Eleanor est un groupe de metal gothique mélodique et mélancolique originaire d'Osaka (Japon), peu popularisé hors de ses frontières natales, mais pas totalement inconnu puisqu'étant déjà, d'une part, à la tête de deux albums full length («
A Circle of Lament » (2008) ; «
Breathe Life Into the Essence » (2013)) entrecoupés de quatre démo, dont la première (éponyme du groupe) est sortie en 2006, soit un an après la création du combo nippon ; d'autre part, cette formation s'est produite au
Metal Female
Voices Festival, à Wieze (Belgique) en 2013, démarche qui a contribué à sensibiliser un public déjà averti à son style et à son univers gothique évanescent. Aussi, 11 ans après sa naissance, l'expérimenté collectif du pays du soleil levant, mené tambour battant par la frontwoman Shiori Vitus, revient, dynamisé par l'envie d'en découdre et surtout de sortir d'une ombre pesante qui plane encore sur lui.
Influencée par
The Gathering,
The Flaw,
Sentenced,
Liv Moon,
Krypteria, notamment, la sarabande nous livre dès lors 10 pistes aux compositions de bonne facture technique, à la mélodicité fluide, dans une ambiance à la fois crépusculaire et mordorée, l'ensemble étant dispensé par une qualité d'enregistrement laissant filtrer peu de notes parasites et un mix plutôt équilibré. Pour précision, les paroles de l'album sont chantées en japonais, démarche collective qui témoigne d'un souhait d'authenticité accolée au message à délivrer. Par ailleurs, le mastering a été réalisé au Mastersound Studio, en Allemagne, par Alexander Krull (
Leaves' Eyes), indice révélateur d'une formation souhaitant aujourd'hui plus qu'hier se situer sous les feux de la rampe. Aussi, entrons sans plus attendre dans les arcanes de «
Celestial Nocturne », opus sorti via Rubicon Music, label quasi incontournable de la scène heavy metal au Japon, afin d'entrer en contact avec les éléments. Une réédition de cet opus est également proposée, autorisant un regard alternatif sur trois des titres de leur riche répertoire ; pistes à destination exclusive du marché européen toutefois.
Classiquement dans ce registre, le combo nous introduit dans son œuvre par le biais d'un instrumental d'usage, mais plus substantiel qu'à l'accoutumée, du moins tel que le perçoivent souvent nombre de ses homologues stylistiques. Aussi, dans la veine de
The Flaw, «
Fall from Grace », engageant instrumental typé gothique progressif, déverse ses riffs graveleux et amples, sur un mid tempo bien enlevé, secondés par un joli legato à la lead guitare. Une agréable entame plantant le décor, en douceur...
Ensuite, le collectif enchaîne par une kyrielle de passages dynamiques et entêtants, aptes à retenir le chaland plus que de raison. Ainsi, une souple rythmique et le gracile et chatoyant filet de voix de la déesse attirent irrémédiablement le tympan sur le gracieux et rayonnant « Defying
Gravity ». Un flamboyant solo de guitare s'inscrit dans cettte immersive trame que l'on ne lâchera qu'à regret. A l'aune de ses refrains qui font mouche, on comprend que l'on est aux prises avec un hit en puissance, enjolivé par de virevoltantes oscillations d'un violon libertin, lui conférant, de fait, une touche folk à la façon de
Lyriel. On regrettera cependant un léger effet de compression du son, tendant à niveler les instruments de la section rythmique. Le manque de relief qui en découle n'empêchera pas pour autant l'émotion de nous étreindre. De même, l'énergisant «
Eternal Moment », au regard d'une ligne mélodique quasi imparable, se pose comme un titre éminemment taillé pour les charts. Ce faisant, dans le sillage atmosphérique de
Liv Moon, le brûlot distille des refrains catchy relayant des couplets fondants, que la maîtresse de ces lieux vient enorgueillir de ses inflexions mordorées et orientalisantes.
Quant au vitaminé «
Buried Alive », dans l'ombre d'un
Nightwish de la première heure, avec un zeste de
Liv Moon, il nous emmène en de célestes contrées au fil d'une sente mélodique lévitante, sous-tendue par un riffing effilé. On ne résistera que malaisément au magnétisme des harmoniques et surtout aux charnelles et profondes impulsions de la diva. L'offensif « Thirsty » est une autre perle à enfiler sur un collier qui en compte déjà quelques unes. Ce faisant, la plage éblouit tant par sa radieuse mélodicité que par son émoustillante rythmique, mais aussi par une indéfectible cohésion instrumentale. Autre titre tubesque qu'il s'avère illusoire d'esquiver sans éprouver quelques remords pour les âmes en quête d'intenses émotions. Enfin, comment ne pas succomber à la chevaleresque tourmente impulsée par «
War Cry » ? Moins profilée hit, cette vivifiante offrande n'en demeure pas moins infiltrante, notamment sur un refrain qu'on entonnerait à tue-tête. Un éblouissant solo de guitare s'installe en fin de piste, précédant un joli dégradé de l'intensité sonore. Une manière élégante de clôturer l'opus.
Avec un éclairage plus tamisé, le groupe nous dévoile un pan non négligeable de son savoir-faire et semble doté de cette rare faculté à séduire sans avoir à forcer le trait. Aussi, en toute simplicité, avec sincérité et authenticité, il nous octroie ses mots bleus les plus secrets. Tout d'abord, somptueuse et frissonnante ballade atmosphérique non sans rappeler
Krypteria, «
Far Beyond Dystopia » se pose comme un joyau d'équilibre des forces, qui ne ratera pas son effet. Et ce, sur un couplet/refrain, certes classique, mais d'une rigoureuse précision mélodique susceptible d'impacter immanquablement le pavillon au point de nous atteindre au plus profond de nous-mêmes. C'est dire que la petite larme au coin de l'oeil ne sera que difficilement esquivée. Pour sa part, un envoûtant violon/piano/voix nous ouvre les portes de «
Solitude », sensuelle et ondulante ballade mise en habits de lumière par une sirène, dont l'appel aimantera le tympan d'un battement de cils. De soyeux et jubilatoires gimmicks à la lead guitare relayés par un savoureux picking à la guitare acoustique ne démentiront pas le sentiment de se trouver en présence d'un vibrant instant fragile, un tantinet original, que pourraient bien leur envier
Delain,
Diabulus In Musica ou
Dark Sarah.
Plus encore, majestueux low tempo aux allures d'un slow qui emballe, « Empyreal Beauty » nous plonge dans une ambiance aussi feutrée qu'énigmatique, non sans rappeler
The Gathering, avec une touche nipponne lui conférant tout son substrat. Les enivrantes modulations et le délicat vibrato de la belle ajoutent à la magie de l'instant posé tout comme les grésillantes attaques d'une lead guitare disposée à ne jamais laisser transpirer la moindre césure. Sans oublier une violoneuse présence en arrière-fond, contribuant à rendre ce morceau plus romantique qu'il ne l'est déjà. Enfin, dans cette mouvance, un subtil guitare/voix s'inscrit sur la douce et aérienne aubade «
Lazy Noise », non sans rappeler
The Gathering eu égard au sweeping usité. Quelques sensibles arpèges au piano et un joli solo de guitare complètent une toile aux charismatiques pastels.
Enfin, on ne pourra éluder les trois pistes bonus qui, au-delà d'offrir chacune son lot de réjouissances auditives, nous convient, pour deux d'entre elles, à d'originales versions de tubesques offrandes de la galette, toutes agrémentées d'un éclairage tamisé. Ainsi, on redécouvre le hit « Defying
Gravity », dans une savoureuse version acoustique en guitare acoustique/voix, sur fond de légers claquements percussifs ; touchante alternative où les modulations de la déesse font mouche, une fois de plus. Quant à la ballade «
Far Beyond Dystopia », sur un même modus operandi, elle y trouve là une seconde jeunesse. On appréciera tout autant la présence d'un fringant tam-tam, assurant une rythmique plus feutrée que ne l'est l'originale. Et la magie opère, instantanément. On ne sera pas moins happé par les enchanteresses séries d'accords du prégnant « Sleeping
War », titre sensuel emprunté à «
Breathe Life Into the Essence » et judicieusement revisité.
On ressort de l'écoute de la galette avec l'agréable sentiment de (re)découvrir un groupe ayant soigné chaque portée de chacune de ses magnétiques partitions pour nous offrir la quintessence de son art.
Plus mûr, techniquement plus abouti et mélodiquement plus efficace, le combo a pris le temps de peaufiner son propos pour nous octroyer, cette fois, un charismatique, sculptural et raffiné manifeste. Même si quelques sonorités résiduelles et effets de compression affectent la portée de certaines pistes, le plaisir n'en est pas nécessairement altéré. A l'aune de ce chapelet de pistes enchanteresses, originales et savamment concoctées,
Eleanor aurait même de quoi rivaliser avec ses homologues générationnels et peut-être déjà l'étoffe pour se hisser parmi les valeurs confirmées de ce registre metal gothique mélodique. Bref, une œuvre poignante, sensuelle et délicatement patinée à découvrir et sans nul doute à adopter...
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