Après quatre années de silence radio depuis le sémillant «
Medea », c'est à tâtons que revient dans la course l'expérimenté quintet néerlandais. Aussi, pour son retour signe-t-il un laconique EP 3 titres dénommé « Ann – Chapter 1 - Anne Boleyn ». Il s'agit-là du premier chapitre d'une trilogie d'Eps, dont l'ensemble donnera lieu à un album full length consacré à une Anne célèbre. Un original concept, encore inédit pour nos cinq compères, et qui nous immergera au cœur de frissonnants moments de l'histoire, tout en relatant de singulières tranches de vie dont ces illustres protagonistes sont les actrices principales.
Au fil des 18 minutes du parcours des trois pistes de cet introductif volet, se succèdent trois étapes cruciales jalonnant le brève vie de cour de la reine Anne Boleyn, seconde et séduisante épouse de l'insatiable et cruel roi Henri VIII d'Angleterre, au pouvoir entre 1509 et 1542. Un opus qui signe également le grand retour de la charismatique mezzo-soprano Dianne van Giersbergen, et ce, après avoir officié quatre années durant, entre 2013 et 2017, chez
Xandria. Une chatoyante présence qui ne sera sans effet ni sur la teneur argumentative du propos ni sur la charge émotionnelle qui s'en dégage...
Dans ce dessein, le line-up a subi d'importants remaniements. A la barre, on retrouve bien le claviériste Koen Stam (
Equisa) et la frontwoman Dianne van Giersbergen, deux des instigateurs du projet, initialisé en 2004. En revanche, le bassiste Peter den Bakker (
Beyond God, TWD) a cédé la place à Luuk van Gerven (
Cardamon,
Xystus) ; le guitariste Paul van den Broek, quant à lui, a été remplacé par Bob Wijtsma (
Xystus) et le batteur Eelco van der Meer (
Last Breath Denied,
Phantom Elite) par Harmen Kieboom. De cette nouvelle collaboration émane une œuvre metal symphonico-progressif gothique à la fringante mélodicité, à la technicité instrumentale éprouvée, aux paroles renvoyant à la fine plume de leurs auteurs, dans le sillage de
Xandria,
Dark Sarah et consorts. De plus, la menue galette se voit dotée d'arrangements d'excellente facture parallèlement à une ingénierie du son passée au peigne fin, à commencer par une qualité d'enregistrement difficile à prendre en défaut. Mais ouvrons sans plus attendre cette sombre page d'histoire...
Le combo batave interpelle tout d'abord par sa faculté à délivrer ces séries d'accords qui vous resteront durablement en mémoire, aussi complexes soient-elles. Ce qu'il nous prouve à l'aune du premier volet, « The Courtship ». Ce faisant, le groupe nous convie à une frondeuse et romanesque offrande, abondant en truculentes variations atmosphériques et rythmiques, et mise en habits de lumière par les pénétrantes envolées lyriques de la sirène, aujourd'hui au faîte de son art. En outre, se dessinent de forts contrastes entre les saillants couplets, renvoyant aux moments où Anne multiplie ses revendications auprès du roi, le poussant notamment à rompre avec sa première épouse,
Catherine d'
Aragon, et les sulfureux refrains, instants sensibles jusqu'au bout des ongles où la prétendante n'a de cesse d'adresser ses mots bleus au rabelaisien monarque. A l'image d'une tumultueuse instrumentation et de l'ultime montée en puissance de la mezzo-soprano, c'est sur une note d'espoir doublée d'une once d'inquiétude que se clôt le chapitre, la jeune femme implorant les dieux de lui donner un fils, conformément à l'impérieux désir de son époux.
Par ailleurs, nos acolytes jouent habilement sur la fibre émotionnelle, et force est d'observer que la petite larme au coin de l'oeil ne tarde pas à perler sur la joue. Ainsi, le second mouvement dénommé « The Miscarriage » se pose comme une poignante ballade atmosphérique, développant une belle gradation du corps orchestral. Mise en exergue par les saisissantes impulsions de la maîtresse de cérémonie, cette tendre offrande recèle toutefois un fond de mélancolie dont les paroles s'en font l'écho. Les refrains se font alors aussi magnétiques que déchirants, nous faisant ressentir toute la détresse d'une reine que le destin n'a guère épargné : après avoir accouché d'une fille, celle-ci est proie à une fausse couche, comprenant dès lors qu'elle ne pourrait offrir un fils au roi. Ainsi, à une première phase d'espoir a succédé une seconde, empreinte d'un profond désenchantement.
Mais l'avenir sera plus sombre encore pour la frondeuse et jalouse épouse. Et l'instant tant redouté ne saurait tarder à arriver... Sur une tonalité mêlée d'anxiété et de colère, la frontwoman confère une touche quasi théâtrale à « The Beheading », intrigante offrande nous plongeant dans un vaste champ de contrastes rythmiques. Démarrant sur un délicat picking à la guitare acoustique, le seyant méfait fera vrombir sa basse et intensifiera la cadence et le martèlement de ses frappes. Et ce, corrélativement aux inflexions de la déesse, tantôt éthérées, voire tremblotantes, renvoyant la reine à un passé magnifié ; tantôt saillantes, à l'image du caractère tragique de sa destinée. Accusée à tort de moult pêchés au regard de ses nombreuse fausses couches, la reine sera déchue de ses pouvoirs et condamnée à mort par décapitation. Percevant le bourreau près de l'échafaud, prêt à exécuter la terrible sentence, le rythme du débit oratoire de la belle s'accélère, et, dans un ultime sursaut, se gausse de l'incapacité du monarque de prendre lui-même l'épée à cet effet. Implorant une dernière fois la divinité suprême pour qu'elle retourne sa fureur envers le bourreau de son cœur, elle rappelle en toute humilité qui elle était...
Au regard d'une œuvre aussi troublante que palpitante, force est de constater que l'on reste scotché à chacune des portées de la galette, et ce, jusqu'à la dernière mesure. Jouissant d'un fort impact émotionnel, tenant tant aux fines oscillations mélodiques qu'au large spectre vocal d'une mezzo-soprano aujourd'hui aguerrie, ce message musical se double d'un corps orchestral se faisant tantôt diluvien, tantôt câlinant, témoignant d'une cohésion instrumentale sans faille. On appréciera également l'élégant jeu d'écriture dont se pare chacune des pistes, les paroles nous renvoyant alors à une singulière page d'histoire marquée par son caractère romanesque et son tragique dénouement. On regrettera simplement de devoir se contenter de la bagatelle de trois morceaux après quatre longues années d'errance auditive. On attend donc avec une impatience à peine voilée le second chapitre de la trilogie...
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire