Le Heavy épique est un style qui prend ses racines aux États-Unis, pays qui voit naître Dungeons & Dragons, le Grand Ancien des jeux de rôle. Nourris aux pulp fictions et à l'heroic fantasy, bien des musiciens américains choisirent de se démarquer de la concurrence britannique en jouant sur des compositions puissantes et chargées de pathos, portant des histoires de barbares et de combats héroïques. Sans être étrangère à la mouvance (
Heavy Load), la vieille
Europe n'accroche que marginalement au style (
Thin Lizzy, Iron Maiden,
Rainbow, mais avec l'Américain R.J.
Dio) : délaissé par le Heavy, l'épique y devient vite l'apanage de la mouvance Black/
Viking.
Au tournant du XXIe siècle, les lignes bougent. Venues du sud de l'
Europe, de bonnes formations Heavy, toutes diplômées de l'informelle WHSMM (Wichita High School of
Metal and Magik), reprennent le flambeau de l'épopée : les Grecs de
Battleroar ressuscitent Homère, les Italiens de
Doomsword revisitent Virgile et, un peu plus tard, les Portugais de
Ravensire marchent sur les brisées de leur illustre poète national Camoëns.
Les Lisboètes entament leur chanson de geste en 2011 et « A
Stone Engraved in
Red » est leur 3e album. Le fameux cap du 3e album est souvent délicat : il leur faut succéder à une excellente et prometteuse démo, un premier disque brut et abrasif qui laisse la place au remarquable « The
Cycle Never Ends » de 2016, avec des compositions plus ambitieuses, mais aux influences parfois mal digérées. Ajoutons un changement de batteur et de second guitariste et le défi se renforce, dans un groupe à la composition plutôt collective.
C'est la continuité qui prévaut, à l'image de l'artwork : signé Samuel Santos, il conserve l'élégant graphisme noir et blanc des précédentes pochettes de Pedro Rebelo, rehaussé de touches d'un rouge imposé par le titre de l'album. « A
Stone Engraved in
Red » n'a pas forcément toutes les fulgurances et la profondeur de son prédécesseur, mais il s'en rapproche beaucoup et évite ses plagiats par trop évidents. Une valeur sûre qui ne laisse planer aucun doute sur la solidité de la formation portugaise.
Il faut des atouts pour tirer son épingle d'un genre facilement stéréotypé : le mid tempo souvent solennel et toujours agressif de
Ravensire n'en manque pas.
Le jeu de guitare de
Nuno en est un de taille. Ses soli sont remarquables sur After the Battle,
Carnage at Karnag, The Smiting
God... Oh zut, ce serait plus rapide de dénombrer les titres où il est seulement passable. Heu, raté, j'en vois pas. Impressionnant musicien, qui met la plus parfaite technique au service du feeling d'ensemble. Un gratteux comme on les aime.
La voix du bassiste Rick en est un autre.
Ravensire officie dans le râpeux, le rugueux et le grave : inconditionnels du falsetto, passez votre chemin. La personnalité du groupe portugais tient beaucoup à cette tonalité, dans laquelle Rick a heureusement succédé au chanteur d'origine Zé Gomes, qui n'a officié que sur la démo. Fidèle en amitié et en allégeance,
Ravensire n'oublie pas de le saluer à chacun de ses opus (c'est aussi le cas ici pour l'ex-second guitariste Zé Rockhard et l'ex batteur F.).
Dernier atout et non des moindres, une inspiration protéiforme. Même si leur musique est composée avant les paroles, on ne peut manquer de saluer une recherche inventive dans les lyrics signés généralement par Rick, plus exceptionnellement
Nuno. Leur inspiration est étonnamment variée. On ne sera pas surpris de trouver le grave monologue d'un guerrier mourant (After the Battle), les sacrifices humains de la religion druidique (
Carnage at Karnag) ou un mix de légendes celtiques et de R.E. Howard (The Smiting
God) ; on est plus étonné de découvrir dans un disque de Heavy la tradition kabbaliste (Gabriel
Lies Sleeping), la poésie arabe d'Al-Andalus (Thieves of Pleasure) ou les épigrammes du citoyen romain d'origine ibérique Martial (The Games of Titus).
Fidèle en amitié et allégeance, on l'a dit. Le fracassant
Carnage at Karnag est un hommage à un public breton qui connaît bien
Ravensire et lui a fait un triomphe au dernier Courts of Chaos. Grave et profond, Dawning in
Darkness est dédié à l'obscur combat de leur ami Hartmuth Schindler, dans le coma depuis plus d'un an, et de sa compagne. Et les paroles de la plus Roadienne de leurs compositions, After the Battle, ont été écrites en l'honneur de Mark « The Shark » Shelton, disparu prématurément en juillet dernier.
Les recettes de composition fuient toute sophistication, mais ne sont pas linéaires et simplistes pour autant. Le mid-tempo est de rigueur, plus ou moins hargneux (
Carnage at Karnag, Gabriel
Lies Sleeping...), plus velouté sur Thieves of Pleasure. Il se fait lancinant, plein de la rondeur du ressac sur The Games of Titus. Toujours, on a des changements de rythme, souvent vers des plages plus lentes où s'épanouissent les soli de
Nuno. Le plus rapide de tous les titres, The Smiting
God, est aussi celui qui offre la plus grande variété dans les rythmiques. Un bref instrumental,
Bloodsoaked Fields, introduit After the Battle dont la partie acoustique est soulignée par la voix claire de James Beattie (chanteur de Terminus, avec qui
Ravensire a partagé un split album). Quelques touches folk, homéopathiques, viennent subtilement rehausser le propos (
Carnage at Karnag, The Games of Titus).
On n'attendra donc des Portugais nulle révolution musicale, fût-elle des œillets ; mais on trouvera, dépouillé de tout artifice, un engagement total, naïf et sincère qui plonge aux sources du genre épique, et au delà, du Heavy
Metal. Les mélodies sont puissantes et prenantes, l'entière implication des musiciens est flagrante. À l'image des plus grands comme
Manilla Road, l'émotion est à fleur de peau et transporte l'auditeur.
Un de mes très bons amis, bien connu pour tempérer ses enthousiasmes d'une froide objectivité (hum), n'hésite pas à faire de
Ravensire le meilleur groupe actuel du Heavy européen. Après les avoir vus sur scène et assumant pour ma part un brin de subjectivité, je ne suis pas loin d'en faire autant. Les limites que s'assignent le quartette sont leur force, car leur personnalité s'y affirme toute entière. Dans une interview récente où on lui demandait comment il voyait
Ravensire dans les dix prochaines années,
Nuno évoque seulement cette ambition, aussi simple qu'exigeante : « juste comme aujourd'hui. Faire de la musique dont on est fier et la jouer devant des gens qui comme nous aiment le Heavy
Metal ».
Amen.
Avé Hibernatus Jean Lucus !! Quel brio dans l’eloquence... Ravensire meilleur Heavy d’europe ? Et bien qu’on vienne me prouver l’inverse que j’en jouisse !
j’ajoute à ta chronique que la passion de Nuno pour la Bretagne vient de Overstep, grand groupe de Heavy Metal breton devant l’Eternel . Karig An Ankou
Eh bien, eh bien, voilà qui donne envie. M'en vais tenter le coup d'oreille au vu de la chronique, si c'est la réponse européenne à la clique US menée par Visigoth ou Eternal Champion, voilà qui devrait être excellent.
@LeMoustre: m'est avis que si tu aimes le bon vieux Heavy velu qui sent la sueur, tu devrais pas être déçu.
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