introductive au piano de "Triocton" pour les premiers ou les riffings inattendus de "The
Deathwish" pour les seconds. Or ce n'est pas si simple. "
Deception Ignored", c'est avant tout l'art de mettre l'auditeur le cul entre deux chaises. Ce malaise inhérent sera la source des foudres qu'il subira, mais c'est également ce qui en fait un album unique en son genre.
Les titres sont techniques, parfois en triolet, mais ils n'en oublient pas d'être puissants comme dans "Bureaucrazy". Les enchaînements sont complexes, mais les variations sont abruptes, voire violentes à l'instar de "
Machinery". Osterlehner nous sort des solis alambiqués, d'influence classique, tandis que Flugge nous assène de gros riffs issus de la bonne vieille école. Ces paradoxes fleurissent dès le premières notes d'"Events in Concleament".
Alors quand le batteur Hahn développe ses patterns en mesures impaires dans le tempo rapide du thrash, on assiste à un joli bordel organisé. Pourtant, dans ce labyrinthe, la précision y est chirurgicale et ne perd pas le souffle. Sorte d'apogée monumentale à la gloire du non-respect des codes établies, "Narcotic" assène près de dix minutes de renouvellement d'idées et en soit plus d'innovations que ne pourra jamais contenir le revival thrash dans son ensemble...
N'osant jamais faire le choix entre pur thrash technique et speed traditionnel, particulièrement évident sur un "Watching the World", l'album perturbe et intrigue. L'esprit un peu trop cartésien n'y verra que les élucubrations de vieux fous. En perpétuel mouvement, l'auditeur n'a guère le temps de savourer un riff qu'il a déjà disparu, le laissant dans un mélange de frustration et de surprise.
Pas question de savourer jusqu'à l'orgie les mêmes structures, le bonheur musical ne saurait être si naïf. Tout est dans le plaisir de l'instant, décuplé par la déception de sa soudaineté. Toutefois,
Deathrow sait titiller constamment notre curiosité pour ne jamais rester sur cette amertume.
De ce désappointement volontaire, qui fait partie intégrante du charme de l'œuvre, il est vrai que personne ne peut sortir de cette écoute pleinement satisfait, d'autant qu'il faut avouer que le chant de Milo Gesang y est un peu mi-figue mi-raisin. Il faut jouer selon les règles, accepter l'absence "d'happy ending" au risque de trouver l'album dans son intégralité un peu fade. Pour ceux-là, je ne vous garantie pas un plaisir total, mais une expérience ô combien enrichissante.
Fait étonnant: bien qu'il s'agisse là du point d'orgue de leur carrière, en termes de ventes tout du moins, le batteur Markus Hahn et le guitariste Sven Flugge considèrent "
Deception Ignored" comme leur pire album, jugé trop loin des racines de
Deathrow en raison de la main-mise trop importante du virtuose Uwe Osterlehner sur le groupe. A croire que les musiciens furent tout aussi touchés par le malaise qu'ils avaient eux-même posé en musique...
C'est pourquoi le groupe prit alors près de trois ans avant de lui pondre un successeur: "
Life Beyond". Certes plus mature, plus équilibré avec une technicité plus contrôlée et un son plus proche de celui des premières heures du groupe, son conformisme et donc son accessibilité en font un album moins intéressant face aux lubies uniques mais innovantes que l'overdose technique de "
Deception Ignored" représentait.
Au final, que l'on aime ou non, force est de reconnaître que cet album dévoilait un thrash inexploré, même encore aujourd'hui bien que des jeunes groupes comme
Vektor semblent désireux de reprendre le flambeaux. Un opus assurément en avance sur son temps, peut-être même encore de nos jours...
Mais je considère que c'est ce genre d'albums qui font avancer le thrash
Merci pour la chro hyper intéressante.
N'ayant plus ma copie k7 depuis de longues années, j'avais presque oublié à quel point ce disque est monumental. Il était temps qu'un cd arrive sur mon étagère. Je le mets en boucle depuis 4 jours. Que les titres durent 4 ou 9 minutes, je ne les vois pas passer. Parvenir à placer autant de plans rythmiques différents dans un même morceau sans jamais m'emmerder et en conservant de longue la patte mélodique, je dis bravo.
Un petit classique du métal à mes oreilles.
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