Les jeunes Suisses de
Megaton Sword avaient agréablement surpris en sortant fin 2019 l'aguichant EP «
Niralet », chargé de 5 titres fort bien torchés, porteurs de cette veine Heavy épique tant à la mode, mais si délicate à décliner avec originalité. Ce premier exercice plutôt convaincant s’accompagnait de l’engagement de transformer l'essai en publiant un premier full length en 2020. Avec une ponctualité toute helvétique, les voilà qui délivrent ce «
Blood Hail Steel – Steel Hails
Fire » après avoir profité des péripéties confinementesques de cette fichue année pour passer plus de temps que prévu en studio.
Avec un titre pareil, on n'avance pas masqué, il est clair que
Manowar n'est pas inconnu du quatuor suisse. L'artwork laisse également peu de place au doute. L'artiste américain Adam Burke (ayant aussi officié pour
Angel Witch) nous fait contempler une vaste cité en proie à un océan de flammes, un brutal contraste avec le somptueux paysage dont il avait gratifié «
Niralet ».
Niralet, c'est le monde imaginaire d'où
Megaton Sword tire son inspiration, et c'est un monde en proie aux guerres, à la violence exacerbée, aux inexpiables massacres et aux plus effrénées tyrannies. En gros, si on veut des chansons d'amour, on s'adresse à un autre groupe.
«
Niralet » avait mis en évidence des points forts et des points faibles. Si l'on retrouve toujours les derniers, on perd aussi une partie des premiers. Ce qui disparaît, c'est une certaine légèreté faite de truculence, d'auto-dérision, mais aussi une variété dans la composition qui apparaît ici bien formatée. On conserve heureusement la section rythmique d'enfer (basse-batterie-guitare) qui faisait l'armature et le squelette de «
Niralet ». Et on retrouve jusqu'à plus soif la forte voix d'Uzzy
Unchained, émulant sans l'imiter servilement celle d'
Ozzy Osbourne.
L'éponyme est à coup sûr une réussite (le terme est un peu cliché, mais c'est pratique de parler d'éponyme ; vue la longueur du titre, je l'utilise ici sans vergogne). Les passages en arpèges, la constante alternance de tempo, tantôt lourd et tantôt accéléré, fonctionnent bien, de même que, aux 2/3, la plage de batterie, puis de basse, suivie de l'agressif break vocal et du froissement d'épée qui marque le retour aux couplets/refrains du début. Un bon titre d'ouverture, bien goupillé, à l'ambiance prenante.
Autre excellent titre, dans un registre différent, la power ballad Crimson River et son intro à la basse de Simon the
Sorcerer. Ponctuée d'un riff acerbe, l'étonnante voix d'Uzzy
Unchained est particulièrement en valeur, d'abord aussi gluante que celle du Madman dans ses pires ballades, touchante et sensible vers la moitié et chargée d'intensité sur la fin, quand la batterie se fait plus plombée. Son chant tout de conviction, souligné par de bonnes lignes vocales est également magnifié sur le rythme solide et martial d'In the Black of
Night. Je préviens tout de même que son timbre très particulier ne va pas plaire à tout le monde : le principal intéressé y répond par un défiant « si vous voulez faire la musique que tout le monde aime, vous feriez mieux d'arrêter tout de suite de jouer ».
And toc.
On retiendra aussi General
Bloodlust, mid tempo au riff sec induisant chez l'auditeur une impression d'irrévocabilité fatale, et l'agressif up tempo Song of
Victory au riff balancé, au chant plein d'arrogance.
À côté, malheureusement, on a des pistes en net retrait. Verene se révèle un mid tempo plutôt poussif, avec des riffs donnant une impression de déjà vu, cruellement dépourvus d'originalité, ce qui aurait pu passer si le titre ne dépassait pas les 5 minutes. Sa hargne aurait pu faire illusion, portée par la batterie, la basse et la voix d'Uzzy, mais elle s'épuise sur la longueur et ne sort pas renforcée d'un break téléphoné suivi d'un solo qui l'est tout autant. C'est aussi la longueur qui fait tomber dans la routine The Giver's Embrace, un titre au rythme un peu lourd qui ne serait pas forcément mauvais (bon break lent aux ¾) mais qui finit par épuiser l'auditeur avec ses 6'33.
Venons-en à ce qui fâche. Comme j'ai pu le suggérer, la longueur des titres est un premier handicap. Il n'est pas rédhibitoire, l'éponyme (6'30) et In the Black of
Night (5'20) s'en tirent sans dommage. Mais quand la qualité baisse, ah, là, ça devient une autre histoire. La voix d'Uzzy permet de rallonger la sauce, géniale dans ses duos avec la batterie de Dan Thundersteel sur In the Black of
Night et General
Bloodlust (mais ce sont-là de bons morceaux) ; pourtant, elle ne peut tout faire.
Voilà aussi pourquoi les 3'40 de Wastrels passent aussi bien.
Pas un morceau suprême du Heavy, mais son intro à la batterie, hésitant d'abord entre celle de
Kill with
Power de
Manowar et de Heavy
Metal to the World de
Manilla Road (ça dure pas longtemps, hein) ouvre un titre nerveux et syncopé chanté en voix un peu rauque et dont la bienvenue brièveté renforce l’efficacité.
La longueur n'est qu'un symptôme : la composition reste stéréotypée. On est dans une succession couplet refrain break couplet refrain qui ne pose pas de problème tant que le titre est correct, mais qui bascule vite vers l'ennui dans le cas contraire. On regrette une construction un petit peu plus élaborée dans les titres longs, comme
Realm to Conquer de l'EP «
Niralet ». Et on déplore des soli très courts, banals, presque toujours placés entre le dernier quart ou cinquième des titres.
J'en arrive au gros handicap de l'album. La voix est réellement inspirée, basse et batterie sont bonnes, mais la guitare est indigente. Chris the
Axe assure en rythmique, est correct sur les arpèges décoratifs, mais pour tout ce qui est lead et solo, il n'est tout simplement pas à la hauteur. Il a un bon lead (un peu court) sur Crimson River, un solo acceptable sur In the Black of
Night et General
Bloodlust. Pour le reste, il est insignifiant ; sur The Giver's Embrace, son instrument manque cruellement de présence et sur Verene, son solo incapable de décoller contribue au déclassement du morceau. Je suis peut-être vieux jeu, mais on officie-là dans du Heavy épique traditionnel, et la présence d'un jeu de guitare d'envergure m'y semble aussi nécessaire que le nez au milieu de la figure.
On conçoit mal comment pourrait s'établir sur la durée un groupe aussi hétéroclite en talent : l'énorme personnalité d'Uzzy domine sans les écraser Simon the
Sorcerer et Dan Thundersteel, mais Chris the
Axe est trop en retrait. Du moment où on cesse d'être un groupe de potes et qu'on publie sa musique, on se confronte aux dures réalités. Pour donner leur pleine mesure, il faudra à
Megaton Sword recruter un lead guitarist digne de ce nom.
J'ai conscience (mauvaise, car j'aime bien ce groupe) d'être assez sévère sur ce premier album des Suisses. Aussi imparfaite soit-elle, la sortie mérite considération et invite à suivre une prometteuse formation. J'ai pleinement confiance en
Megaton Sword pour surmonter ses défauts de jeunesse et approfondir ses points forts.
J'ai acheté cet album un peu les yeux fermés parce que j'avais entendu beaucoup de bien du groupe. Après avoir lu ta chronique je suis encore plus curieux de le découvrir.
J'ecoute cet album suite aux revues sur les sites anglo-saxons assez euphoriques....ici la chronique est plus sévère...j'aurais envie de dire que les analyses francaise le sont tjrs plus.
Pour le moment j'apprecie l'ecoute du groupe meme si la voix du chanteur a tendance à me crisper par moment. Apres c'est dans cette veine actuelle de heavy viril... on verra à la 2 ou 3° écoute.
Merci en tout cas pour ce contre poids
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