Qui se souvient encore du Crapouillot, périodique satirique et politique né en 1915 ? Si sa ligne éditoriale a souvent pu et du provoquer le débat, c'est sa vocation outrancière qui m'a essentiellement marqué quand j'étais jeune.
En effet, ce magazine a souvent publié des photos de monstres de foire qui firent les grands jours des freakshows et autres cabinets de curiosité. Le cliché de Myrtle Corbin, femme à quatre jambes, m'avait particulièrement marqué à l'époque. Et c'est en effectuant les recherches nécessaires pour la rédaction de cette chronique que ces souvenirs sont revenus en surface.
Dipygus, outre le nom de la maladie rare ayant touché Mme Corbin, est aussi le blaze de ce groupe formé en 2013 à
Santa Cruz. Dayan Weller (basse), Sam Boodt (batterie) et Dustin Ponkovilneus (guitare) publient d'abord une démo en 2016 avant d'être rejoint par Clarisa Bermudez-Eredia au growl pour l'EP "
Long Pig Feast" en 2018. S'ensuit en 2019 un premier full-length intitulé "
Deathooze" et paru sur le label Caligari Records. Cet album se retrouvant dans le top death annuel de Raul, patron de
Memento Mori, c'est sans surprise que la sortie de ce "
Bushmeat" en janvier 2021 s'effectue sur le label espagnol.
Tel P.T. Barnum, les Californiens appâtent l'auditeur avec la courte intro "
Ape Sounds" qui entremêle beats électroniques et cris de singe déchaînés. Une constante chez eux puisque, sur leur 1er album, ils s'étaient déjà servi d'un sample similaire (un appel téléphonique enregistré par la police où une femme hurle sous les coups d'un chimpanzé furibard).
Le décor planté et les spectateurs bien assis, place à la première attraction "St Augustine, FL 1896" truffée de guitares grasses, d'une batterie organique et du growl glaireux à souhait de Clarissa. Décrivant la trouvaille du cadavre d'une gigantesque créature marine sur la plage de cette ville floridienne, l'impression nous est donnée de passer de l'excitation de la découverte au fascinant dégoût de cette carcasse en décomposition. L'alternance de rythmiques débridées et de plans bien lourds rappelle le grand
Autopsy de "
Mental Funeral", avec une folie sous-jacente qui fait plaisir à entendre.
Une semblable démence imprègne aussi "
Bushmeat", redoutable mid-tempo qui dévoile tous ses délices le long de 7 minutes. Délice de chasser les animaux de la jungle à grands coups de riffs percutants. Délice de plonger, à mi morceau, dans un marais putride où les growls combinés de Dayan et Clarisa glissent comme des sangsues sur votre cortex.
Et le vertige provoqué par les multiples changements de plan et rythmes de l'instrumental "Plasmoidal
Mass (Slime Mold") est en totale adéquation avec les déplacements du blob, amibozoaire dépourvu de cerveau mais capable d'apprentissage. Un titre bien cinglé où la basse saturée de Dayan se taille une tranche bien saignante.
Cette même basse carnassière entame "Long-
Pig Feast", titre lent et pugnace qui rappelle
Impetigo et
Asphyx. Sans plagier non plus ces 2 groupes,
Dipygus se crée, ici comme ailleurs, une identité bien marquée avec toujours cette dualité de growls, ces petits soli vicieusement techniques et surtout cette détermination à dévoiler tous les aspects de son spectacle insane.
Qu'il s'agisse des rites anthropophages de "Osteodontokeratic Savagery" et son break malicieux, des reliques d'un Yeti sur "The Khumjung Scalp" ou les schistosomes intrusifs de "Myiasis in
Human Mouth" (avec son sample introductif tiré du film "Slugs"), rien n'est de trop pour intensifier les instincts voyeuristes de l'auditeur.
Dipygus y pourvoie alors avec plaisir grâce à ce death crasseux aux effluves doom. Sous des abords foutraques, le groupe maîtrise son art en distillant des subtilités qui se dévoilent au fil des écoutes. D'ailleurs la production charnelle y est délectable car rien n'apparaît surfait. Tout sonne organique et abject, à l'image de l'artwork naïf de Doug Camp.
Vous l'aurez compris, ici pas de Hugh
Jackman enjôleur ni de belle Zendaya pour tromper le spectateur, les applaudissements sont réservés à Joseph Merrick et aux animaux bicéphales baignant dans un formol trouble.
Dipygus, sur une base connue de death crasseux et doomy, propose un spectacle à la fois effrayant et attirant et à la personnalité marquée. Un groupe qu'il sera sûrement jouissif de découvrir un jour sur scène.
Oh super chro elle donne envie ! Les deux extraits m'avaient appatés avec ce gros côté Autopsy crados des débuts ! Je suis curieux de voir le résultat dans son ensemble...
Putain le vilain crapouillot et ses couvertures....
Sinon ça semble aussi apétissant que du Razorback quand on lit ça avec peut un côté plus technique.
Je le note et m'en félicite (à écouter donc)
Excellente chronique Armel. Je viens de la relire en écoutant l'album, qui est en cours d'apprivoisement sur ma platine. C'est en effet une pièce pas facile à appréhender, qui peut sembler un peu décousue de prime abord, mais l'aspect craspec façon Autopsy y est séduisant. Sinon, la growleuse envoie comme il faut. J'aurais pas parié sur une nana. Aller, peut-être l'occasion de (re)découvrir Slugs qui traine sur mes étagères.
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