Il y a des groupes dont le chemin ressemble à une lente ascension vers la lumière, marquée autant par les hésitations que par les révélations :
Dayseeker appartient à cette catégorie. Depuis ses débuts, le quatuor californien navigue quelque part entre un post-hardcore émotionnel et un metal moderne qui privilégie davantage l’épure à la brutalité.
What It Means to Be Defeated posait déjà les premières bases grâce à une sensibilité franche, presque désarmée, mais encore enveloppée dans des structures très typées metalcore. Les années suivantes ont vu le groupe affiner son identité, notamment avec
Dreaming Is Sinking // Waking Is
Rising, une œuvre plus ambitieuse qui révélait un goût certain pour les atmosphères, les récits personnels et les arrangements plus délicats.
Cette progression n’a pourtant jamais été linéaire.
Sleeptalk, bien qu’important dans leur carrière, confirmait autant leurs forces entre la voix de Rory Rodriguez et les mélodies poignantes que leurs limites avec un penchant pour une pop alternative un peu trop lisse. Il faudra attendre
Dark Sun pour que le collectif trouve enfin une harmonie émotionnelle plus mature, portée par la perte, le deuil et un dépouillement sonore qui révélait toute la vulnérabilité du groupe… mais qui soulignait aussi son incapacité à franchir un cap décisif. L’émotion était là, vibrante, authentique, mais les compositions restaient parfois trop sages pour transcender réellement leur propos.
C’est dans cette continuité que s’inscrit le sixième disque des Américains
Creature in the Black Night. Présenté comme une prolongation naturelle de cette période plus introspective, il se veut pourtant différent, à la fois plus dense, plus nocturne et moins candide, comme si notre quatuor cherchait enfin à concilier la dimension de ce qu’il ressent avec l’ampleur de ce qu’il joue, à redonner du relief à sa musique sans renier la fragilité qui fait sa force. Dans cette obscurité volontaire, quelque chose semble bouger, prendre forme telle une créature tapie dans la nuit, symbole d’artistes qui hésitent encore entre leurs peurs, leurs blessures et la possibilité d’une métamorphose.
L'évolution de
Dayseeker prend un tournant encore plus perceptible sur cet ouvrage, et l’un des parallèles les plus évidents, déjà présent sur
Dark Sun, se fait avec cette nouvelle vague de rock/ metal alternatif menée par
Bad Omens. Ce rapprochement n’est pas anodin puisque l’on y retrouve la même volonté de travailler sur des textures épurées, sur une instrumentation plus aérée et sur une intensité qui ne repose plus sur le poids des riffs mais plutôt sur la tension émotionnelle et la construction atmosphérique des morceaux.
On peut d’ailleurs percevoir une similitude croissante dans la manière de traiter la voix, la place accordée à la synthpop et l’usage modéré de la distorsion. Chez
Bad Omens, cette formule a engendré une esthétique nocturne, élégante, presque cinématographique.
Dayseeker semble aujourd’hui en capter l’essence pour l’adapter à sa propre élégance mélancolique comme une manière de moderniser sa palette sonore tout en conservant sa signature émotionnelle.
Le morceau d’ouverture
Pale Moonlight en est une démonstration. Sa construction suit le même schéma que ces balades ombrageuses qui montent progressivement en intensité sans jamais sombrer dans l’excès. Les guitares se font discrètes, subtilement texturées, tandis que les synthétiseurs enveloppent l’ensemble d’une brume douce-amère. La voix de Rory Rodriguez, elle, occupe tout l’espace, d’abord posée, retenue, presque fragile au début, puis soudain plus large, plus rauque, comme si elle cherchait à atteindre une obscurité pleine.
Si
Creature in the Black Night s’inscrit majoritairement dans une continuité alternative sombre et atmosphérique, notre formation n’en oublie pas pour autant l’héritage plus percutant qui a façonné ses débuts. Par moments, nos musiciens replongent dans ses premiers amours et retrouvent une forme d’énergie post-hardcore/metalcore faite de contrastes abrupts, de tensions rythmiques et d’une densité instrumentale que l’on pensait presque abandonnée depuis
Dreaming Is Sinking // Waking Is
Rising.
Bloodlust illustre parfaitement ce retour ponctuel à une esthétique plus lourde et plus incisive. Ici, les guitares rompent avec la douceur ambiante de l’album pour revenir à un riffing beaucoup plus massif, presque agressif dans son intention. Les percussions suivent ce mouvement, gagnant en intensité et retrouvant ce martèlement tendu qui caractérisait leur période plus “core”. L’ensemble dégage une sensation d’urgence et de suffocation que les Américains n’avaient plus vraiment explorée ces dernières années, comme s'ils laissaient momentanément l’émotion à nu pour retrouver ses instincts les plus viscéraux.
Le chant de Rory Rodriguez, lui aussi, s’adapte à ce terrain plus brut. Sans retomber totalement dans les codes du scream traditionnel, sa voix devient plus nerveuse, plus mordante, teintée de cette colère retenue qu’on entendait autrefois sur leurs premiers opus. On sent une volonté de renouer avec un sentiment de confrontation, de fracas, tout en conservant la clarté et la maîtrise vocale qui définissent leur ère moderne.
Tout au long de ce sixième tableau, la formation tente de maintenir un contrepoids fragile entre sa tendance alternative et ses racines plus acerbes. Pourtant, cet exercice d’équilibriste montre vite ses limites lorsque le combo s’aventure trop loin dans une pop aseptisée, au détriment de la profondeur émotionnelle et de l’authenticité qui devraient porter l’album. Deux titres en particulier révèlent ce déséquilibre.
The Living
Dead apparaît comme le point le plus faible de l’opus. Ici, la surcharge de textures synthétiques et l’absence totale d’instants métalliques étouffent complètement l’intention émotionnelle. Là où l’album cherche ailleurs à maintenir une certaine intimité ou un trouble feutré, la composition se retrouve prisonnier d’une production si lisse qu’elle annihile toute forme de vulnérabilité. Les couches électroniques s’empilent sans jamais respirer, les mélodies se fondent dans un halo brillant mais sans substance, et même la voix de Rory Rodriguez, habituellement si expressive, semble bridée par un traitement trop propre et trop classique.
Quant à
Cemetery Blues, celui-ci adopte une approche plus accessible qui vire malheureusement au cliché. Les arrangements électroniques, bien trop lisses, écrasent la moindre tentative d’émotion brute, tandis que les mélodies vocales sont parfois étouffées par des effets qui lissent toute aspérité. La guitare, reléguée à un simple accompagnement décoratif lors des refrains, perd son rôle de soutien émotionnel pour devenir un élément interchangeable, presque anonyme. L’ensemble sonne prévisible, dépourvu de relief, comme si le quatuor américain cherchait un simple single pop au détriment de la sincérité qui fait habituellement sa force.
Même le breakdown est maladroit et semble glissé au milieu de la composition comme pour rappeler artificiellement les racines “core” du groupe. Là où un tel passage devrait apporter une rupture, un sursaut d’agitation ou un relief salvateur, il n’est ici qu’un élément banal, presque mécanique. Le riff tombe sans véritable préparation, sans montée, sans catharsis et surgit, frappe mollement puis disparaît aussitôt, comme si le titre avait tenté de cocher une case plutôt que de répondre à une nécessité artistique.
Creature in the Black Night confirme que
Dayseeker avance doucement, parfois avec assurance, parfois en tâtonnant, vers sa forme de metal alternatif et moderne, à la fois plus atmosphérique et plus épuré. Ce sixième album brille lorsqu’il embrasse pleinement cette identité et les ambiances obscures, la tension contenue, la vulnérabilité mélodique ainsi que la voix de Rory Rodriguez, toujours impeccable, constituent son cœur le plus sincère. À l’inverse, les tentatives plus pop ou trop lissées rappellent les limites déjà entrevues sur leurs travaux précédents à savoir une production qui gomme l’émotion, des structures prévisibles et quelques morceaux qui peinent à trouver leur place.
Dans l’ensemble, l’opus s’impose comme une petite avancée logique après
Dark Sun, à la fois plus affirmé, plus dense, parfois plus audacieux mais encore incapable de trouver une cohérence pleine et entière, une étape nécessaire, imparfaite mais révélatrice qui laisse entrevoir un groupe en transformation et peut-être au seuil d’une véritable mue artistique.
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