Les albums qui chantent la guerre dans le monde du metal, ce n’est pas difficile à trouver : prenez n’importe quel album de
Sabaton, The Glorious
Burden d’
Iced Earth, Frontschwein de
Marduk ou Väsen de Grà, et vous verrez qu’on n’a pas besoin de s’aventurer sur les terres du folk/pagan pour avoir le choix. Ceci dit, un groupe qui voue sa carrière complète aux conflits armés qui ont marqué l’histoire, c’est déjà un peu plus rare. Si les connaisseurs penseront de suite à
Endstille et à son obsession pour la WWII, peu auront à l’esprit
Minenwerfer qui, à l’instar de
1914 ou des Français d’
Azziard, s’inspire exclusivement de la Première Guerre Mondiale.
Alpenpässe est le troisième album des Américains, et on peine à reconnaître le trio tant il a évolué – mûri ? – depuis la sortie du full length précédent, sept ans auparavant :
Nihilistischen était composé de morceaux courts et explosifs de black brutal destructeurs mais un peu trop répétitifs pour réellement sortir du lot, or, il n’y a qu’à observer la tracklist de ce nouveau cru pour comprendre que les choses ont changé, avec six morceaux seulement pour un total de 59 minutes.
Oui, le format est indubitablement différent avec des morceaux bien plus longs et travaillés, dessinant une monumentale fresque épique tout en nuances et en sensibilité, nouvelle direction musicale qui se retrouve jusque dans la pochette, au dessin plus évocateur et poétique que sur les réalisations précédentes.
Histoire de ne pas laisser place au doute, l’album s’ouvre directement sur cette magistrale pièce épique de 17,08 minutes incroyable de fluidité, de beauté et d’émotion qui, à elle seule, vaut l’achat de l’album : Blutharsch nous emporte, et ce dès ces premières notes mélancoliques qui lancent doucement le morceau. Sur cette longue composition,
Minenwerfer empreinte beaucoup au post black metal, notamment sur ces harmonies de guitares à la beauté limpide, mais cette immense toile sonore fait aussi penser au meilleur de certains groupes de pagan,
Finsterforst et
Moonsorrow en tête, dans sa pureté musicale et son aura épique, avec ces passages acoustiques et la chaude présence de la basse qui, dès 9,32 minutes pleure ses notes graves. Ainsi, cette première pièce alterne moments de bravoure éclatants et sauvages (la première explosion de colère dès 3,05 minutes, la fin du morceau avec ce blast fier et conquérant) et mélodies célestes avec des passages plus introspectifs et de longues parties instrumentales qui nous font voyager et nous emmènent loin de la folie meurtrière des hommes (porte de sortie spirituelle des soldats hébétés d’horreur qui doivent s’évader dans l’imaginaire pour essayer de chercher un sens à leurs actes afin de pouvoir continuer à tuer sans sombrer définitivement dans la folie ?). Le tout est mené par ces notes de guitares fantastiques et oniriques qui, tout le long de l’album, tissent des mélodies à a la beauté immaculée, et ce premier morceau nous donne le vertige par sa profondeur musicale et harmonique peu commune.
Il ne faudrait pas croire pour autant que
Minenwerfer a abandonné toutes ses velléités belliqueuses : Dragging the
Dead Through Mountain Passes est un titre très martial et majoritairement rapide au goût de sang et d’acier, avec ce blast lourd, rapide et mécanique et ces riffs sifflants qui se répètent inlassablement, faisant penser à une pluie d’obus qui s’abattent sur nos têtes, tandis que les soli hurlants font penser au mugissement strident d’une sirène qui annonce un raid aérien. Le début de Cloaked in
Silence fait également bien parler la poudre, avec ce chant très écorché et agressif qui semble flotter comme une ombre décharnée sur ces roulements de batterie militaires et ces riffs sombres qui, bourdonnant leurs complaintes tristes, semblent parfois presque sonner comme les chœurs des macchabés jonchant les champs de bataille. Ceci dit, derrière, il y a toujours ces mélodies belles et entêtantes, plus ou moins mises en avant selon les passages, qui confèrent une sorte de noblesse presque sacrée à la guerre et les longs passages musicaux sont plus que jamais présents, encore et toujours éclairés par les fulgurances lumineuses de la guitare qui se fend de superbes soli gorgés de feeling ; la fin du morceau exalte les dernières forces des pauvres soldats exténués, avec cette batterie à la frappe lourde et fière et ce chant mâle qui incarne la virilité guerrière.
Impossible également de passer sous silence le magnifique Kaiserjägerlied avec ce long passage uniquement acoustique où la guitare fusionne avec le chant black de Generalfeldmarschall Kriegshammer qui s‘élève dans la nuit, fier et déchiré. La fin du morceau s’écoute les yeux fermés et colle des frissons d’extase, avec ces magnifiques chœurs intemporels qu’on croirait droits sorti d’un album d’
Empyrium, cette basse qui chante et encore une fois ces notes de guitares magiques qui viennent fusionner et rendre hommage à toutes ces âmes valeureuses tombées au combat : le carnage de la guerre est d’autant plus beau qu’il est absurde, totalement aveugle et sourd, fauchant tout le monde sans aucune pitié, logique ni distinction. Le dernier morceau quant à lui est plus froid et mécanique, basse nauséeuse, voix infernale et vomie et double pédale infatigable, reposant en grande partie sur cette rythmique déshumanisée et ce riffing roulant, et se termine par le bruit des bombes, des fusils mitrailleurs, et des larsens : finalement, la trêve du rêve et de l’espoir semble terminée et l’horreur a bel et bien repris ses droits inaliénables, s’imposant définitivement en guise de conclusion.
Vous l’aurez compris, ce
Alpenpässe n’est pas loin d’être un chef-d’œuvre pour qui aime le black metal à la fois intense et très mélodique qui a une vraie âme et quelque chose à raconter. Cette heure de musique sonne comme un boulversant témoignage du passé, et nous fait voyager d’émotions en émotions avec une sensibilité et un talent musical peu communs. En l’espace d’un album à peine,
Minenwerfer est passé d’une furie totale à un art plus mature, fluide et touchant confinant au mystique. Pour beaucoup, l’art le plus beau et intense se nourrit des passions humaines les plus sombres, et cet album semble abonder dans ce sens. Si le débat reste ouvert, ce qui ne fait pas l’ombre d’un doute, c’est que cet album est un must have, tout simplement. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.
meuldor: content d'avoir pu te faire découvrir tous ces excellents groupes, j'espère que d'autres belles découvertes suivront!
En tous cas, ça fait super plaisir d'avoir un lecteur aussi assidu, et de voir que finalement, mes chroniques remplissent leur rôle! Ca motive à continuer à partager mes coups de coeur et mes découvertes!
Merci pour la découverte Icare ! J'effectue ma première écoute et cet album est vraiment très bon. Après, il faut déjà de base aimer la thématique. Mais j'aime déjà et je pense que j'y reviendrai.
Quand tu chroniques un album que t'aimes vraiment bien, ça se ressent par ta plume et tes descriptions très imagées de la musique. Je pense notamment à tes chroniques de Sargeist, Xasthur ou encore Finsterforst. Ici, c'est plus calibré que sur tes anciens textes, mais on ressent le coup de coeur !
Il faudra que je garde ce groupe en tête.
Ghul: C'est vrai, et ça me fait plaisir que tu le ressentes! Je ne sais pas vraiment si c'est un défaut ou une qualité, mais j'essaye effectivement d'immerger le lecteur dans l'univers du groupe tel que je le ressens pour qu'il comprenne les émotions que la musique évoque en moi ! Pour moi l'émotion est primordiale dans la musique, surtout dans un style comme le black metal !
Après moultes écoutes, je dois dire que cet album est réellement exceptionnel et s'écoute d'une traite sans aucune difficulté, et cela malgré une longueur considérable.
Parmis tant d'autres albums incroyables de notre époque, celui ce démarque par les émotions fortes qu'il dégage et fait ressentir tant au niveau de la musique que dans les parties vocales, ce qui n'est vraiment pas évident à créer dans un style musical si extrême. Personnellement, je ne suis pas fan de ces voix criardes en général, mais sur cet album en particulier, cela colle plutôt bien à l'ambiance rageuse/triste. Entre l'extraordinaire morceau qu'est Der Blutharsch et l'explosif Dragging the Dead qui me rappel beaucoup le meilleur d'Endstille, l'album est très varié et apporte son lot d'ambiances épiques, sombres ou douloureuses.
Désolé de répondre si tardivement, mais j'ai été très occupé et je n'avais pas vraiment le temps d'écouter un album de cet envergure dans son intégralité en y pretant une vraie attention.
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