Réunir une multitude d’invités sur un même disque est toujours un pari risqué. A plusieurs niveaux. On peut, parfois légitimement, targué l’investigateur de la démarche de vouloir dissimuler un contenu trop peu indépendant et fort derrière des noms qui feront, de leur aura, apparaitre une dimension erronée à la musique. On se souvient, malgré des projets trop nombreux pour tous être cités, des all-stars-band comme
Coldseed,
Painmuseum ou
Chain Masquerade qui ne donnèrent rien de forcément transcendant, créant de véritables groupes à partir d’individualités qui ne travaillèrent finalement pas ensemble.
A l’inverse, on trouve aussi ce qu’on nomme communément des opera metal, à l’instar d’
Avantasia,
Ayreon ou plus récemment
Earthcry des groupes ponctuels, basés autour d’une seule entité, venant interprété un concept théâtral où les invités prennent de l’épaisseur en interprétant un personnage à part entière.
Pour son second opus,
Lalu se situe quelque part entre ces deux modèles.
Pas complètement conceptuel et composé d’un unique chanteur (Martin Lemar de
Mekong Delta) mais centré autour d’un compositeur talentueux mais peu connu du grand public (le claviériste Vivien
Lalu) ayant réussi le tour de force de réunir des maitres-musiciens du metal progressif à faire rêver n’importe quels fans du monde entier. Jugez plutôt avec un line-up composé du tentaculaire Virgil Donati, du soliste Simone Mularoni, du taulier Mike Lepond auxquels s’ajoutent des invités aussi hallucinants que
Jordan Rudess,
Jens Johansson, Peter Wildoer ou encore
Marco Sfogli (James Labrie). Autant dire que le casting fait doucement rêver…
Mais qu’en est-il du plus important et primordial ?
Si vous attendez un opus avide de technique et de démonstration, Vivien a eu l’intelligence de puiser le meilleur du feeling de chacun pour composer des chansons avant tout, véhiculant des émotions et ne se perdant pas inutilement dans des dédales instrumentaux sans fin. La preuve en est avec des compositions globalement courtes (excepté le morceau final) et surtout la place prépondérante de Martin dans le mix, le chant étant clairement en avant.
Les titres sont extrêmement variés et respirent énormément et "
Atomic Ark" parvient ainsi à dégager un feeling très 70s sans pour autant tomber dans l’effet de mode à la
Pain of
Salvation ou
Riverside, plutôt en conservant une sensation très rock et charnelle, avant tout organique.
On passe allègrement sur un "
Bast" agressif et enfiévré, évoquant
Amaseffer dans ses arpèges et ses orchestrations sensiblement orientales avant de plonger tête baissé dans un refrain direct et sans concession laissant exploser la variété vocale de Martin. Techniquement très haut, sans pour autant se montrer arrogant, la musique d’"
Atomic Ark" impressionne et subjugue à l’image d’un "
War on Animals" très dense et complexe, posant en revanche un refrain aérien, malgré la technicité alambiquée et la structure complètement folle du morceau (la patte de Simone rappelle d’ailleurs son énorme travail sur fabuleux "
Momentum", dernier
DGM en date).
"Tatonka" distille une ambiance plus onirique mais on ressent une touche très technique et un touché quasi jazzy sur les parties de batteries, conférant au son une aura presque sans âge, indémodable et déjà culte, comme en dehors du temps et des modes de 2013.
On ressent ce besoin chez Vivien
Lalu de se parer de multiples ambiances, d’univers très différents les uns des autres pour se créer sa propre arche, son monde intérieur et sa représentation personnelle de la musicalité. "Momento", gorgé d’émotions, se penche ainsi dans une culture plus nippone (si "Time" avait été produit…) et ponctué de parties de claviers solistes renversantes de beauté. Rien n’est jamais gratuit dans "
Atomic Ark", les mélodies et les sonorités sont une nécessité et jamais une fin en soi, elles sont le graphe d’une représentation globale, dans une ambiance progressive à celle du lumineux "
Burn the Sun" d’
Ark (bien que moins torturé). "Follow the Line" mêle des soli très techniques à une ambiance, une fois de plus, très jazz, mais toujours au service de l’émotion.
Il sera également impossible de passer sous silence le lourd "
Greed", charpenté pour la scène et paré d’un riff épais et puissant où Martin s’y montre très à son aise. Malgré le fait qu’il ne possède, lui, pas une technique formidable, il est de ce genre de chanteur qui ont une gorge, un coffre et un timbre chaud et humain, idéal pour faire passer un panel très large de sensations.
Cependant, aussi bonnes soient-elles, toutes ces compositions ne sont que de modestes hors d’œuvres face au monumental "
Revelations", long de vingt minutes, justifiant à lui-seul l’écoute de l’album. Une introduction merveilleuse proche d’un conte de Tim Burton (la patte Elfman n’a jamais été aussi proche) où se disperse des chœurs angéliques, puis une partie soliste de piano absolument renversante de près de trois minutes laissant éclater la classe et le talent de
Lalu dans une ambiance baroque et esthète. Puis le chant, bouleversant, déclamant une litanie emplie de tristesse et de mélancolie sur quelques notes de piano, presque à capella. Une dimension progressive prend son envol de secondes en secondes, avec l’apparition progressive d’une ligne de basse et d’un tempo de batterie encore très rythmique. Un riff se déchire dans l’espace, les tripes se tordent de plus en plus sous la tension puis, de nulle part, aux alentours des huit minutes, surgit un riff tout bonnement destructeur sur lequel se positionne des sonorités électroniques dont l’influence de
Jens Johansson semble mouvante (il suffit de se souvenir d’"
Halcyon Days" sur le dernier opus de
Stratovarius) apportant une nouvelle dynamique et surtout une épaisseur supplémentaire à un titre montant en puissance de plus en plus, n’attendant plus qu’à exploser. Tout devient alors plus sombre, plus direct, plus saccadé (le chant de Martin s’apparentant même à celui de Mike Portnoy à certains fugaces instants) dans la seconde moitié de ce "
Revelations" tient en haleine sur l’intégralité de sa durée et laisse sincèrement à penser qu’un groupe comme
Dream Theater devrait, aujourd’hui, en prendre de la graine là où ils ont clairement dû être une influence de
Lalu il y a encore quelques années.
Que dire de plus sur ce projet impressionnant de maturité et insolent de talent qui, parvient là où tant d’autres ont échoué, à trouver un équilibre miraculeux entre une multitude de guests et de créer avant tout de la belle musique plutôt qu’un amoncellement de plans composés comme un fan pour les musiciens venant les jouer. "
Atomic Ark" est cohérent du début à la fin, formé dans un unique moule et ne souffre à aucun moment d’une trop grande disparité d’influences, tant l’âme de
Lalu transpire les pores de l’album. Ajoutons pour terminer que cet opus porte le nom d’une expérience nucléaire utilisant des animaux comme cobayes afin de réaliser des tests sur la résistance à la bombe terminale. De ce fait, une partie des bénéfices sera reversée à une association de lutte contre les animaux…si ce n’est pas une preuve d’humanité et de vie au sens large, pour un musicien qui ne doit clairement pas crouler sous l’or, je ne sais plus de quoi il s’agit. Un grand album, pour une noble cause, par un homme sincère. Ne réfléchissez plus. Ecoutez. Vivez. Participez.
Une petite remarque cependant quant à ta chronique, sur le livret il semblerait plutôt que c'est Jordan Rudess qui effectue le magnifique solo de piano de 3 minutes dans la chanson Revelations, bien que ce soit effectivement la composition de Vivien Lalu.
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